mardi 2 juin 2020

Paul Cézanne : Rochers

                             Entre 1894 et 1898 - Toile 73 x 92 cm

           " Dans les tableaux des époques précédentes, une barrière au premier plan

impliquait une position séparée d'où le peintre était à même de contempler une

vue paisible. Ici le paysage est formé essentiellement par un sol plein d'obstacles,

sans chemin et convulsé - un espace avec des failles et de  profondes  crevasses,

noyé dans un brouillard d'un pourpre sombre.


Les obstacles nous forcent au calme, mais nous ne pouvons les regarder avec

sérénité : ils nous imposent leur violence et leur agitation. Cet espace caverneux

est comme la vision d'un ermite désespéré.

Dans cette peinture sombre et passionnée, saturée d'une atmosphère de

catastrophe, il y a un remarquable développement intérieur. Dans la partie du bas,

les puissants rochers ont une étrange vie par leurs formes courbées et

amoncelées.

Nous discernons un vague profil humain en bas  et à droite et des indications de

physionomie - une tête renversée-  dans le rocher plus lumineux au centre avec

son rebord festonné. Plus loin, à gauche, le sol monstrueux fait des replis et se

tord en profondeur. En dessous de la couleur pourpre dominante se dégage le

caractère sous-jacent qu'elle recouvre, et de ses accents changeants s'élève

l'unique éclairage orange et jaune du rocher central.

De cette région faite de pulsations de formes nombreuses nous passons à une

barrière plus haute de rochers angulaires ; l'un d'eux est suspendu et

particulièrement architectural, ses bords tranchants comme ceux d'une pierre

taillée, ses pentes dirigées en avant et vers la gauche sont en opposition avec les

rochers moins élevés. De leur profondeur cachée s'élèvent des troncs d'arbres, qui

ont un feuillage vaporeux, tacheté, comme la surface en-dessous, et sont

traversés par des branches ressemblant à des nerfs. La quatrième région,

 le ciel, est un vide immatériel, pâle et lointain, dépourvu de soleil, avec une

silhouette qui s'étend de manière fantastique. La rare ligne d'horizon marquant le

point de vue du spectateur est vite perdue parmi les arbres et les rochers.


                                        La Meule

                      Entre 1898 et 1900 - Toile 73 x  92 cm




             " Cézanne peignit ce tableau dans le Midi, près de chez lui, à Aix. 

Une photographie de l'endroit prouve qu'il fut remarquablement fidèle à la scène

qu'il avait vue ;elle lui offrait  un exemple de chaos naturel marqué par l'homme :

les blocs abandonnés de pierres de taille. Les caractères de la peinture sont plus

intenses ou d'un autre ordre que ceux du site original.

 C'est l'image d'un intérieur de nature, comme une caverne obstruée et sans

horizon ni sortie ; un site sauvagement romantique avec quelque chose de

mélancolique et de désespéré mais qui a la fascination d'un désordre formidable.

On dirait la grotte de l'aveugle et violent Polyphène, parsemée de débris humains

et naturels. Seule, la meule, avec sa forme lisse et centrée, curieusement placée

dans un coin, donne une note d'humanité;  grâce à elle nous pouvons mesurer

l'agitation des autres formes. Pourtant sa pureté ou l'abstraction de sa forme la

fait paraître moins humaine que l'âpreté des rochers et des arbres.

L'espace en tant que forme creuse n'est pas bien défini ; le sol en pente se fond

 avec les objets qui s'en élèvent et avec les masses de feuillage, dans un effet

vertical comme les naturers mortes de la même époque. Les lignes rayonnent dans

différentes directions à partir du même axe, ou bien elles se croisent en

mouvements opposés. C'est une peinture construite avec des formes instables,

sans lignes verticales ni horizontales, dont l'esprit est absolument anti-

architectural Cependant c'est une toile puissament organisée, dans laquelle on

découvre une recherche intense de l'harmonie, comme dans les oeuvres les plus

sereines.

L'appariement des éléments est surprenant : arbres, branches, rochers, pierres de

taille, ils vont tous par paire, mais l'oeil qui compose a été attentif au contraste

aussi bien qu'à la variation. La conception des arbres est spécialement belle, ils

sont tordus et divergents à gauche, plus courbés et parallèles à droite.

La trace diagonale sur le sol est une trouvaille intéressante : ligne ombrée à

l'extrême droite, continuée dans les blocs de pierre et se terminant dans une ligne

d'ombre plus lointaine, menée jusqu'à l'autre extrémité de la toile. Par sa pente et

sa belle courbure, par sa couleur changeante et le détail de ses ramifications, cette

ligne ressemble aux troncs des arbres et introduit sur le sol un élément qui

apparaît plus fortement dans les plans verticaux.

La couleur est une harmonie sombre de brun, de violet, de vert et de gris - des

tons mélangés qui appartiennent à un monde fermé et sans soleil. mais cette

gradation est éclairée par un coup de lumière orageux fait de clarté et d'ombre, qui

crée aussi un puissant modelé. Dans les rochers il y a d'audacieuses divisions de

surface modelées avec des contrastes abrupts de couleurs. L'ensemble est peint

avec une sûreté merveilleuse, mais aussi avec une passion approchant la furie.

Elle est rendue comme par un géant pour lequel ces objets feraient partie de son

monde famlilier.

                https://www.youtube.com/watch?v=Qh_kNLVA2do





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