Toujours à la recherche des toiles moins connues par le grand public ; ce portrait
du jardinier Vallier est considéré comme un chef d'oeuvre, au même titre que celui
de Patience Escalier peint par van Gogh, dans la touche et l'esprit.
1906 - Toile 65 X 54 cm
" Pendant sa dernière période, Cézanne a souvent peint des gens du
peuple : paysans, servantes, personnages simples, toujours avec un grand respect
et dans les attitudes et les proportions qui leur donnaient de la dignité et du
poids. Son goût pour les paysans cache un peu la réaction des conservateurs
contre le monde de la cité moderne et le désir d'un ordre de choses plus stable,
plus simple, plus ancien. Nous observons aussi cela chez son ami Renoir qui
abandonna les scènes de distractions citadines pour des sujets familiers et des
types idéalisés de mères et de paysans, dans un style plus formel que celui de son
oeuvre impressionniste antérieure.
Le chef-d'oeuvre, parmi les tableaux que Cézanne fit de gens modestes, est le
portrait de son jardinier Vallier : l'une de ses dernières toiles. C'est l'image
imposante d'un homme qui représente l'idéal de Cézanne de simplicité et de force
au repos, en même temps que la nature rude et robuste de sa jeunesse
transposée dans le vieil âge.
Pour trouver une pareillle conception de l'homme, on doit se référer à Titien
ou à Rembrandt. Il s'agit d'une aristocratie qui n'est pas fondée sur le pouvoir ou
la réussite mais sur la force intérieure. Cet homme simple est grand, sans
affectation ni orgueil, en paix avec lui-même, sans aucune amertume.
La silhouette est imposante par sa largeur et sa plénitude. Il y a un retour au
dessin primitif par le choix de la vue en profil et la place claire du corps sur le
fond sombre. Un contour si lumineux et si dense est rare après le XVI ème siècle.
Le corps ressemble à une statue archaïque. Une telle compacité n'est pas
fréquente, même à la Renaissance. Ce n'est pas ici une forme conventionnelle,
mais une solution neuve, unique, inspirée par le sens que Cézanne a de son sujet ;
en bref, c'est une interprétation.
Les moyens de continuité ne sont pas tellement des procédés de composition ou
d'unification mais plutôt d'expression : la barbe se répand sur la ligne de l'épaule
et du bras, comme les bras de rejoignent dans la ligne des manches pour donner
la qualité émouvante de toute la masse sereine du personnage. Les traits sont à
peine étudiés, le caractère réside dans le corps, l'attitude et l'ampleur de la forme.
Cézanne a donné à la forme humaine, et spécialement aux vêtements, toute la vie
de ses derniers paysages. D'un pinceau sûr, avec une liberté qui est grandiose, il
dispose toute sa palette sur des objets monochromes. Aucun impressionniste n'a
peint de barbe aussi multi-colore, ni donné à une manche une aussi merveilleuse
abondance de tons. Les éléments ont une grande impulsion, mais se fondent dans
un ensemble qui reste noble et distant par sa richesse et son éclat. Nous sentons
dans les limites de cette forme compacte une énergie intense et une chaude
sensibilité, également une magnifique luminosité qui se diffuse sur toute cette
masse ; ce n'est pas une lumière, ou une ombre qui sonde les objets, comme celle
d'un Rembrandt, et elle ne nous engage pas à examiner les traits de plus près,
mais elle est un caractère de l'être pensant tout entier, qui s'offre calmement et
franchement."
Meyer Schapiro
https://www.societe-cezanne.fr/2017/05/13/le-jardinier-vallier-1906-r954-fwn549-rw641%EF%BB%BF/
Vase de Tulipes
Entre 1890 et 1894 - Toile, 60 X 42 cm
" Dans cette belle nature morte les contrastes de formes et couleurs, leur
agencement sont d'une subtilité étonnante.
Notre oeil associe les deux tulipes rouges aux deux pommes qui se trouvent
dessous ; le jaune des petites fleurs éparpillées dans le bouquet rappelle, de façon
différente, le jaune dense de la pomme qu'on voit derrière le vase ; et les feuilles
vertes les plus grandes ressemblent en revanche, au grand angle formé par les
bords sombres et chauds de la table. Mais les éléments du bouquet sont des
formes actives, vivantes, charmantes même, une grappe de choses épanouies
dansleur développement, peintes avec une grande liberté ; les pommes et la table
sont des formes fermées, isolées, inertes, silencieuses, un monde clairsemé.
C'est une harmonie d'éléments opposés, un étrange équilibre de qualités
contraires unifiées par des analogies cachées et un jeu de couleurs plein de
sensibilité.
Nous sentons qu'il y a une sorte de conflit humain dans cette nature morte, tout
particulièrement à cause de l'éloignement des pommes, comme si les relations
entre les hommes, leurs désirs et leurs refoulements avaient été traduits dans les
contrastes et les regroupements.
Les champs les plus sévères de la table et du mur sont peints avec des tons clairs
atténués - des tons chauds et froids opposés - d'une délicatesse extrordinaire ; les
fleurs, fraîches, ont des formes angulaires plus ou moins vives avec de gros
zigzags plus accentués que les bords de la table, ils sont rappelés à l'extrême
droite dans la grande feuille vert sombre et dans le vase.
La partie inférieure du vase est de la même couleur que la table, sa silhouette
ronde se rapproche de celle des fruits, et la légère courbure formée par la limite
horizontale de ses deux couleurs répond à la faible convexité du bout de la table.
Entre les pommes et les tulipes, on devine une oblique - ligne d'attraction
évidente et implicite - qui est parallèle au bord de la table et le relie aux tulipes et
aux pommes. Ces relations, et beaucoup d'autres très belles qui ne sont pas
expressément indiquées, suscitent notre admiration. La forme incurvée, réservée
sur le mur entre les pieds de la table, semblable à l'extrémité d'une feuille ou d'un
pétale, est fascinante.
https://www.artic.edu/artworks/14561/the-vase-of-tulips
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