Dans une lettre à Fürttenbach, le comte décrit ses plates-bandes, avec une foule
de détails que l'on ne retrouve pas tous dans les vues du florilège. Il précise que
son jardin est divisé en trois parties, qu'au centre les massifs ont la forme des
meilleurs fruits de la terre : citrons, pêches, figues, ou encore noisettes, mais
que sur l'un des côtés, il a donné aux massifs la forme d'ennemis des jardins (pour
conjurer le sort ! ), comme les chenilles et les lucarnes, et sur l'autre, celle
d'animaux extrordinaires comme les crocodiles, dragons et autres basilics.
A l'intérieur des massifs, la disposition des fleurs s'ordonnait selon la hiérarchie
communément admise à l'époque : au centre les fritillaires, aux extrémités les lis.
Puis par ordre décroissant, narcisses, jacynthes, iris anémones, crocus,
renoncules.
Au centre des massifs étaient plantées de minces hampes de bois couronnées de
boules peintes, couleur d'or, d'argent ou de cuivre, et saupoudrées de sable
étincelant , servant à la fois de décoration et d'épouvantails pour les oiseaux.
Ainsi le comte n'avait-il rien négligé en ce qui concerne l'agencement et la
décoration de son jardin. Le florilège par ailleurs ne nous laisse rien ignorer des
trésors végétaux réunis par ses soins, et dont il devait tirer une légitime fierté.
Il peut sembler qu'un principicule comme Jean de Nassau-Idstein ait pu réunir
dans ce petit jardin tant de plantes d'espèces différentes. Il était en relation
épistolaire avec beaucoup de nobles allemands, apparentés ou non, et il procédait
à des échanges de renseignements sur l'horticulture, mais aussi de graines et de
plantes. Parmi ceux-ci on mentionnera son frère, Ernst Casimir, également grand
amateur de fleurs, puis après la mort de celui-ci, son fils Frédéric. Mais on doit
aussi mentionner la comtesse Johanna von Erbach : son beau-frère le comte de
Leiningen ; le comte palatin George Wilhem de Birkenfeld et au moins trois
autres. Bien évidemment les dons ne suffisaient pa à l'enrichissement du jardin et
le comte procédait aussi par achat. Des factures mentionnent l'envoi de la foire
d'automne de Francfort, de livraisons de bulbes, la plupart de tulipes
planche signée J Walter . f . 1652 (chaque planche fait l'objet d'un descriptif, vais-je interrompre mon récit ? ...
momentanément... au profit de ce descriptif, mais je reprendrai le fil de l'histoire)
Différentes variétés de tulipes horticoles. Au XVII ème siècle, la tulipe, originaire
du Proche-Orient (Iran, région de la mer Caspienne, déchaîna toute l'Europe , où
elle avait été récemment introduite, une véritable passion. La "tulipomanie" gagna
toutes les classes de la société et fut l'objet d'incroyables spéculations. On pouvait
payer un prix énorme pour obtenir un oignon de cette fleur, en donner en dot à sa
fille, et l'on sait qu'à Lille une brasserie fut cédée en échange d'un seul bulbe
d'une variété qui pour cette raison fut dénommée 'tulipe brasserie"!.
La Bruyère a sigmatisé dans ses "Caractères" les excés de cette folie, qui perdura
jusqu'au XVIII ème siècle.
Le papillon est un Lycanea
J W F 1655 Tulipe horticole et iris des jardins. Contrairement aux apparences, il ne s'agit pas
ici d'iris nains, sensiblemnt différents. Le peintre a vraisemblablement représenté
l'iris comme plus petit car la tulipe est plus haut placée dans la hiérarchie des
fleurs. Très recherché pour son parfum, l'iris entrait aussi dans bon nombre de
compositions pharmaceutiques.
Le choix présenté ici
souligne le goût particulier
du comte de Nassau pour
les tulipes dites
"flamandes". Dés 1534,
on cultivait la tulipe de
Gesner qui fut ensuite
l'objet de transformations
considérables dans sa
forme et ses coloris.
On était particulièrement
fier de posséder ces
nouveautés enflammées,
aux couleur vives sur fond
blanc pur, connues
aujourd'hui sous le nom de
"race Rembrandt"
Planche gravée d'après un dessin de Joseph Fürttenbach l'Ancien pour l'ouvrage "Feriae Architectonicae" 1662 B N
Il ne pouvait manquer d'exposer un bouquet de tulipes sur le portrait que fait de
lui Johan Walker en 1664
Le comte est assis dans son cabinet. l'homme n'est ni de belle stature, ni de traits séduisants : ce portrait altéra du reste quelque temps ses rapports avec le
peintre. Vétu d'un austère costume noir, il s'appuie sur une table couverte d'un
tapis rouge, sur laquelle s'entassent divers volumes aux tranches colorées, celui
de l'extrémité gauche relié en peau de truie à cabochons, selon une mode très
répandue dans les pays germaniques. Il tient dans la main droite un compas, dont
il se sert pour mesurer le plan d'un ouvrage fortifié. Divers instruments de dessin
sont posés sur la table ; une boite à compas et tire-lignes, une équerre, ainsi
qu'une montre dont la clé pend au bout d'un cordon.
Son activité présente évoque sa carrière militaire, dont font aussi écho la cuirasse,
le baudrier et l'épée, comme la peinture sur le mur du fond, une scène de bataille
à l'antique à demi-masquée par son rideau cramoisi.
Les passions du collectionneur se signalent par les sculptures (dont une allégorie
de l'Abondance), le vase aux tulipes, le cadre contenant une peinture de fleurs et
les nombreux coquillages entassés dans une corbeille à même le sol. Ce portrait
montre que si Walter était fort habile dans la peinture des objets ou des fleurs, il
ne l'est guère pour ce qui est de la perspective (le dessin de la table, notamment
laisse à désirer)