samedi 13 juin 2020

Paul Cézanne : Portrait de Victor Chocquet

   " Victor Chocquet était un ami des impressionnistes, il est devenu un personnage

historique à cause de sa pure dévotion pour l'art contemporain. Petit fonctionnaire,

sans grandes ressources, il fut saisi par la beauté des oeuvres de Renoir et de

Cézanne et en constitua une collection au moment où elles étaient encore en butte

aux moqueries des critiques et du public. Chacun de ces artistes fit de lui plusieurs

portraits.




                                                                1876 - 1877 - Toile 46 X36 cm

           Dans ceux qu'exécuta Renoir, Chocquet est d'une nature douce, ouverte ,

parfaitement détendu, il regarde aimablement le spectateur.

https://www.societe-cezanne.fr/2017/04/29/portrait-de-victor-chocquet-1876-1877-r292-fwn437/


Dans le tableau de Cézanne, les traits ne sont pas moins sensibles, mais il y a

dans le port de la tête, franchement tournée et surmontée par la haute masse des

cheveux, un accent de grandeur, un souvenir des portraits préromantiques du

Premier Empire. Une telle idéalisation est étrangère aus portraits impressionnistes

; mais nous avons déjà vu dans le portrait de Boyer comment Cézanne donne à

ses amis cette aura romantique.


                                                Portrait de  Boyer


Chocquet a été vu tel un personnage émacié, au type de Don Quichotte.

L'étirement de la tête ressemble aux amincissements du Greco ; ici le culte de

l'art, avec un même détachement et la même pureté d'esprit, remplace l'intention

religieuse.

On voit la tête dans une perspective curieuse, comme à travers une lentille qui

rendrait étroit le visage et raccourcirait les côtés. Les traits sont extrêmement

tendus et, par la réduction de la  force  de leurs axes, la direction  des yeux fait

aussi ressortir la verticale de la figure, qui est encore prolongée par l'angle en haut

du front et le même angle du col ouvert.

Comparé au portrait de Boyer, c'est une étape vers la lumière et la fraîcheur de la

couleur, de la même façon que ses nouveaux paysages.

Les couleurs du jour remplacent les noirs et les ombres neutres du premier

portrait. De même que dans les paysages, nous suivons partout le travail

vigoureux et franc du pinceau qui suscite une pâte épaisse et moelleuse de

couleur, riche en vibrations, en directions et en tonalités. Toujours la touche est

intense et directe - dans l'arrière plan comme dans la tête, dans les cheveux

comme dans les traits délicats, mais avec un mouvement distinct dans chaque

partie. Cette touche bien proportionnée à l'ensemble, assez petite pour obtenir un

modelé subtil, assez large pour être parfaitement visible, tel un élément constructif

du tout - quelques petites taches rouges bondissantes et chaotiques palpitent dans

le nez et les joues - et des touches plus sombres suscitent un rythme intéressant

 mais sans accent de lignes courbes, avec les contours des cheveux et de la barbe

: tout est bâti sans trace apparente de plan ou de lignes structurales maîtresses,

comme un jeu spontané du pinceau en réponse directe à l'homme.  Ce qui est plus

remarquable dans tout cela - ce à quoi nous revenons sans cesse - c'est la largeur

de l'effet, la possession puissante de l'espace."


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