Pour constater une continuité dans le style des oeuvres impressionnistes que j'ai
choisies, influencées par les uns et les autres, je commence par une nature morte
qui ressemble aux compositions de Cézanne, un bouquet qui ressemble
furieusement à ceux d'autres impressionnistes, logique, puisque vous l'avez lu,
Pissarro est le père de l'impressionisme : j'ai ensuite envie de vous montrer une
série sur les arbres.
Huile sur toile : 1867 - 81 X 100cm
" Cette grande composition est peut-être la plus audacieuse qui ait été
peinte jusqu'au jour où, en 1867, Pissarro la signa et la data. Tandis que Manet,
dans ses magnifiques natures mortes, demeure plus ou moins consciencieusement
dans les limites de la grande tradition française (tracées surtout par Chardin) et
que Courbet - à qui l'exécution et les couleurs de cette toile doivent beaucoup -
est relativement timoré dans ce genre. Pissarro montre soudainement, en traitant
ce sujet, un style d'une grande force et d'une grande originalité.
Quelques objets usuels sont disposés de façon classique, créant des horizontales
et des verticales dont l'équilibre est admirablement ordonné. Deux diagonales -
celle du pain et celle du couteau dépassant du plat de céramique - créent un
espace qui se prolonge jusqu'au spectateur : le couteau surtout,
traditionnellement utilisé à cet effet accentue discrètement cette illusion.
Les accents de couleur données par le plat et les trois pommes, qui occupent une
position centrale, font chanter les tons neutres du premier plan. La vaste étendue
du fond est brisée par deux louches accrochées au mur dont les courbes
répondent harmonieusement au col élancé du flacon ; le verre de vin sert de lien
entre deux lignes arrondies. A l'unité du fond s'opposent les différentes masses
des objets placés sur la nappe blanche, peinte à petits coups de pinceau vifs qui
accentuent encore le contraste.
Le seul artiste qui, un peu plus tard, appliquera une technique et des tonalités
semblables au traitement de la nature morte fut un jeune peintre du Midi que
Pissarro avait rencontré dès 1861 et dont il reconnut immédiatement
l'exceptionnel talent : Paul Cézanne. C'est probablement sous l'influence de
Pissarro que Cézanne commença à observer de plus près la nature au lieu de
suivre les impulsions baroques de sa juvénile imagination. Une toile d'un réalisme
aussi flagrant, montrant une telle force intérieure, une telle simplicité et sûreté,
n'a pu manquer d'impressionner Cézanne : elle l'a peut-être amené à exécuter une
série de compositions également hardies.
Pissarro ne peignit que peu de toiles dans cette veine. Il n'a, par la suite, que
rarement utilisé le couteau à palette et les larges coups de brosse ; les couleurs
terreuses - pourtant assez lumineuses sur cette toile - et les volumes fortement
modelés ne réapparaissent qu'exceptionnellement dans son oeuvre. Cette nature
morte, note inattendue dans l'évolution du peintre, est en fait à peu près unique
comme s'il ne se sentait pas tenté par la poursuite d'une route qui aurait pu le
détourner de l'intime contact avec la nature qu'il recherchait avec tant de
persévérance. Il est possible que ce soit cette nouvelle façon directe et audacieuse
de traiter un sujet qui ait amené la rupture entre Corot et Pissarro.
Quoiqu'il en soit, cette toile ne devait jamais quitter l'atelier de l'artiste, où elle
était sans doute destinée à lui rappeler une phase importante quoique courte de
sa quête vers une expression personnelle."
John Rewald
https://www.youtube.com/watch?v=LcBWcNECM5U
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