mardi 9 juin 2020

Paul Cézanne : Oignons et Bouteille

Avant d'aborder les nombreuses peintures de la Montagne St Victoire restons

encore sur les natures mortes : cette dernière date des années 1895 - 1900




                          " De la même période que la nature morte anti-architecturale et

joyeuse  Pommes et oranges  peut-être même plus récente - les dates exactes des

 oeuvres de Cézanne ne sont pas connues - cette toile combine les grands

éléments constructifs, les horizontales et les verticales et le vaste mur nu, avec

une abondance serrée de petites courbes, de formes inclinées et d'accents de libre

végétation. Par ses tons froids et sa recherche de lignes rythmées elle ressemble

aux Grandes Baigneuses  bien qu'elle soit composée moins systématiquement. Les

formes rondes et flamboyantes articulent aussi les objets les plus stables et les

plus sévères, comme le bord en feston de la table et les contours de la bouteille

 et du verre. C'est l'une des compositions les plus remarquables de Cézanne, un

développement de lignes ingénieux sur un mode musical, et elle a une délicatesse

de touche surprenante, une richesse de couleur raffinée.

L'élément principal est l'oignon, qui tient lieu de thème, forme plus complexe que

la pomme et apparentée au dernier style de Cézanne à cause de sa flexibilité de

ligne plus grande et plus spécialement par sa forme ondulante olus ouverte.

 Nous suivons son développement depuis la gauche jusqu'à la droite par des

groupes ouverts et fermés comprenant les citrons qui font une variante, par des

axes changeant sans cesse, par des taches de couleur et par des contacts avec les

objets voisins. Avec les festons de la  table, la houle de la silhouette de la nappe

et avec la bouteille et le verre, ils forment un système de diverses mélodies

parallèles qui coïncident en certains points.

Le tableau a de nombreuses touches délicieuses et subtiles. Nous devons

remarquer cependant, parmi de nombreux exemples dans la même partie, le verre

de vin qui est magnifiquement peint. Son pied, dont l'axe est déplacé vers la

droite, change l'ensemble d'un alignement exact avec le point de rencontre

important des deux courbes du bord festonné de la table en dessous - courbes

reliées au galbe du pied du verre et à la base de la bouteille. Grâce à la variation

introduite par son pied et à la brisure qui interrompt le dessin de l'ellipse de

l'ouverture du côté gauche, le verre semble être imperceptiblement penché comme

certains oignons avec leurs tiges flexibles, et il renforce la composition diagonale

de la bouteille, du verre et des oignons dans l'assiette.

 Une autre pensée délicate, à peine perceptible, est faite des lignes horizontales

dessinées à l'intérieur du verre (et aussi dans la bouteille) ; elles sont un rappel

discret de la ligne de la table et font un ensemble avec les horizontales au bas du

mur de côté droit et un morceau de la table qu'ion peut voir entre les plis de la

nappe ; tous ensemble ces segments forment une série graduée aus intervalles

proportionnés. Le verre lui-même, avec l'oignon qui se réfracte derrière lui, est un

morceau de peinture sobre dans lequel les décisions viennent touche après touche

et ont une audace et une justesse inspirées.

 Un artiste italien, admirant les finesses de Las Meninas de Velasquez, l'appelle "la

théologie de la peinture". On pourrait dire la même chose de cette grande nature

morte de Cézanne.

https://books.google.fr/books?id=T3SJDwAAQBAJ&pg=PT224&lpg=PT224&dq=jeu+de+Paume+natures+mortes+C%C3%A9zanne&source=bl&ots=VN83q6tpaq&sig=ACfU3U0hDMI6-HNr6Q6c07lA0iLQPZa90Q&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjXiODivPTpAhXJxYUKHT6pAS8Q6AEwD3oECBAQAQ#v=onepage&q=jeu%20de%20Paume%20natures%20mortes%20C%C3%A9zanne&f=false




                 Gravure de Vincent van Gogh


                                "Le Docteur Gachet " L'homme à la pipe"

vendredi 5 juin 2020

Paul Cézanne : Marronniers au Jas de Bouffan

 Cézanne a résidé dans  plusieurs domiciles, chez Renoir, chez Zola ou à Pontoise

chez Pissarro, mais le Jas de Bouffan, est la propriété familliale acquise  en 1860

par son banquier de père, elle  sera vendue quelques années après le décès de sa

mère.

