où l'on voit que van Gogh est un lecteur assidu et un admirateur de Delacroix
ou de Millet.
Lettre à Théo. octobre 1889
.... Le Delacroix est une Pietà c.à.d.un Christ mort avec la Mater Dolorosa. A l'entrée d'une grotte gît incliné, les mains en avant sur le côté gauche, le cadavre épuisé et la femme se tient derrière. C'est une soirée après l'orage et cette figure désolée vêtue de bleu se détache- ses vêtements flottants agités par le vent - contre un ciel où flottent des nuages violets bordés d'or.
Elle aussi par un grand geste désespéré, étend les bras vides en avant et on voit ses mains, des bonnes mains solides d'ouvrière. Avec ses vêtements flottants cette figure est presque aussi large d'envergure que haute. Et le visage du mort étant dans l'ombre, la tête pâle de la femme se détache en clair contre un nuage - opposition qui fait que ces deux têtes paraîtraient une fleur sombre avec une fleur pâle arrangées exprès pour se faire valoir. Je ne savais pas ce qu'était devenu ce tableau mais précisément pendant que j'étais en train d'y travailler je tombe sur un article de Pierre Loti, l'auteur de Mon frère Yves et de Pêcheur d'islande et de Madame Chtysanthème...
Septembre 1889 Saint Rémy Huile sur toile 73 x 60,5
" Pendant sa convalescence à St Rémy, Vincent est souvent l'objet de
préoccupations religieuses, C'est alors qu'il exécute un certain nombre de
thèmes bibliques. Avec une sincérité qui le caractérise, il ne concevait pas
d'imagination ses figures religieuses - car il n'était plus croyant, bien qu'il
admirat le Christ comme l'exemple suprême du don de soi et de l'amour. Il
copiait et transposait en couleurs ses tableaux religieux d'après des
reproductions ou des gravures de maîtres plus anciens, Delacroix et
Rembrandt.
Dans le choix des sujets son mobile est évident : le Christ mort dans les bras
de la Vierge, la Résurrection de Lazare, le Bon Samaritain - tous représenternt
une souffrance et annoncent un salut à venir.
En copiant la composition et les figures étudiées de Delacroix, van Gogh traduit
les lignes et les couleurs dans son propre langage, plus maladroitement
pathétique et plus vibrant., cassant les silhouettes, multipliant les coups de
pinceau visibles et accentuant l'étendue des jaunes et des bleus ; l'ombre des
vêtements de la Vierge est d'un bleu sombre et absolu, comme ses ciels les
plus visionnaires et les plus tempêtueux. Le linceul du Christ est, par contraste,
d'un jaune blanchâtre hardiment recouvert d'ombres bleues. La même
opposition dramatique de jaune et de bleu divise le ciel en deux grandes
zones. Le rose et le vert dans la chair du Christ sont répétées de façon
correspondante dans les rochers à droite. La tête du Christ, avec une barbe
rougeoyante et des ombres vertes, rappelle les auto-portraits de van Gogh,
mais par sa seule couleur, car les traits sont différents. dans le mouvement
plus déchiqueté et plus intense de l'ensemble, dans le contraste des formes
cassées et sinueuses et dans la houle des lignes qui se rencontrent en pointe
allongée comme une feuille - par exemple l'épaule gauche du Christ et le sol
- on reconnaît la transformation par van Gogh des courbes souples de
Delacroix. Mais cette copie permet aussi de voir la parenté de l'oeuvre de Saint
Rémy avec l'art romantique et baroque."
https://books.google.fr/books?id=HZ9pmSIO0FQC&pg=PA151&lpg=PA151&dq=toiles+religieuses+van+Gogh+Amsterdam&source=bl&ots=C8nj1-q_J8&sig=ACfU3U3LtkYAvb-IAZ5KEXdLrL2XRDH3Jg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwik0JP33cTpAhVCyhoKHWSlCVMQ6AEwBHoECAwQAQ#v=onepage&q=toiles%20religieuses%20van%20Gogh%20Amsterdam&f=false
jeudi 21 mai 2020
mercredi 20 mai 2020
Van Gogh : Jardin public en Arles
Mon cher Théo (septembre 1888)
Je sais bien que je t'ai déjà écrit hier, mais la journée a été si belle. Mon grand chagrin est que tu ne puisses pas voir ce que je vois ici.
A partir de 7 heures du matin j'étais assis devant pourtant bien pas grand'chose, un buisson de cèdre ou de cyprès en boule, planté dans l'herbe. Tu le connais déjà ce buisson en boule, puisque tu as déjà une étude du jardin. D'ailleurs ci-inclus un croquis de ma toile, toujours un 30 carré.
Le buisson est vert, un peu bronzé et varié.
L'herbe est très, très verte, du Véronèse citronné, le ciel est très, très bleu.
