C'est parce que nous avons évoqué cette toile que je vous la propose ce matin
et au regard de ce que nous avons vu précédemment, le changement est
brutal, elle est peinte entre septembre et octobre 1886 à Nuenen, très
"hollandaise" par conséquent !!
Cher Théo
J'ai reçu ta lettre à midi. J'ai voulu y répondre sur le champ.
Je suis désireux de me faire une idée du Salon, aussi et surtout d'après
le tableau de Roll.
Je ne suis pas étonné que Durand-Ruel, par exemple, n'ait pas encore
pris connaissance des dessins.
Et même je préfère que Portier n'exagère pas, à dire qu'il les trouve
beaux. Du moins, je sens que je puis faire mieux, car justement je suis
en train de changer, et même au point de trouver indécis ce que je
faisais avant.
Je pense que tu verras ce que je veux dire par le tableau des mangeurs
de pommes de terre et que Portier le comprendra. Toutefois il est très
sombre et, pour le blanc par exemple, il n'y est pour ainsi dire pas
employé de blanc une seule fois, mais simplement la couleur neutre qui
se forme quand on mélange du rouge, du bleu, du jaune, par exemple
du vermillon, du bleu de Paris et du jaune de Naples. Le motif ici est un
intérieur gris éclairé par une petite lampe.
Cette couleur est donc en soi un gris franc, mais elle fait blanc dans le
tableau. Je vais te dire pourquoi je fais cela.
Le tapis de table en toile grise, le mur enfumé, les bonnets poussiéreux
que les femmes portaient pour aller travailler aux champs, tout cela,
quand on le voit en clignant les yeux, semble être à la clarté de la
lampe, d'un gris très foncé, et la lampe, bien que donnant une lueur
d'un jaune roux, paraît encore plus claire, et même plus sensiblement
plus claire que le blanc en question.
Et puis, il y a la couleur des chairs. Je sais bien que ces couleurs là,
quand on les considère superficiellement, c'est-à-dire si l'on n'y
réfléchit pas un peu,ressemblent à ce que l'on appelle la couleur chair.
Or, quand j'ai commencé le tableau, je les ai faites d'abord avec un peu
d'ocre jaune, d'ocre rouge et de blanc par exemple.
Mais cela faisait beaucoup trop clair et n'allait décidément pas.
Que faire? j'avais déjà peint les têtes, même elles étaient assez bien
achevées, avec beaucoup de soin ; et bien je les ai repeintes, sans
hésiter, sans pitié, et la couleur avec laquelle elles sont faites est à peu
près celle d'une pomme de terre bien poussiéreuse, naturellement non
épluchée.
En peignant cela, je pensais encore à ce qu'on a dit, si justement, des
paysans de Millet "Ses paysans semblent peints avec la terre qu'ils
ensemencent".
Propos auquel je me suis efforcé de penser malgré moi, chaque fois que
je les voyais travailler, dehors comme dedans.
Je tiens également pour certain que si on demandait à Millet, à
Daubigny, à Corot de peindre un paysage de neige sans employer de
blanc, ils le feraient, et que la neige paraitraît blanche dans leur
tableau...
Etude de mains : 1885. Fusain 21 x 34 cm
" Etabli comme une somme de l'oeuvre et des recherches antérieures de van
Gogh, ce tableau exprime ausssi très fortement et très pleinement ses
conceptions sociales et morales. C'était un peintre de paysans, non par goût du
pittoresque - bien qu'il fût sensible à la totalité de leur aspect - mais par affinité
et solidarité profondes avec des pauvres gens dont la vie, comme la sienne
propre, était chargée de soucis. Vincent trouvait dans le repas collectif la
circonstance où leur humanité et leur beauté morale se révèlent d'une façon
saisissante ; ils apparaissent alors dans une communauté étroite, fondée sur le
travail et le partage des fruits de ce travail. La table est leur autel, et la
nourriture, un sacrement pour chacun de ceux qui ont participé au labeur.
Sous l'unique lumière, à cette table commune, l'isolement de l'individu est
surmonté et aussi la dureté de la nature - pourtant chacune de ces figures
garde une pensée propre, et deux d'entre elles semblent au bord d'une muette
solitude. Les couleurs de l'intérieur sombre, bleu, vert et brun nous ramènent à
la nature extérieure. Il y a une puretré touchante et une beauté rustique dans
les visages et les mains de ces paysans - par la couleur et le modelé ils
ressemblent aux pommes de terre qui les nourrissent. C'est la pureté d'âmes
familières chez qui le souci des autres et le dur combat avec la terre et les
intempéries laissent peu de place pour l'égoisme.
La composition prend une force rude qui résulte en partie d'une mise en place
naïve. Et dans la gaucherie de van Gogh, qui rend aussi, comme il l'entendait, la
gaucherie de ses modèles, il y a une source de mouvement. Le groupement des
personnages sur les côtés de la table est curieux ; le mur entre les deux
figures de droite crée un compartimentage étrange de l'espace intime.
De l'atmosphère assombrie se détachent de remarquables morceaux de
peinture, découlant des études tenaces ; les tasses de café, avec leurs ombres
grises ; les pommes de terre sur l'écuelle : et les têtes magistrales qui, dans
leur isolement l'une de l'autre révèlent les portraits préparatoires d'où elles
sont copiées. les yeux des deux paysans de gauche brillent d'une lumière
intérieure, et les ombres sur leurs traits expriment plus le modelè de leur
caractère qu'un phénomène de pénombre.
" J'aime mieux peindre les yeux des hommes que les cathédrales"
écrivait peu après Vincent."
Homme bêchant ; 1882 Crayon etr encre 47 x 29 cm
Faucheur : 1885 Fusain 43 x 55 cm
plus personne ne va dans les champs en sabots...Les souliers étaient du luxe
réservés aux Dimanches où l'on se faisait beau pour aller à la messe ; les femmes enlevaient leurs chaussures et allaient pieds nus aux fêtes du village pour les économiser et même au début du XX ème siècle les gamins allaient en galoches de bois souvent cloutées pour éviter l'usure.
Quel chemin parcouru, seuls les soucis n'ont pas disparu !!
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