 C'est pour cela qu'il s'installe à Aix en 1899.

            https://www.aixenprovencetourism.com/fr/fiche/18278/

                            Entre 1885 et 1887 - Toile 73X 92 cm


                                    https://www.youtube.com/watch?v=AaNR-OA8s4w


                   "Un effet de calme noble ne requiert pas chez Cézanne la dominance

marquée d'horizontales ou de formes géométriques et nues. Une qualité semblable

se trouve dans cette toile aux nombreuses verticales répétées et aux lignes

entrelacées des branches. Son repos résulte de rapports plus délicats dans les

couleurs et dans les formes. Ce qu'il y a d'architectural dans la conception nous

rappelle l'architecture médiévale plus que la classique, malgré sa tranquillité. De

toute façon, Cézanne a choisi un point de vue qui offre le minimum de jeu à la

perspective et qui réduit donc la tension de la profondeur. Le mur latéral de la

maison à gauche semble nous faire front comme la façade. Le pic de la montagne

lointaine qui pourrait être le point de convergence de la scène est caché par deux

arbres. Cézanne se place assez loin vers la gauche, mais il voit deux rangées

d'arbres comme un écran parallèle au plan de la toile, de même que le mur de

pierre et l'horizon bas. L'isolement des objets, leur alignement simple dans

l'espace, avec seulement de légers mouvements obliques en profondeur, ajoutent

au calme dominant. Les troncs des arbres agréablement variés dans leur

épaisseur, leur inclinaison, leurs branchages, leur écartement et leur éclairage sont

 des formes organiques individualisées ; elles sont fermes mais n'ont pas la rigidité

ni la tension qu'aurait pu leur donner la forme pure d'une colonnade. La force vers

le haut des lignes verticales se dessine graduellement dans le ciel vaporeux. Ces

formes gracieuses des branchages sont d'un beau dessin sans aucune répétition

ennuyeuse. Leurs mouvements en diagonale sont parallèles aux versants du pic

assourdi de la montagne.

Bien que dans cette oeuvre les éléments horizontaux soient peu nombreux et

brisés par des formes verticales plus fortes, nous ne devons pas en négliger

l'importance. A la base il y a une large bande de vert : tapis subtilement peint dont

les nombreux tons s'opposent au violet grisé et au brun des arbres verticaux -

contraste de couleurs qui renforce le contraste des formes supportées et de celles

qui supportent, accusé encore par la différence du jeu du pinceau sur le sol et dans

les arbres. Derrière, des bandes alternées de jaune et de vert plus clair, suivies par

le mur de pierre et la maison qui à deux renouvellent l'alternance des tons

lumineux et sombres dans les arbres. La succession d'étages de couleurs et de

touches variées, avec un allégement progressif de l'un et de l'autre, crée dans la

moitié inférieure de l'espace un galbe de lignes horizontaless et verticales qui se

transforme graduellement en réseau diagonal dans le haut par les formes des toits,

du flanc de la colline et du pic lointain."



        Et pourquoi pas quelques pommes à croquer pour le week-end ?



                                                                    Pommes et Oranges
        Entre 1895 et 1900 - Toile 74 X 93 cm

                        " Un autre aspect de Cézanne se révèle ici. Cette nature morte du

Louvre est d'une somptuosité impériale. Nous sentons dans toute l'oeuvre la joie

du peintre pour la luxuriance et l'abondance des choses colorées ; il est dégagé de

sa manière grave. L'ancienne construction, stable et détachée - le cadre

  rectangulaire de la table et le plan évident du mur - a disparu. A présent, l'espace

est partout richement drapé ou brisé , la différence entre la profondeur et la

surface, le plan horizontal et le vertical est dissimulée. Tout vient en avant ,

pourtant, il y a aussi une profondeur sensible, comme dans la succession des fruits

sur la gauche. Cela nous rappelle l'espace de la carrière et de la montagne dans le

