mardi 2 novembre 2021

La Maison de Prières

  C'est ainsi qu'Henri Pourrat  intitule les pages qu'il consacre à Orcival.

 En ce qui me concerne,  c'était un dimanche, l'office était en cours aussitôt suivi

 par la cérémonie d'un baptême,  et l'attente a été de ce fait assez longue...

 heureusement il faisait beau, et les lourdes portes de cèdre se sont enfin 

ouvertes.

 Contrairement à ma dernière visite de 2019 la clarté intérieure du sanctuaire était

 plus vive et sa Vierge en Majesté moins plongée dans l'obscurité.

 


 

 Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce cinquième joyau du roman auvergnat, 

avant de passer au texte d'Henri Pourrat,  un bref rappel historique s'impose.

 Mais au fond ne fait-il pas aussi bien sinon mieux que moi pour vous la décrire !!!

" Le monde avait pris un air ardu et dru que je ne lui ai vu que dans

 ces cantons-là. Ah ! que l'herbe était verte. Et le basalte devait 

être diablement dur, dessous. On avait retaillé les foins. Cela

 faisait des pelouses rigoureusement nettes, où pas un frêne isolé ne

 traînait, pas une touffe de vergne. La pastorale ne s'affadira pas,

 ici.

On sent que l'herbage est pris trop au sérieux pour n'être pas tenu 

comme il se doit. Tout ce qui aurait aimé s'égailler, on l'a fait

 rentrer dans ces haies d'arbres qui marquent les limites. Sous leur 

haut toit lisse, les fermes ont des arêtes vives. Les éboulis même, au

 flanc de ces rampes, sont creusés en rond comme des écuelles. 

 Chaque forme est sévèrement dessinée. Oui, un pays de gazon, dont la

 bosse se relève par crans et cassures, tracés à larges courbes contre

 le bleu du beau temps.

Dans les branchages est apparu un bizarre clocher octogonal, à deux

 étages ; puis sur le côté d'un bourg à poivrières de manoirs, à

fontaines chantantes, nous avons découvert le sanctuaire le plus en 

renom de l'Auvergne. Les pèlerins se signent dès qu'ils l'apeçoivent

 et invoquent par trois fois Notre-Dame d'Orcival.On dit même qu'il y

 a dans les paroisses des pierres "signades", levées aux points qui le

 regardent, de façon que celui qui passe se tourne vers le clocher

 fameux, et dise un Je vous salue... Nous arrivions, nous trouvions

 devant le porche les baraques à chapelets et à cierges.

(Ce qui n'est plus le cas) 

L'église est bien aussi longue que Notre Dame du Port (Clermont-

Ferrand)  et elle est plus ample. Un biais assez austère, non pas sans

 grandeur ni sveltesse. On la donne pour une oeuvre du XI ème siècle,

 le clocher étant un peu moins antique. Les portes aux belles 

pentures, seraient en cèdre du Liban et rapportées des croisades !

La nef reste claire dans son gris de cendre, éclairée de quatre-vingt

 verrières, et peuplée de colonnes à chapiteaux imagés qui montent

 bien vers la voûte ronde.La crypte passe pour plus vaste qu'aucune

 autre de ces pays.


 Ourchevau, comme disent les montagnards, ce serait la source de la 

vallée ; celle où on célébrait à l'arrière saison les fêtes druidiques

 et qui devint la fontaine de Notre-Dame. Aujourd'hui, un oratoire la

 signale encore dans la montagne. Certaine chronique de Provence

 relate que vers l'an 878 des reliques de la Vierge furent portées,

 partie à Rocamadour, partie à "Orcivaus in Auvergnia".

Selon M. l'abbé Quinty, curé-doyen l'église d'alors devait être sise

 sur la colline faisant face à la source, et nommée le Tombeau de la 

Vierge. La statue miraculeuse avait été trouvée là dans une cachette

, sous les décombres. Peut-être  n'a-t-on plus que la copie gothique

 de la primitive icône qui aurait été sculptée par saint Luc. la 

Vierge est dans une chaire, assise et tenant l'enfant Jésus assis sur

 elle. Dans ses voiles aux plis roides, elle semble sévère, avec l'air

 de bonté et de grand gouvernement que doit avoir une maîtresse de

 domaine. C'est une Vierge noire. (elle ne l'est plus )



Ces figures n'étaient  pas d'ailleurs noires lorsqu'elles sortirent 

des mains du statuaire : la mode courut de les teindre ainsi, on ne 

sait trop ni quand ni pourquoi. Lorsque l'ayant tirée des ruines, on 

eut décidé de lui bâtir une grande église, ce fut naturellement sur 

cette colline du Tombeau. On attaqua les cantiques, et, hardi, à 

l'ouvrage ! Le lendemain tout était à bas. On s'étonna, on reprit le

 travail : il n'avançait pas comme il aurait dû. Finalement, le 

maître de l'oeuvre fit tournoyer son marteau et l'envoya dans les airs

 : "Là où il tombera, là se bâtira l'église." L'outil s'envola et

alla tomber à plus de trois cents pas, à la racine de la montagne. Il

 fallut détourner le ruisseau et entailler la pente, mais on 

connaissait les désirs de la Vierge : rien n'arrêta les bâtisseurs.

Il arriva toutefois que lorsque la statue fut logée dans sa demeure

 nouvelle, elle la quitta d'elle-même et fit retour au Tombeau.

