Van Gogh, nous donne ici les clés de sa création et c'est une grande chance d'en avoir la teneur.
Mon cher Théo août 1889
Sous peu tu vas faire connaissance avec le sieur Patience Esacalier, espèce d'homme à la houe, vieux bouvier camarguais, actuellement jardinier dans un mas de la Crau. Aujourd'hui même je t'envoie le dessin que j'ai fait d'après cette peinture, ainsi que le dessin du facteur Roulin.
La couleur de ce portrait de paysan est moins noire que les mangeurs de pommes de terre de Nuenen - mais le très Parisien Portier, probablement ainsi nommé parce que il fout les tableaux à la porte, s'y retrouvera le nez devant la même question. Maintenant toi depuis as changé, mais tu verras que lui n'as pas changé, et vraiment c'est dommage qu'il n'y ait pas davantage de tableaux en sabots à Paris. Je ne crois pas que mon paysan fera du tort par exemple au Lautrec que tu as, et même j'ose croire que le Lautrec deviendra par contraste simultané encore plus distingué, et le mien gagnera par le rapprochement étrange, parce que la qualité ensoleillée et brûlée, hâlée du grand soleil et du grand air se manifestera davantage à côté de la poudre de riz et de la toilette chic.
Quelle faute que les Parisiens n'ont pas pris assez goût aux choses rudes, aux Monticelli, à la barbotine. Enfin je sais que l'on ne doit pas se décourager parce que l'utopie ne se réalise pas.
Il y a seulement que je trouve que ce que j'ai appris à Paris s'en va, et que je reviens à mes idées qui m'étaient venues à la campagne, avant de connaître les impressionnistes.
Et je serais peu étonné, si sous peu les impressionnistes trouvaient à redire sur ma façon de faire qui a été plutôt fécondée par les idées de Delacroix, que par les leurs.
Car au lieu de chercher à rendre exactement ce que j'ai devant les yeux, je me sers de la couleur plus arbitrairement pour m'exprimer fortement.
Enfin laissons cela tranquille en tant que théorie, mais je vais te donner un exemple de ce que je veux dire.
Je voudrais faire le portrait d'un ami artiste, qui rêve de grands rêves, qui travaille comme le rossignol chante, parce que c'est ainsi sa nature. Cet homme sera blond. Je voudrais mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j'ai pour lui.
Je le peindrai donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai, pour commencer. Mais le tableau n'est pas fini ainsi.
Pour le finir je vais maintenant être coloriste arbitraire.
J'exagère le blond de la chevelure, j'arrive aux tons orangés, aux chromes, au citron pâle.
Derrière la tête, au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l'infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison, la tête blonde, éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l'étoile dans l'azur profond.
Pareillement dans le portraot de paysan j'ai procédé de cette façon. Toutefois sans vouloir dans ce cas évoquer l'éclat mystérieux d'une pâle étoile dans l'infini. Mais en supposant l'homme terrible que j'avais à faire en pleine fournaise de la moisson, en plein midi. De là des orangés fulgurants comme du fer rougi, de là des tons de vieil or lumineux dans les ténèbres.
Ah, mon cher frère... et les bonnes personnes ne verront dans cette exagération que de la caricature. Mais qu'est ce que cela nous fait, nous avons lu "La Terre" et" Germinal", et si nous peignons un paysan, nous aimerions montrer que cette lecture a un peu fini par faire corps avec nous.
Je ne sais si je pourrai peindre le facteur comme je le sens, cet homme est comme le père Tanguy en tant que révolutionnaire, probablement il est considéré comme bon républicain parce qu' il déteste cordialement la république de laquelle nous jouissons, et parce qu'en somme il doute un peu et est un peu désenchanté de l'idée républicaine elle-même.
Mais je l'ai vu un jour chanter la Marseillaise, et j'ai pensé foir 89, non pas l'année prochaine mais celle d'il y a quatre-vingt-dix-neuf ans. C'était du Delacroix, du Daumier, du vieux hollandais tout pur. Malheureusement cele ne se pose pas, et pourtant il faudrait pour pouvoir faire le tableau, un modèle intelligent.
Vieux Paysan. Arles Août 1888
"Arrivant de Paris en Provence, van Gogh redécouvrit les paysans qui
avaient été son motif principal durant ses premières années de peinture en
Hollande. Ce paysan méditerranéen est pétri de soleil aussi bien que de terre ;
sa substance rayonne, sans perdre son brun terrestre ; son sarrau bleu et le
fond orangé brûlé sont le ciel et la terre renversés de Provence. On est
pourtant envoûté par cette image profonde de l'homme, qui nous parle d'abord
par ses yeux et ensuite par tout son visage et exprime aussi sa force par ses
mains magistralement dessinées, et finalement par sa pose, son costume, le
compartimentage même de l'espace qu'il domine. D'une force âpre, d'une
grande simplicité et d'une grande franchise dans sa large représentation , le
portrait est centré sur un visage d'une profondeur et d'une complication
insondables. Chaque trait est un univers avec ses formes, ses couleurs, son
mouvement et son caractère propres, tous ces traits trouvant leur unité dans la
gravité de ce vieux paysan fixé dans une attention soutenue. Le simple pouvoir
de représentation est stupéfiant ; la luminosité des yeux cernés de rouge, le
hérissement coloré de la barbe, tout a été pénétré par la robustesse et la vitalité
d'une technique variée qui semble suivre des tracés préexistants et suggère un
rythme organique de la tête. Un grand goût -disons plutôt une gande
intelligence - apparaît dans la gradation et le contraste des différentes parties,
tout en respectant la plénitude du détail ; la région suprême du visage, qui
contient toutes les couleurs du tableau, comme la source de la palette, sous le
rebord brun de couleur uniforme qui l'ombrage, le chapeau jaune au-dessus,
simple quoique plus brisé ; la blouse bleue complémentaire du fond, mais plus
divisée et reliée par ses nombreux plis aux rayures de la barbe ; les trois
taches rouges de la cravate et des manches dans un dessin fort et concentré qui
enserre les mains et supporte la tête. C'est là peut-être le dernier portrait
réaliste de paysan dans la tradition de la peinture occidentale. C'est peut-être
aussi le seul grand portrait de paysan."
Ah mon Dieu oui !! c'est un chef d'oeuvre! Logiquement je voulais suivre
avec le portrait du facteur et de Tanguy mais ils n'ont, à mon sens, pas la
profondeur, la vérité de celui-là. Ils ne vont pas soutenir la comparaison, je vais
choisir une transition.
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