tableau de la "Montagne Sainte Victoire vue de Bibemus.. Cézanne cherche ici une

continuité d'éléments plus complète que dans ses oeuvres antérieures. Le

compotier surgit de la magnifique nappe blanche, et la cruche déccorée semble

être la fusion de cette nappe avec les pommes, les oranges et la draperie

ornementée derrière elle. L'effet est dense et même surchargé, comme dans ses

paysages boisés et rocheux, il est extrèmement riche en formes inattendues et en

accords de couleur, presque jusqu'à un point d'étouffement. Ce n'est pas du tout

une nature morte "naturelle" - quelque chose que nous pourrions trouver dans un

intérieur - mais un entassement fantastique dans lequel nous discernons

néammoins un contrôle évident du goût. La complexité de cette oeuvre appartient

à la fois à l'orgueil d'un talent bien exercé et à la jouissance des sens. Nous

sommes impressionnés, plus que dans la plupart des natures mortes de Cézanne,

par son caractère orchestral, à cause de l'abondance des groupes d'éléments

articulés et distincts répandus sur toute la surface de la toile. La nappe blanche est

superbe avec ses lignes courbes, la multitude de ses sens contrastés, sa noble

montée, sa chute et le spectre de couleurs qui teinte légèrement sa brillante

surface blanche. En opposition avec cette complexité des blancs et avec les

accents atténués de draperies bigarrées, jouent les notes pures et riches des

fruits. Ils sont groupés simplement en rythmes variés et disposés de manière telle

que tous ensemble ils forment une nature morte sur un axe horizontal. La

décoration de la cruche avec des fleurs rouges et jaunes ressemblant aux fruits

voisins est une délicieuse invention qui fait métaphore : c'est un lien entre les

fruits et les draperies ornementées, dont les motifs, brisés par les plis, font une

riche vibration de tons contrastés moins intense.

Dans la grande composition, un des thèmes caractéristiques est une forme

sèchement pointée qui apparaît en de nombreux endroits dans la silhouette de la

nappe blanche, dans les angles qu'elle fait avec la table et les bords de la toile,

dans le pli aigu et élevé de la draperie en haut à gauche."



           https://www.youtube.com/watch?v=0I0dr71BKx0               






































jeudi 4 juin 2020

Paul Cézanne : Neige fondue à l'Estaque

   Auriez-vous, d'emblée, attribué cette peinture  à Cézanne ?

Elle se démarque  des autres  toiles  de cet artiste, et c'est bien pour cela que je

l'ai choisie, il y avait un petit quelque chose de van Gogh !....


Je ne resterai pas longtemps sur l'ordi, ce matin,  mon ciel est aussi sombre que

celui de l'Estaque et...... l'Estaque, savez-vous où elle se trouve?

                            https://www.youtube.com/watch?v=uNPY7aesITM

       J'ai vécu quatre années à Marseille et je n'y ai jamais eu la neige !!


                                   Vers 1870 - Toile 73 X 92 cm

                    " Cet original paysage d'hiver qui ressemble à une peinture du

XXème siècle est un exemple remarquable d'espace modelé par des sentiments

intenses, comme chez van Gogh quelque dix ans plus tard. Le premier plan -

l'endroit où l'on regarde - est le flanc abrupt d'une colline qui divise en deux la

toile suivant la diagonale, dans sa descente en avalanche de la gauche vers la

droite en direction du toit rouge incliné, et donne à l'image une force de chute.

 Le spectateur ne peut y poser le pied et à ce terrain instable les arbres

s'agrippent par des troncs tourmentés. A cette pente de la colline s'opposent la

fuite du champ central, avec ses lignes ascendantes er convergentes, et l'immense

balaiement horizontal des nuages gris en suspension.

Du feuillage sombre de l'arbre noir, à gauche, part un autre mouvement d'arbres

descendant vers l'intérieur sur la crête de la colline, et allant se confondre avec

l'horizon lointain en un seul rythme d'amplitude croissante. Les lignes diagonales

raccourcies en profondeur sont parallèles aux profils diagonaux dans le plan de la

toile ; le contour sinueux de la terre - toute la base de la scène - est répété dans le

tronc du grand arbre et dans les surprenants zigzags des toits et des routes à

droite. Par ses parallèles, Cézanne unit, en une forme cohérente, les mouvements

opposés dans les différents plans en profondeur. La couleur, elle aussi, est une

force puissante qui relie et maintient le proche et le lointain. Cela est évident dans

le groupement des toits rouges ; mais Cézanne relie aussi le ciel lointain au

premier plan grâce aux lumières froides qui strient l'horizon -  touches qui sont

adaptées avec art à la silhouette voisine formant un halo en zigzag mineur, qui est

centré sur la pointe d'une colline correspondant au point de vue de l'ensemble de

la scène. Cezanne a découvert le dramatique de l'espace, un effet de mouvements

puissants et d'oppositions brusques. La perspective a une urgence irrésistible

dans l'envol rapide des lignes et le rythme non moins rapide  de changement dans

la taille des choses qui va en diminuant.