 Ramenée en pompe à la basilique, elle retournait sans cesse sur sa

 colline. On établit donc cette coutume de porter processionnellement

 là-haut la statue miraculeuse pour la fête de l'Ascension.

 Ce furent sans doute les moines de la Chaise-Dieu qui firent élever

 l'église.

  (à la fin du Vème siècle devant l'affluence des pèlerins l'évêque de Clermont et Guillaume VII d'Auvergne décidèrent de construire cette église aux dimensions importantes, aidés par les moines bâtisseurs de la Chaise-Dieu)

Et puis, vers l'an 1200, au prieuré bénédictin succéda une communauté

 de prêtres filleuls qui compta parfois plus de cinquante membres. 

Le sanctuaire était devenu l'un des plus fréquentés du royaume. Des 

rois, Philippe dit Le Long et Charles dit Le Bel, des barons, des 

 prélats, des marchands, des laboureurs, l'enrichissaient de dons, 

de fondations. Lorsque de mauvaises fièvres passaient, les paroisses 

décimées Thiers  ou Issoire, Montluçon ou Vic-le-Comte, se tournaient

vers Notre-Dame d'Orcival. Jusqu'en 1789, les échevins de Clermont 

vinrent chaque lundi de Pentecôte rendre un voeu fait lors d'une

 effrayante peste. La paroisse de Royat, plus fidèle parce qu'en air

 plus pur, s'y rend toujours à cette date.Pour le grand pèlerinage de

 l'Ascension, l'église  et la crypte sont pleines, pleines à étouffer,

 et une épingle ne tomberait pas à terre. Par tous les sentiers,

 chantant ou dévidant des dizaines d'Ave, dévalent les gens de la 

montagne. Les voilà avec leurs vivres de la journée, et de leur presse

 monte une chaude odeur d'étable, de fromage et de foin.

 Dès la veille, après vêpres, durant quatre ou cinq heures, ils

 défilent devant la statue, la touchant d'un chapelet  ou d'un ruban

 de pèlerinage. Ils feront aussi leurs romagnes, s'agenouillant devant

 chacun des sept autels, iront remplir leurs fioles et bidons à 

l'antique source. Vers huit heures, sort une double procession. Aux

 lumières des cierges, l'une monte vers le Tombeau, l'autre vers la

 chapelle de la source. Puis celle de la chapelle  entonne l'Ave Maria

 Stella,  et l'autre, du tombeau, lui répond, strophe par strophe.

 Lorsqu'elles regagnent l' église, commence la nuit sainte, toute aux 

sermons, aux cantiques, à la messe de minuit qui avec tant de

 communions, va jusqu'aux messes  basses de l'aube.


 

Mgr de Clermont est toujours là pour la grand'messe, après laquelle

 huit prêtres et laïcs, pieds nus dans les cailloux, portent la statue

 miraculeuse là-haut, au Tombeau de la Vierge. Telle année, les

 pèlerins qui la suivent sont dix ou douze milliers. Il est de 

tradition qu'ensuite ils mangent leurs vivres sur l'herbe des prés, 

parmi les giboulées qui ne sont pas rares en mai, dans ces montagnes.

 Ce soir-là autos et carrioles se suivent à la file durant des 

kilomètres. Comment l'ont-ils vue, les gens d'ici, celle à qui 

 demander assistance ? Non pas comme la madone de la vie en sa fleur,

 la jeune mère gracieuse qui tient près du bambin la grappe ou la 

rose brûlante. C'est la reine de grand ordre, la bonne, grave, qui

 sait toute la peine qu'il y a dans les maisons . Ils la nommaient

 Notre- Dame des Fers. Je crois qu'on voit encore au-dessus de la 

porte du transept quelques menottes suspendues, et les fiches de fer

 auxquelles, anciennement, les chaînes de prisonniers délivrés étaient

 accrochées par liasses.  (il y en a encore)  Mais qui n'est pas aux fers,

 en ce monde brutal.

Il n'y a personne dans l'église. La porte ouverte donne sur un silence

 qu'on sent s'étendre par delà les bruits calmes du bourg. On décharge

 un char de fagots devant chez le boulanger; des voix sonnent dans un 

jardin ; une cruche s'emplit sous la fontaine. Ce qui touche ce sont 

ces ex-voto naïfs, dans le choeur, où la statue miraculeuse 

miraculeuse a sa place sur le tabernacle.

Il y a des cadres, des fleurs en papier, des photographies, des cartes

 postales. Sur les deux piliers du fond, je lis ces gribouillages sans

 orthographe : "Notre Dame d' Orcival, c'est moi qui est le plus 

besoin de vous". "Bénissez l'avenir de Jeanne" "Faites que mon petit

 garçon guérisse". On prend le sentiment de tant de peines, le 

sentiment de ces vies, dans les fermes, dans les moulins,au creux des 

combes, dans l'épicerie ou le débit de tabac du bourg. Si l'on savait

 penser plus souvent à ces angoisses ; à ceux, qui à cette heure même,

 dans le deuil, dans la honte, n'ont plus ni courage ni espérance...

 Ni espérance : pense à ce mot. Ils sont de la race opiniâtre qui ne 

peut pas croire qu'en s'efforçant de tout son coeur, elle ne trouvera

 pas la force de vivre. La montagne, c'est le pays du Quand même, et

 du temps clair, au bout de la montée, Notre-Dame d'Orcival, Notre

 Dame des Fers, c'est Notre-Dame de la Délivrance".

                                          Henri Pourrat 1935 

Dans le bourg une jolie enseigne

 





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