mardi 5 mai 2020

Van Gogh : verger d'oliviers, Cyprès

 Lettre à Emile Bernard : ( octobre 1889 )


 Les oliviers d'ici, mon bon, ça ferait votre affaire. Je n'ai pas eu de

chance  cette année pour les réussir, mais j'y reviendrai, à ce que je me

propose ; c'est de l'argent sur terrain orangeâtre ou violacé, sous le 

grand soleil blanc. J'en ai, ma foi, vu de certains peintres et de moi-

même qui ne rendaient pas du tout la chose. C'est comme du Corot

 d'abord, ce gris argent, et surtout cela n'a pas encore été fait, tandis

 que plusieurs artistes ont réussi les pommiers - par exemple- et les 

saules...


                                                                          Verger d'Oliviers

         septembre- octobre 1889 : Saint Rémy. Huile sur toile 72 X 92 cm

     " A l'asile de Saint Rémy, van Gogh reçoit de son ami Emile Bernard une 

lettre décrivant un récent tableau du Christ au jardin des Oliviers. Il répond

qu'il aimerait mieux peindre les oliviers juste devant sa fenêtre que ceux,

 imaginaires du jardin de l'Agonie. Il pensait que la réalité était la seule source

 de force, bien que son tourment le ramenât souvent aux idées religieuses de sa

 jeunesse.

Sa peinture du verger d'oliviers est fervente, entraînée par une vague d'intense

 émotion qui traverse la toile entière, communiquant la même ondulation

 irrégulière à la terre, aux arbres et au ciel. Pour terminer son oeuvre, le 

peintre signe son nom qui épouse un creux du sol.

Avec toute cette excitation des touches et les formes plus vastes qu'elles

 tissent, le tableau s'estompe sous une couleur moelleuse - en partie à cause

 de la gamme limitée de luminosité dans les trois grandes masses de bleu, de 

vert et d'ocre qui le composent. Les contrastes sont réduits et adoucis ; il n'y a

 pas de couleur pleinement saturée, au moins sur de grandes étendues ; une

 note de réverie imprègne toute cette agitation. L'équilibre des tons froids et 

chauds et la division de la toile en surfaces presque égales, étroitement jointes, 

de différentes teintes, ont un effet apaisant.

Les colorations de la terre, du ciel, du feuillage, des troncs d'arbres - concert de

 quatre instruments distincts - sont harmonisées par la reprise du bleu du ciel

 sur les troncs et les branches, des verts et des gris des arbres dans les ombres

 de la terre. Les lignes vigoureuses des branches se retrouvent dans la belle

 arabesque des silhouettes plus douces sur le ciel "


              Ces deux toiles sont à Otterlo. Pays Bas

                                        https://www.youtube.com/watch?v=Xdke1s3UGdo


Lettre à Gauguin (juin 1890)


 Mon cher ami Gauguin.

Merci de m'avoir de nouveau écrit mon cher ami et soyez assuré que

 depuis mon retour j'ai pensé à vous tous les jours. Je ne suis resté à

 Paris que trois jours et le bruit, etc., parisien me faisant une bien

 mauvaise impression, j'ai jugé prudent pour ma tête de ficher le camp

 pour la campagne, sans cela j'aurais bien vite couru chez vous.

Et cela me fait énormément plaisir que vous dites que le portrait de

 l'Arlésienne, fondé rigoureusement sur votre dessin, vous a plu.

J'ai cherché à être fidèle à votre dessin, respectueusement et pourtant 

 prenant la liberté d'interprêter  par le moyen d'une couleur dans le

 caractère sobre et le style du dessin en question.

C'est une synthèse d'Arlésienne si vous voulez ; comme les synthèses 

d'Arlésiennes sont rares, prenez cela comme une oeuvre de vous  et de

 moi, comme résumé de nos mois de travail ensemble. Pour le faire j'ai 

payé moi pour ma part encore d'un mois de maladie, mais aussi je sais 

que c'est une toile, qui sera comprise par vous, moi, et de rares autres,

 comme nous voudrions qu'on comprenne. Ici mon ami le Dr Gachet y 

est après deux, trois hésitations venu tout à fait et dit ; "Comme c'est 

difficile d'être simple". Bon, je vais encore souligner la chose en la

 gravant à l'eau-forte, cette chose là, puis basta. L'aura qui voudra.

Avez-vous vu aussi les oliviers? Maintenant j'ai un portrait du Dr Gachet

 à expression navrée de notre temps. Si vous voulez, quelque chose

 comme vous disiez de votre Christ au jardin des Oliviers, pas destinée à

 être comprise, mais enfin là jusque-là je vous suis et mon frère saisit 

bien cette nuance.

J'ai encore de là-bas un cyprès avec une étoile, un dernier essai - un 

ciel de nuit avec une lune sans éclat, à peine le croissant mince

 émergeant de l'ombre projetée opaque de la terre- une étoile à éclat

 exagéré, si vous voulez, éclat doux de rose et vert dans le ciel outremer

 où courent des nuages. En bas une route bordée de hautes cannes 

jaunes, derrière lesquelles les basses Alpines bleues, une vieille

 auberge à fenêtres illuminés orangées et un très haut cyprès, tout 

droit, tout sombre.

 Sur la route une voiture jaune attelée d'un cheval blanc et deux

 promeneurs attardés. très romantique, si vous voulez, mais aussi je

 crois de la Provence.

Probablement je graverai à l'eau-forte celle-là et d'autres paysages et

 motifs, souvenirs de Provence, alors je me ferai une fête de vous en 

donner un, tout un résumé un peu voulu et étudié.

 Mon frère dit que Lauzet, qui fait des lithographies d'après Monticelli a

 trouvé bien la tête d'Arlésienne en question.