La couleur et le jeu de la brosse soutiennent la violence d'ouragan de la scène.

 Une teinte noirâtre pénètre le paysage et mêle la neige qui, traitée en ton  pur

 par endroits, semble une associée du noir.

Peint par contrastes vigoureux, avec une furie dominante et presque monotone -

moins pour surprendre l'essence d'une scène que pour exprimer une humeur

mélancolique et désespérée - ce tableau possède quelques couleurs subtiles : les

différents blancs de la neige et les nombreux gris, y compris les tons chauds du

terrain central, posés entre les toits rouges. le goût pour les noirs, les blancs et les

gris froids paraît naturel à l'humeur de Cézanne ; ce goût présuppose l'art élégant

et impassible de Manet dont les tons et la vision directe ont été utilisés ici de

manière émotionnelle et étrangement transformés."


                        https://www.youtube.com/watch?v=8g9oUJWcE0M







mercredi 3 juin 2020

Paul Cézanne : Portrait de Vallier et Vase de Tulipes

Toujours à la recherche des toiles moins connues par le grand public ; ce portrait

du jardinier Vallier est considéré comme un chef d'oeuvre, au même titre que celui

de Patience Escalier peint par van Gogh,  dans la touche et l'esprit.




                                    1906 - Toile 65 X 54 cm

                   " Pendant sa dernière période, Cézanne a souvent peint des gens du

peuple : paysans, servantes, personnages simples, toujours avec un grand respect

 et dans les attitudes et les proportions qui leur donnaient de la dignité et du

poids. Son goût pour les paysans cache un peu la réaction des conservateurs

contre le monde de la cité moderne et le désir d'un ordre de choses plus stable,

plus simple, plus ancien. Nous observons aussi cela chez son ami Renoir qui

abandonna les scènes de distractions citadines pour des sujets familiers et des

types idéalisés de mères et de paysans, dans un style plus formel que celui de son

oeuvre impressionniste antérieure.

Le chef-d'oeuvre, parmi les tableaux que Cézanne  fit de gens modestes, est le

portrait de son jardinier Vallier : l'une de ses dernières toiles. C'est l'image

imposante d'un homme qui représente l'idéal de Cézanne de simplicité et de force

au repos, en même temps que la nature rude et robuste de sa jeunesse

transposée dans le vieil âge.

Pour trouver une pareillle conception de l'homme, on doit se référer à Titien

 ou à Rembrandt. Il s'agit d'une aristocratie qui n'est pas fondée sur le pouvoir ou

la réussite mais sur la force intérieure. Cet homme simple est grand, sans

affectation ni orgueil, en paix avec lui-même, sans aucune amertume.

La silhouette est imposante par sa largeur et sa plénitude. Il y a un retour au

dessin primitif par le choix de la vue en profil et la place claire du corps sur le

fond sombre. Un contour si lumineux et si dense est rare après le XVI ème siècle.

Le corps ressemble à une statue archaïque. Une telle compacité n'est pas

fréquente, même à la Renaissance. Ce n'est pas ici une forme conventionnelle,

mais une solution neuve, unique, inspirée par le sens que Cézanne a de son sujet ;

en bref, c'est une interprétation.

Les moyens de continuité ne sont pas tellement des procédés de composition ou

d'unification mais plutôt d'expression : la barbe se répand sur la ligne de l'épaule

et du bras, comme les bras de rejoignent dans la ligne des manches pour donner

la qualité émouvante de toute la masse sereine du personnage. Les traits sont à

peine étudiés, le caractère réside dans le corps, l'attitude et l'ampleur de la forme.

