vendredi 15 mai 2020

Van Gogh : Les mangeurs de pommes de terre

 C'est parce que nous avons évoqué cette toile que je vous la propose ce matin

  et au regard de ce que nous avons vu précédemment, le changement est

brutal, elle est peinte entre septembre et octobre 1886 à Nuenen, très

"hollandaise" par conséquent !!



 Cher Théo

J'ai reçu ta lettre à midi. J'ai voulu y répondre sur le champ.

 Je suis désireux de me faire une idée du Salon, aussi et surtout d'après

  le tableau de Roll.

Je ne suis pas étonné que Durand-Ruel, par exemple, n'ait pas encore 

 pris connaissance des dessins.

 Et même je préfère que Portier n'exagère pas, à dire qu'il les trouve 

beaux. Du moins, je sens que je puis faire mieux, car justement je suis 

en train de changer, et même au point de trouver indécis ce que je 

faisais avant.

Je pense que tu verras ce que je veux dire par le tableau des mangeurs 

de pommes de terre et que Portier le comprendra. Toutefois il est très 

sombre et, pour le blanc par exemple, il n'y est pour ainsi dire pas 

employé de blanc une seule fois, mais simplement la couleur neutre qui 

se forme quand on mélange du rouge, du bleu, du jaune, par exemple 

du vermillon, du bleu de Paris et du jaune de Naples. Le motif ici est un 

intérieur gris éclairé par une petite lampe.

 Cette couleur est donc en soi un gris franc, mais elle fait blanc dans le 

tableau. Je vais te dire pourquoi je fais cela.

Le tapis de table en toile grise, le mur enfumé, les bonnets poussiéreux 
 
que les femmes portaient pour aller travailler aux champs, tout cela, 

quand on le voit en clignant les yeux, semble être à la clarté de la 

lampe, d'un gris très foncé, et la lampe, bien que donnant une lueur 

d'un jaune roux, paraît encore plus claire, et même plus sensiblement 

plus claire que le blanc en question.

Et puis, il y a la couleur des chairs. Je sais bien que ces couleurs là, 

quand on les considère superficiellement, c'est-à-dire si l'on n'y 

réfléchit pas un peu,ressemblent à ce que l'on appelle la couleur chair. 

Or, quand j'ai commencé le tableau, je les ai faites d'abord avec un peu 

d'ocre jaune, d'ocre rouge et de blanc  par exemple.

Mais cela faisait beaucoup trop clair et n'allait décidément pas.

Que faire? j'avais déjà peint les têtes, même elles étaient assez bien 

achevées, avec beaucoup de soin ; et bien je les ai repeintes, sans 

hésiter, sans pitié, et la couleur avec laquelle elles sont faites est à peu 

près celle d'une pomme de terre bien poussiéreuse, naturellement non 

épluchée.

 En peignant cela, je pensais  encore à ce qu'on a dit, si justement, des 

paysans de Millet "Ses paysans semblent peints avec la terre qu'ils 

ensemencent".

Propos auquel je me suis efforcé de penser malgré moi, chaque fois que

je les voyais travailler, dehors comme dedans.

 Je tiens également pour certain que si on demandait à Millet, à

 Daubigny, à Corot de peindre un paysage de neige sans employer de 

blanc, ils le feraient, et que la neige paraitraît blanche dans leur 

tableau...


                               Etude de mains : 1885.  Fusain 21 x 34 cm



   " Etabli comme une somme de l'oeuvre et des recherches antérieures de van

 Gogh, ce tableau exprime ausssi très fortement et très pleinement ses 

conceptions sociales et morales. C'était un peintre de paysans, non par goût du

 pittoresque - bien qu'il fût sensible à la totalité de leur aspect - mais par affinité

 et solidarité profondes avec des pauvres gens dont la vie, comme la sienne 

propre, était chargée de soucis. Vincent trouvait dans le repas collectif la

 circonstance où leur humanité et leur beauté morale se révèlent d'une façon 

 saisissante ; ils apparaissent alors dans une communauté étroite, fondée sur le 

travail et le partage des fruits de ce travail. La table est leur autel, et la

 nourriture, un sacrement pour chacun de ceux qui ont participé au labeur.

Sous l'unique lumière, à cette table commune, l'isolement de l'individu est

 surmonté et aussi la dureté de la nature - pourtant chacune de ces figures

garde une pensée propre, et deux d'entre elles semblent au bord d'une muette 

solitude. Les couleurs de l'intérieur sombre, bleu, vert et brun nous ramènent à 

la nature extérieure. Il y a une puretré touchante et une beauté rustique dans

 les visages et les mains de ces paysans - par la couleur et le modelé ils 

ressemblent aux pommes de terre qui les nourrissent. C'est la pureté d'âmes 

familières chez qui le souci des autres et le dur combat avec la terre et les 

intempéries laissent peu de place pour l'égoisme.

 La composition prend une force rude qui résulte en partie d'une mise en place 

naïve. Et dans la gaucherie de van Gogh, qui rend aussi, comme il l'entendait, la

 gaucherie de ses modèles, il y a une source de mouvement. Le groupement des

 personnages sur les côtés de la table est curieux ; le mur entre les deux

figures de droite crée un compartimentage étrange de l'espace intime.

 De l'atmosphère assombrie se détachent de remarquables morceaux de 

peinture, découlant des études tenaces ; les tasses de café, avec leurs ombres 

grises ; les pommes de terre sur l'écuelle : et les têtes magistrales qui, dans 

leur isolement l'une de l'autre révèlent les portraits préparatoires d'où elles

sont copiées. les yeux des deux paysans de gauche brillent d'une lumière

 intérieure, et les ombres sur leurs traits expriment plus le modelè de leur

 caractère qu'un phénomène de pénombre.

   " J'aime mieux peindre les yeux des hommes que les cathédrales"

 écrivait peu après Vincent."


                   Homme bêchant ; 1882 Crayon etr encre 47 x 29 cm



                                               Faucheur : 1885 Fusain 43 x 55 cm

    plus personne ne va dans les champs en sabots...Les souliers étaient du luxe
réservés aux Dimanches où l'on se faisait beau pour aller à la messe ;  les femmes enlevaient leurs chaussures et allaient pieds nus aux fêtes du village pour  les économiser et même au début du XX ème siècle les gamins allaient en galoches de bois souvent cloutées pour éviter l'usure.
Quel chemin parcouru, seuls les soucis n'ont pas disparu !!




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire