Entre 1894 et 1898 - Toile 73 x 92 cm
" Dans les tableaux des époques précédentes, une barrière au premier plan
impliquait une position séparée d'où le peintre était à même de contempler une
vue paisible. Ici le paysage est formé essentiellement par un sol plein d'obstacles,
sans chemin et convulsé - un espace avec des failles et de profondes crevasses,
noyé dans un brouillard d'un pourpre sombre.
Les obstacles nous forcent au calme, mais nous ne pouvons les regarder avec
sérénité : ils nous imposent leur violence et leur agitation. Cet espace caverneux
est comme la vision d'un ermite désespéré.
Dans cette peinture sombre et passionnée, saturée d'une atmosphère de
catastrophe, il y a un remarquable développement intérieur. Dans la partie du bas,
les puissants rochers ont une étrange vie par leurs formes courbées et
amoncelées.
Nous discernons un vague profil humain en bas et à droite et des indications de
physionomie - une tête renversée- dans le rocher plus lumineux au centre avec
son rebord festonné. Plus loin, à gauche, le sol monstrueux fait des replis et se
tord en profondeur. En dessous de la couleur pourpre dominante se dégage le
caractère sous-jacent qu'elle recouvre, et de ses accents changeants s'élève
l'unique éclairage orange et jaune du rocher central.
De cette région faite de pulsations de formes nombreuses nous passons à une
barrière plus haute de rochers angulaires ; l'un d'eux est suspendu et
particulièrement architectural, ses bords tranchants comme ceux d'une pierre
taillée, ses pentes dirigées en avant et vers la gauche sont en opposition avec les
rochers moins élevés. De leur profondeur cachée s'élèvent des troncs d'arbres, qui
ont un feuillage vaporeux, tacheté, comme la surface en-dessous, et sont
traversés par des branches ressemblant à des nerfs. La quatrième région,
le ciel, est un vide immatériel, pâle et lointain, dépourvu de soleil, avec une
silhouette qui s'étend de manière fantastique. La rare ligne d'horizon marquant le
point de vue du spectateur est vite perdue parmi les arbres et les rochers.
La Meule
Entre 1898 et 1900 - Toile 73 x 92 cm
" Cézanne peignit ce tableau dans le Midi, près de chez lui, à Aix.
Une photographie de l'endroit prouve qu'il fut remarquablement fidèle à la scène
qu'il avait vue ;elle lui offrait un exemple de chaos naturel marqué par l'homme :
les blocs abandonnés de pierres de taille. Les caractères de la peinture sont plus
intenses ou d'un autre ordre que ceux du site original.
C'est l'image d'un intérieur de nature, comme une caverne obstruée et sans
horizon ni sortie ; un site sauvagement romantique avec quelque chose de
mélancolique et de désespéré mais qui a la fascination d'un désordre formidable.
On dirait la grotte de l'aveugle et violent Polyphène, parsemée de débris humains
et naturels. Seule, la meule, avec sa forme lisse et centrée, curieusement placée
dans un coin, donne une note d'humanité; grâce à elle nous pouvons mesurer
l'agitation des autres formes. Pourtant sa pureté ou l'abstraction de sa forme la
fait paraître moins humaine que l'âpreté des rochers et des arbres.
L'espace en tant que forme creuse n'est pas bien défini ; le sol en pente se fond
avec les objets qui s'en élèvent et avec les masses de feuillage, dans un effet
vertical comme les naturers mortes de la même époque. Les lignes rayonnent dans
différentes directions à partir du même axe, ou bien elles se croisent en
mouvements opposés. C'est une peinture construite avec des formes instables,
sans lignes verticales ni horizontales, dont l'esprit est absolument anti-
architectural Cependant c'est une toile puissament organisée, dans laquelle on
découvre une recherche intense de l'harmonie, comme dans les oeuvres les plus
sereines.
L'appariement des éléments est surprenant : arbres, branches, rochers, pierres de
taille, ils vont tous par paire, mais l'oeil qui compose a été attentif au contraste
aussi bien qu'à la variation. La conception des arbres est spécialement belle, ils
sont tordus et divergents à gauche, plus courbés et parallèles à droite.
La trace diagonale sur le sol est une trouvaille intéressante : ligne ombrée à
l'extrême droite, continuée dans les blocs de pierre et se terminant dans une ligne
d'ombre plus lointaine, menée jusqu'à l'autre extrémité de la toile. Par sa pente et
sa belle courbure, par sa couleur changeante et le détail de ses ramifications, cette
ligne ressemble aux troncs des arbres et introduit sur le sol un élément qui
apparaît plus fortement dans les plans verticaux.
La couleur est une harmonie sombre de brun, de violet, de vert et de gris - des
tons mélangés qui appartiennent à un monde fermé et sans soleil. mais cette
gradation est éclairée par un coup de lumière orageux fait de clarté et d'ombre, qui
crée aussi un puissant modelé. Dans les rochers il y a d'audacieuses divisions de
surface modelées avec des contrastes abrupts de couleurs. L'ensemble est peint
avec une sûreté merveilleuse, mais aussi avec une passion approchant la furie.
Elle est rendue comme par un géant pour lequel ces objets feraient partie de son
monde famlilier.
https://www.youtube.com/watch?v=Qh_kNLVA2do
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