Cézanne a donné à la forme humaine, et spécialement aux vêtements, toute la vie

de ses derniers paysages. D'un pinceau sûr, avec une liberté qui est grandiose, il

dispose toute sa palette sur des objets monochromes. Aucun impressionniste n'a

peint de barbe aussi multi-colore, ni donné à une manche une aussi merveilleuse

abondance de tons. Les éléments ont une grande impulsion, mais se fondent dans

un ensemble qui reste noble et distant par sa richesse et son éclat. Nous sentons

 dans les limites de cette forme compacte une énergie intense et une chaude

sensibilité, également une magnifique luminosité qui se diffuse sur toute cette

masse ; ce n'est pas une lumière, ou une ombre qui sonde les objets, comme celle

d'un Rembrandt, et elle ne nous engage pas à examiner les traits de plus près,

 mais elle est un caractère de l'être pensant tout entier, qui s'offre calmement et

franchement."
                                                                   Meyer Schapiro

https://www.societe-cezanne.fr/2017/05/13/le-jardinier-vallier-1906-r954-fwn549-rw641%EF%BB%BF/


                                    Vase de Tulipes

                   Entre 1890 et 1894 - Toile, 60 X 42 cm


           " Dans cette belle nature morte les contrastes de formes et couleurs, leur

agencement sont d'une subtilité étonnante.

 Notre oeil associe les deux tulipes rouges aux deux pommes qui se trouvent

dessous ; le jaune des petites fleurs éparpillées dans le bouquet rappelle, de façon

différente, le jaune dense de la pomme qu'on voit derrière le vase ;  et les feuilles

vertes les plus grandes ressemblent en revanche, au grand angle formé par les

bords sombres et chauds de la table. Mais les éléments du bouquet sont des

formes actives, vivantes, charmantes même, une grappe de choses épanouies

dansleur développement, peintes avec une grande liberté ; les pommes et la table

sont des formes fermées, isolées, inertes, silencieuses, un monde clairsemé.

C'est une harmonie d'éléments opposés, un étrange équilibre de qualités

contraires unifiées par des analogies cachées et un jeu de couleurs plein de

sensibilité.

Nous sentons qu'il y a une sorte de conflit humain dans cette nature morte, tout

particulièrement à cause de l'éloignement des pommes, comme si les relations

entre les hommes, leurs désirs et leurs refoulements avaient été traduits dans les

contrastes et les regroupements.

Les champs les plus sévères de la table et du mur sont peints avec des tons clairs

atténués - des tons chauds et froids opposés - d'une délicatesse extrordinaire ; les

fleurs, fraîches, ont des formes angulaires plus ou moins vives avec de gros

zigzags plus accentués que les bords de la table, ils sont rappelés à l'extrême

droite dans la grande feuille vert sombre et dans le vase.

La partie inférieure du vase est de la même couleur que la table, sa silhouette

ronde se rapproche de celle des fruits, et la légère courbure formée par la limite

horizontale de ses deux couleurs répond à la faible convexité du bout de la table.

Entre les pommes et les tulipes, on devine une oblique - ligne d'attraction

évidente  et implicite - qui est parallèle au bord de la table et le relie aux tulipes et

aux pommes. Ces relations, et beaucoup d'autres très belles qui ne sont pas

expressément indiquées, suscitent notre admiration. La forme incurvée, réservée

sur le mur entre les pieds de la table, semblable à l'extrémité d'une feuille ou d'un

pétale, est fascinante.


                 https://www.artic.edu/artworks/14561/the-vase-of-tulips

mardi 2 juin 2020

Portrait du Facteur Roulin

 Lettre à Emile Bernard

....Je viens de faire un portrait d'un facteur ou plutôt même deux portraits. Type socratique, pas moins socratique pour être un peu alcoolique, et conséquentement haut en couleur. Sa femme venait d'accoucher, le bonhomme luisait de satisfaction. Il est terriblement républicain, comme le père Tanguy. Nom de D...! Quel motif à peindre à la Daumier, eh!
Il se raidissait trop dans sa pose, voilà pourquoi je l'ai peint deux fois, la deuxième fois dans une seule séance. Sur la toile blanche, fond bleu, presque blanc, dans le visage tous les tons rompus, jaunes, verts, violacés, roses, rouges.
l'uniforme, bleu de prusse, agrémenté de jaune.


                 
                                              Le Facteur Roulin

                       Août 1888 Arles - Huile sur toile, 81 x 65 cm

Van Gogh, toujours attiré par le peuple, se lia d'amitié avec Roulin, un facteur

d'Arles, et fit de lui plusieurs portraits ainsi que de sa femme et de ses enfants.

Vincent qui aimait sa personne socratique, a décrit sa candeur, son intelligence

et son enthousisme, "sa gravité et sa tendresse silencieuse".

