mercredi 29 avril 2020

Van Gogh : autoportraits

Début 1888, Paris Huile sur toile 65x 50,5

"Durant son séjour à Paris, van Gogh réalise en moins de deux ans, vingt-deux 

autoportraits, deux fois autant qu'il en devait peindre dans les deux années qui

 lui restaient à vivre. Comparée au nombre des autoportraits de Rembrandt ;

un peu plus de soixante en quarante ans, l'abondance des portraits de van Gogh

 est étonnante, plus étonnante encore en regard de la gaieté et de l'expansivité 

de beaucoup de ses peintures parisiennes. 

Maladies, querelles, et le conflit - important dans son oeuvre du début de la fin

 -  entre les exigences de l'art nouveau et les valeurs personnelles 

profondément enracinées le rejettent sur lui-même.

Dans quelques uns de ses portraits on voit un visage profondément ardent, 

troublé, qui cherche et qui lutte pour découvrir sa voie.
 
Ce dernier autoportrait  de sa période de Paris est le chef-d'oeuvre de la série,
 
 il résume ce qu'il a appris durant ces deux années. 

  Largement recouvert par l'ombre, il est pourtant tout entier pénétré de

 lumière, avec, dans cette ombre, sa plus grande masse de couleur riche : le 

bleu ; les mêmes rouges et verts apparaissent dans l'ombre  et en pleine 

lumière. Le ton verdâtre fait ressortir l'intensité de la barbe et recouvre les traits

 contractés et méditatifs, valeur la plus sombre de l'oeuvre. Le contraste du clair

 et de l'obscur, comme celui du rouge et du vert, suggère un contraste dans la 

personnalité, qui se manifeste dans la différence entre les deux côtés du visage

 : l'un plus ténébreux, plus déprimé, est prisonnier de l'angle de la haute toile,

 l'autre, plus clair, plus actif, plus ouvert, domine son espace et surmonte les 

deux godets, sombres comme les yeux, la palette et la main, avec leur jeu plus 

dégagé de rouges et de verts. Les accords majeurs de jaune et de bleu, de vert

 et de rouge s'entrelacent et circulent à travers l'espace tout entier avec une

 périodicité inattendue - utilisation imaginative de la couleur par delà la 

technique et les règles. Le dosage de menues taches contrastées - leçon des 

néo-impressionnistes, appliquée librement, sans esprit doctrinaire - donne à la

 surface une grande variété et accentue ls formes ; le fond est traité, sans perte

 de luminosité, d'une manière plus traditionnelle.

Sous cet ensemble massif, fermement construit, coule un sentiment d'instabilité 

; les puissantes diagonales de la palette et des pinceaux, qui rejoignent celles 

du chevalet  et du montant du châssis, constituent un réseau irrégulier qui 

comprend les diagonales brisées de la blouse. Toutes ces lignes contribuent à 

l'expression de la tête, qui posséde des formes aussi angulaires, étroitement 

emboîtées, et ne paraît arrondie que relativement aux angles plus aigus du

 dessous".































Autoportrait 1887 

-Carton. 42x33cm
































Autoportrait.  Carton 

1887 19 x 14cm




 Lettre à Théo  (septembre 1189)

... On dit - et je le crois fort volontiers- qu'il est difficile de se connaître

 soi-même  - mais il n'est pas aisé non plus de se peindre soi-même. 

Ainsi je travaille à deux portraits dans ce moment - faute d'autre

 modèle - parce qu'il est plus que le temps que je fasse un peu de 

figure. L'un je l'ai commencé le premier jour que je me suis levé, j'étais 

maigre, pâle comme un diable. C'est bleu violet fonçé et la tête 

blanchâtre avec des cheveux jaunes, donc un effet de couleur.

Mais depuis j'en ai commencé un de trois-quarts sur fond clair. Puis je 

retouche des études de cet été - enfin je travaille du matin jusqu'au soir.

 Est-ce que tu vas bien - bigre je voudrais bien pour toi que tu fusses 

deux ans plus loin et que ces premiers temps de mariage, quelque beau

 que ce soit par moments, fussent derrière le dos. Je crois si fermement 

qu'un mariage devient surtout bon à la longue et qu'alors on se refait le

 tempérament... 



 Septembre 1889.  Saint-Rémy.  Toile 57 x43 cm

  "Le bleu partout répandu de ce portrait, plus chaud, plus violet dans le fond, 

plus froid dans les vêtements, engendre une atmosphère que les mots sont 

impuissants à rendre, mais dont le sens d'intériorité ne saurait échapper. Non

 seulement le bleu est commun au costume et à l'entourage "abstrait" mais le

 jeu vivant du pinceau qui construit le fond cerne  comme une auréole, de ses

 traces entrecroisées, les bords changeants de la tête ; il se conforme en même

 temps, dans son flot véhément, aux rythmes passionnés des touches qui 

modèlent le costume et la chevelure. D'une cavité sombre au centre de ce bleu 

émerge la tête avec une ardente intensité -le croissant et la chevelure et de la 

barbe est comme la lune dans la "Nuit étoilée". Le visage est en grande partie 

dans l'ombre, une ombre trasparente magnifiquement peinte, riche en verts et 

en bleus, voile sombre à travers lequel pointent les yeux cernés de rouge, 

scrutateurs et tristes.  En peigant la chevelure, la moustache et la barbe, van

 Gogh oublie l'ombre, donnant à ces morceaux leur pleine force de couleurs

 lumineuses exceptionnelles, avec des verts, des garance et des rouges 

entremêlés. Un courant d'ombre claire, enjambé par le noeud de la blouse,

 monte du coin émoussé, relevé vers le haut, de la palette, qui fait écho au 

visage. Ici les couleurs sont couchées en ligne horizontale, adaptées de façon

 surprenante au bord de la toile, défiant la perspective de la palette elle-même. 

Les pinceaux en jaillissent, ainsi que les lignes de la blouse, en une sorte 

d'éventail qui va de la tache violette au-dessous au coin d'arrière-plan en dessus

 - formes triangulaires répétées et inversées dans les surfaces proches, et qui

 culminent dans la région pathétique de l'oeil droit. La tête tournée vers la

 droite, en même temps que la palette, donne à ce côté une qualité plus 

abrupte, plus resserrée, plus tendue ; l'autre moitié est arrondie et continue 

dans  ses formes. En même temps, van Gogh, avec une certaine sensibilité 

classique dans sa nouvelle manière curviligne, a continué le bord creux du 

visage dans la ligne de l'épaule droite, produisant dans ce large tracé en 

croissant une symétrie cachée des deux côtés de la tête et des épaules dans un 

pose de trois-quarts. Ce portrait, dans sa perfection de joyau et sa profondeur 

de sentiment, nous permet de mesurer le grand progrès de van Gogh depuis le 

dernier de ses autoportraits parisiens ; il correspond à une plus intime 

connaissance de soi aussi bien qu'à un énorme développement de sa puissance

 d'expression."

 (Magnifique analyse !! )




 

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