                             La route aux cyprès. mai 1890 92 X 73 cm

    "La force de l'exaltation extatique de van Gogh confère à un paysage

 réel un caractère extra-terrestre. L'emplacement central du cyprès dominateur, 

entre le soleil et la lune et leurs vastes halos, laisse deviner la communion

 fervente de l'artiste avec ce qu'il voyait. Le cyprès, qu'il avait admiré pour sa 

force géométrique de lignes et comparé à un obélisque, apparaît comme une

 forme tendue, hérissée, une forêt verticale composée de deux arbres si mêlés 

que l'oeil ne peut les séparer, un clocher tourmenté et vivant, qui s'élève avec

 de brusques ondulations, déborde le tableau, dépasse le soleil et la lune.

  La terre est marquée d'ondes pareillement agitées dans le champ jaune et la 

route qui coule en cascade. L'écho affaibli s'en retrouve dans les taches vertes

 et au loin dans les arbres frissonnants. Contraste étrange avec cette agitation 

grandiose ; les deux hommes sur la route, la charrette jaune et son cheval, au 

fond, la maison éclairée ; éléments poétiques d'un réalisme simple, touchant et 

plaisant, ils occupent également leur place précise dans le mouvement de 

l'ensemble visionnaire. Si puissante est l'opposition du cyprès vertical, au 

centre, et des diagonales instables du sol que le tableau balance entre ces 

 ces deux attractions contrariées. l'artiste s'efforce du lui donner l'unité : la lune,

 le soleil et l'étoile du soir reposent sur une forte diagonale un peu courbe, 

comme la lisière du chemin d'en bas, un grand nuage conduit de l'étoile à la 

terre. L'exécution passionnée, la cadence des touches, commune à toute la toile,

 aident à fondre les parties antagonistes. Dans un monde où des objets aux

 formes pointues se croisent et s'affrontent avec véhémence, nous sommes 

saisis par la continuité des différents tracés de la brosse - concentriques dans

 le ciel, parallèles, onduleux et convergents sur la terre, enflammés dans les 

arbres. Le ciel par sa couleur froide, dégradée progressivement du bleu profond 

au blanc, s'apparente à la route plus lumineuse. Dans une autre gamme, les 

cyprès verts  sombre sont rattachés à la fois au champ jaune et au ciel ; les 

tons jaunes et orangés du soleil et de la lune, les jaunes de la voiture, le rouge 

des troncs nains des cyprès relient, par des mariages de couleurs sur des axes

 inclinés et croisés, leurs zones largement séparées.

Sur tout le tableau, quelle maîtrise dans la précision des petites taches de 

couleur, dont la beauté culmine quand elles nuancent et animent la teinte 

indescriptible de la route !"


  Les dessins de van Gogh sont aussi séduisants et puissants que ses toiles  :

     le dessin d'abord,


        Champ de blé et Cyprès  1889


                                          Roseau et mine de plomb  47 x 62 cm


   et la toile d'octobre 1889 : 72,5 x 91,5 cm




      " Quoique d'une agitation sans mesure, avec peu de lignes droites, ce 

paysage est un des plus classiques de conception dans toute l'oeuvre de van 

Gogh. Il est construit par longes bandes qui traversent l'espace entier. Les

 grands cyprès sombres sur un côté contrastent puissamment aves les

 horizontales prédominantes dont ils imitent  la forme. Les oppositions de tons

 froids et chauds, les proportions des diverses parties, la hauteur relative du

ciel et de la terre sur les deux côtés, les intervalles horizontaux que l'on peut

 mesurer sur la silhouette de la montagne lointaine, deus fois coupée par des

 arbres,  tout cela est parfaitement lisible et bien équiliberé.

Dans ce paysage, la perception de la nature et l'intensité des 

sentiments du peintre sont également prononcées. Le champ de blé éclatant, 

les oliviers d'un gris subtil, dans lesquels toutes les couleurs du tableau 

semblent résumées, les cyprès chevelus ondoyants et les montagnes

 turbulentes ont été merveilleusement observées, et la lumière qui remplit cet 

espace nous parait d'une vivante réalité. La clarté qui émane du ciel froid et de 

la terre chaude est réalisée autant par les couleurs locales que par le jeu des 

lumières et des ombres - van Gogh est libre de ces dernières et n'aspire guère

à être conséquent sur ce point.

C'est surtout dans le ciel que son émotion orageuse engendre d'étranges 

formes, qui nous transportent au delà de la nature. Ces formes tourmentées,

 monstueuses, tordues et enroulées, par endroits amoncelées et peu claires, 

évoquent des images de combats surnaturels. Les bleus doux, les lilas, les

 blancs et les verts de ce ciel sont répétées en masses moindres dans le

 paysage terrestre au-dessous, et les cieux fantastiques sont finalement 

absorbés dans l'univers familier et naturel. Ce dernier aussi est traversé

 d'énergies sauvages réclamant une libération ; elles déforment les objets moins

 qu'elles ne les intensifient. Ici le pinceau, impulsif et extatique, merveilleux 

dans sa fluidité, est fidèle à la structure des choses.

 La dualité du ciel et de la terre demeure - le premier, léger, doux, avec des

 rondeurs, plein de fantaisie et de suggestions animales ; la terre, plus ferme,

 plus dure, plus haute en couleur, avec des contrastes plus forts, des zones plus 

distinctes et peut-être de nature masculine. On peut encore interpréter cette

 dualité comme celle du réel et de ce qui est confusément désiré ou imaginé.

 Les cyprès les joignent l'un à l'autre dans la seule verticale du tableau, comme

 dans la nuit étoilée, dont cette oeuvre est en quelque sorte une réplique 

diurne."

                     https://www.youtube.com/watch?v=sJwi1GvuCHo

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