"Sa voix a  une qualité étrangement pure et touchante dans laquelle mon oreille a

tout de suit reconnu une berceuse douce et triste, et une sorte d'écho lointain de

la trompette de la France révolutionnaire".

L'uniforme bleu donne au portrait le ton majeur, mais le caractère officiel de

Roulin n'atténue pas sa qualité personnelle. Au total le bleu devient un attribut de

l'homme, comme ses yeux bleus (qui sont aussi semblables aux boutons dorés !)

Le visage rayonnant, fixé sur nous comme une icône, est d'une fraicheur absolue

et sans la moindre stylisation. La large barbe est un paysage, une forêt renversée

, avec une profusion de jaunes, et de verts et de bruns. La rigidité de la tête est

tempérée par les traits vibrants, animés et les tons variés de la chair. Les mains

grossières sont maladroitement dessinées, mais la gauche demeure puissante et

naturelle. La vaste étendue, presque sans ombre, de l'uniforme bleu -  problème

difficile de la peinture - s'apparie dans une sorte de contraste avec le bleu clair du

fond, parailleurs avec les tons chauds  de la tête et des mains et avec ses propres

boutons et passementeries dorés ; elle devient l'enveloppement le plus actif et le

plus tangible d'un corps humain vrai. Attaché à la réalité précise du costume

comme vêtement porté, van Gogh trace ses contours en vigoureuses lignes noires,

traitées cependant avec discrétion - omises à l'épaule et ailleurs, épaissies par

endroits en masses d'ombre - toujouts irrégulières et suscitées par le corps en

dessous, diverses comme la surface qu'elles entourent, avec sa gradation de tons

froids et chauds dans le même bleu. En apparence simple et directe, l'oeuvre est

profondèment conçue, avec de nombreuses mais discrètes reprises - accords de

couleurs et de formes : le vert de la barbe et de la table, les rouges du visage et

du coin du tableau en bas à gauche, les petits angulants caractéristiques, le coin

de la table, les revers, le devant de la chemise, le siège du fauteuil etc. Et, invite à

l'observateur qui désire comprendre aussi bien que de se délecter : la note la plus

claire du tableau, le triangle de blanc au-dessous de la barbe - ce parti nécessaire

traité avec une justesse infaillible.

                  https://www.youtube.com/watch?v=pzOt_QtEVgg

https://www.youtube.com/watch?v=T750HY_ZcZo

Paul Cézanne : Rochers

                             Entre 1894 et 1898 - Toile 73 x 92 cm

           " Dans les tableaux des époques précédentes, une barrière au premier plan

impliquait une position séparée d'où le peintre était à même de contempler une

vue paisible. Ici le paysage est formé essentiellement par un sol plein d'obstacles,

sans chemin et convulsé - un espace avec des failles et de  profondes  crevasses,

noyé dans un brouillard d'un pourpre sombre.


Les obstacles nous forcent au calme, mais nous ne pouvons les regarder avec

sérénité : ils nous imposent leur violence et leur agitation. Cet espace caverneux

est comme la vision d'un ermite désespéré.

Dans cette peinture sombre et passionnée, saturée d'une atmosphère de

catastrophe, il y a un remarquable développement intérieur. Dans la partie du bas,

les puissants rochers ont une étrange vie par leurs formes courbées et

amoncelées.

Nous discernons un vague profil humain en bas  et à droite et des indications de

physionomie - une tête renversée-  dans le rocher plus lumineux au centre avec

son rebord festonné. Plus loin, à gauche, le sol monstrueux fait des replis et se

tord en profondeur. En dessous de la couleur pourpre dominante se dégage le

caractère sous-jacent qu'elle recouvre, et de ses accents changeants s'élève

l'unique éclairage orange et jaune du rocher central.

De cette région faite de pulsations de formes nombreuses nous passons à une

barrière plus haute de rochers angulaires ; l'un d'eux est suspendu et

particulièrement architectural, ses bords tranchants comme ceux d'une pierre

taillée, ses pentes dirigées en avant et vers la gauche sont en opposition avec les

rochers moins élevés. De leur profondeur cachée s'élèvent des troncs d'arbres, qui

ont un feuillage vaporeux, tacheté, comme la surface en-dessous, et sont

traversés par des branches ressemblant à des nerfs. La quatrième région,

 le ciel, est un vide immatériel, pâle et lointain, dépourvu de soleil, avec une

silhouette qui s'étend de manière fantastique. La rare ligne d'horizon marquant le

point de vue du spectateur est vite perdue parmi les arbres et les rochers.


