Lettre à Emile Bernard
....Je viens de faire un portrait d'un facteur ou plutôt même deux portraits. Type socratique, pas moins socratique pour être un peu alcoolique, et conséquentement haut en couleur. Sa femme venait d'accoucher, le bonhomme luisait de satisfaction. Il est terriblement républicain, comme le père Tanguy. Nom de D...! Quel motif à peindre à la Daumier, eh!
Il se raidissait trop dans sa pose, voilà pourquoi je l'ai peint deux fois, la deuxième fois dans une seule séance. Sur la toile blanche, fond bleu, presque blanc, dans le visage tous les tons rompus, jaunes, verts, violacés, roses, rouges.
l'uniforme, bleu de prusse, agrémenté de jaune.
Le Facteur Roulin
Août 1888 Arles - Huile sur toile, 81 x 65 cm
Van Gogh, toujours attiré par le peuple, se lia d'amitié avec Roulin, un facteur
d'Arles, et fit de lui plusieurs portraits ainsi que de sa femme et de ses enfants.
Vincent qui aimait sa personne socratique, a décrit sa candeur, son intelligence
et son enthousisme, "sa gravité et sa tendresse silencieuse".
"Sa voix a une qualité étrangement pure et touchante dans laquelle mon oreille a
tout de suit reconnu une berceuse douce et triste, et une sorte d'écho lointain de
la trompette de la France révolutionnaire".
L'uniforme bleu donne au portrait le ton majeur, mais le caractère officiel de
Roulin n'atténue pas sa qualité personnelle. Au total le bleu devient un attribut de
l'homme, comme ses yeux bleus (qui sont aussi semblables aux boutons dorés !)
Le visage rayonnant, fixé sur nous comme une icône, est d'une fraicheur absolue
et sans la moindre stylisation. La large barbe est un paysage, une forêt renversée
, avec une profusion de jaunes, et de verts et de bruns. La rigidité de la tête est
tempérée par les traits vibrants, animés et les tons variés de la chair. Les mains
grossières sont maladroitement dessinées, mais la gauche demeure puissante et
naturelle. La vaste étendue, presque sans ombre, de l'uniforme bleu - problème
difficile de la peinture - s'apparie dans une sorte de contraste avec le bleu clair du
fond, parailleurs avec les tons chauds de la tête et des mains et avec ses propres
boutons et passementeries dorés ; elle devient l'enveloppement le plus actif et le
plus tangible d'un corps humain vrai. Attaché à la réalité précise du costume
comme vêtement porté, van Gogh trace ses contours en vigoureuses lignes noires,
traitées cependant avec discrétion - omises à l'épaule et ailleurs, épaissies par
endroits en masses d'ombre - toujouts irrégulières et suscitées par le corps en
dessous, diverses comme la surface qu'elles entourent, avec sa gradation de tons
froids et chauds dans le même bleu. En apparence simple et directe, l'oeuvre est
profondèment conçue, avec de nombreuses mais discrètes reprises - accords de
couleurs et de formes : le vert de la barbe et de la table, les rouges du visage et
du coin du tableau en bas à gauche, les petits angulants caractéristiques, le coin
de la table, les revers, le devant de la chemise, le siège du fauteuil etc. Et, invite à
l'observateur qui désire comprendre aussi bien que de se délecter : la note la plus
claire du tableau, le triangle de blanc au-dessous de la barbe - ce parti nécessaire
traité avec une justesse infaillible.
https://www.youtube.com/watch?v=pzOt_QtEVgg
https://www.youtube.com/watch?v=T750HY_ZcZo
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