                                        La Meule

                      Entre 1898 et 1900 - Toile 73 x  92 cm




             " Cézanne peignit ce tableau dans le Midi, près de chez lui, à Aix. 

Une photographie de l'endroit prouve qu'il fut remarquablement fidèle à la scène

qu'il avait vue ;elle lui offrait  un exemple de chaos naturel marqué par l'homme :

les blocs abandonnés de pierres de taille. Les caractères de la peinture sont plus

intenses ou d'un autre ordre que ceux du site original.

 C'est l'image d'un intérieur de nature, comme une caverne obstruée et sans

horizon ni sortie ; un site sauvagement romantique avec quelque chose de

mélancolique et de désespéré mais qui a la fascination d'un désordre formidable.

On dirait la grotte de l'aveugle et violent Polyphène, parsemée de débris humains

et naturels. Seule, la meule, avec sa forme lisse et centrée, curieusement placée

dans un coin, donne une note d'humanité;  grâce à elle nous pouvons mesurer

l'agitation des autres formes. Pourtant sa pureté ou l'abstraction de sa forme la

fait paraître moins humaine que l'âpreté des rochers et des arbres.

L'espace en tant que forme creuse n'est pas bien défini ; le sol en pente se fond

 avec les objets qui s'en élèvent et avec les masses de feuillage, dans un effet

vertical comme les naturers mortes de la même époque. Les lignes rayonnent dans

différentes directions à partir du même axe, ou bien elles se croisent en

mouvements opposés. C'est une peinture construite avec des formes instables,

sans lignes verticales ni horizontales, dont l'esprit est absolument anti-

architectural Cependant c'est une toile puissament organisée, dans laquelle on

découvre une recherche intense de l'harmonie, comme dans les oeuvres les plus

sereines.

L'appariement des éléments est surprenant : arbres, branches, rochers, pierres de

taille, ils vont tous par paire, mais l'oeil qui compose a été attentif au contraste

aussi bien qu'à la variation. La conception des arbres est spécialement belle, ils

sont tordus et divergents à gauche, plus courbés et parallèles à droite.

La trace diagonale sur le sol est une trouvaille intéressante : ligne ombrée à

l'extrême droite, continuée dans les blocs de pierre et se terminant dans une ligne

d'ombre plus lointaine, menée jusqu'à l'autre extrémité de la toile. Par sa pente et

sa belle courbure, par sa couleur changeante et le détail de ses ramifications, cette

ligne ressemble aux troncs des arbres et introduit sur le sol un élément qui

apparaît plus fortement dans les plans verticaux.

La couleur est une harmonie sombre de brun, de violet, de vert et de gris - des

tons mélangés qui appartiennent à un monde fermé et sans soleil. mais cette

gradation est éclairée par un coup de lumière orageux fait de clarté et d'ombre, qui

crée aussi un puissant modelé. Dans les rochers il y a d'audacieuses divisions de

surface modelées avec des contrastes abrupts de couleurs. L'ensemble est peint

avec une sûreté merveilleuse, mais aussi avec une passion approchant la furie.

Elle est rendue comme par un géant pour lequel ces objets feraient partie de son

monde famlilier.

                https://www.youtube.com/watch?v=Qh_kNLVA2do





lundi 1 juin 2020

Pentecôte au Piémont Pyrénéen

Temps estival pour un retour aux sources, théatre de multiples randonnées avec

des générations qui explorent dorénavant d'autres cieux : et plus précisément

autour du lac de Mouzoune : voici quelques images !!












       ne cherchez pas la nature de cet arbre, c'est un lichen tendu à contre-jour

tout comme cette charmante fleurette que je n'ai pas su identifier  et le pissenlit

suivant :













Et on finit par Montségur,  imprenable ?   son histoire tragique a montré que non.


      à l'entrée du village en contre-bas, l'attelage de boeufs reste immuable


 
                     et les orchidées sauvages prolifèrent dans les champs


                  et les papillons ne se posent pas que sur les fleurs !!!




        les fleurs à l'ombre sont moins drôles !!





 très graphique !!!