La rangée de buissons dans le fond sont tous des lauriers- roses, fous furieux, les sacrées plantes fleurissent d'une façon que certes elles pourraient attraper une ataxie locomotrice. Elles sont chargées de fleurs fraîches et puis de tas de fleurs fanées, leur verdure également se renouvelle par de vigoureux jets nouveaux inépuisables en apparence.
Un funèbre cyprès tout noir se dresse là-dessus et quelques figurines colorées se baladent sur un sentier rose. Cela fait pendant à une toile de 30 du même endroit, seulement d'un tout autre point de vue, où tout le jardin est coloré de verts très différents sous un ciel jaune citron pâle.
Mais n'est-ce pas vrai, que ce jardin a un drôle de style, qui fait qu'on peut fort bien se représenter les poètes de la Renaissance : le Dante, Pétrarque, Boccace, se baladant dans ces buissons sur l'herbe fleurie. Il est maintenant vrai que j'ai retranché des arbres mais ce que j'ai gardé dans la composition se trouve réellement tel quel. Seulement on l'a surchargé de certains buissons pas dans le caractère.
D'ailleurs pour trouver ce caractère plus vrai et plus fondamental, voilà la troisième fois que je peins le même endroit.
Or voilà pourtant le jardin qui est tout juste devant ma maison. Mais ce coin de jardin est un bon exemple de ce que je te disais, que pour trouver le caractère réel des choses d'ici, il faut les regarder et les peindre très longtemps. Car peut-être verras-tu rien que par le croquis que la ligne est simple maintenant.
Ce tableau-ci est encore fort empâté comme son pendant à ciel jaune. Demain j'espère travailler encore avec Millet. Aujourd'hui encore à partir de 7 heures du matin jusqu'à 6 heure du soir j'ai travaillé sans bouger que pour manger un morceau à deux pas de distance.
Voilà pourquoi le travail va vite.
Mais qu'en diras-tu, qu'est-ce qui m'en semblera à moi-même dans quelque temps d'ici?
J'ai une lucidité ou un aveuglement d'amoureux pour le travail actuellement. Puisque cet entourage de couleur est pour moi tout nouveau et m'exhalte extraordinairement.
De fatigue pas question, je ferais encore un tableu cette nuit même et je l'amènerais...
https://www.fondation-vincentvangogh-arles.org/documentation/vincent-van-gogh/van-gogh-et-le-paysage-urbain-de-la-ville-darles/
Jardin Public en Arles
Octobre 1888 Arles - Huile sur toile 73x 92 cm
" Cette étude fait partie d'une série sur le jardin public, ce lieu cher à
l'humeur flâneuse des impressionnistes. le vrai thème est ici le somptueux pin
bleu que van Gogh admirait ; il devient idyllique par la présence de deux
amoureux en bleu qui surgissent dans son ombre, la main dans la main, et
s'attardent dans la zone de l'arbre vénérable et prolifique qui les abrite et les
protège.
La toile est frappante par sa division diagonale ; une moitié toute richement
colorée de végétation, l'autre occupée principalement par l'allée sablée.
Compartimentage audacieux, instable, étrange à l'oeil, mais justifié par la
passion de van Gogh pour les perspectives aiguës ; appliqué ici à un espace
étroit, intime même, il est stabilisé et doucement raccordé par la projection
normale du sol et de l'arrière plan par les lumières et les ombres du chemin et
par l'étalement du gigantesque pin en travers de la toile entière ; celui-ci
prend appui sur l'ombre horizontale intense qui se continue, dans une tonalité
plus grise, en travers du chemin plus clair. Les deux silhouettes sur cette ombre,
seules verticales de la toile, contribuent à fixer la place de l'arbre à mi-distance,
cependant que son profil dur la gauche prolonge la diagonale de l'allée -
continuité voulue d'une ligne en profondeur avec une ligne en surface, pratiquée
dans l'art de la Renaissance et reprise dans la peinture moderne.
L'harmonie des couleurs est particulièrement heureuse. dans la teinte bleuâtre
de base, van Gogh a travaillé la richesse de verts et de bleus et leurs tons
rompus de blanc, avec quelques touches dispersées de couleur chaude,
agissant en contrastes mineurs. ce monde bleu et vert renferme lui-même une
gamme étendue du clair au sombre, du froid au chaud, de l'intense au neutre.
Dans les tons de sable de l'allée intervient un ordre nouveau d'oppositions :
entre la douceur de la partie plus chaude et lointaine, en lumière, et les
ombres du premier plan, brossées avec véhémence, dont les valeurs plus
grises se relient aux tons saturés de la végétation. Par dessus tout, le tableau
doit sa vitalité à la ferveur de la touche qui, dans l'arbre luxuriant, est une
merveille de caractérisation graphique par le jeu de lignes colorées vivement
tracées. dans leur diagonales et leurs convergences, elles reprennent les
diagonales plus grandes du tableau et la poussée d'éléments angulaires peu
marqués dans le voisinage - les lumières sur le chemin, l'angle du tournant, les
jambes de l'homme."
https://www.routevangogheurope.eu/fr/visite/detailevenement/1671/kroeller-mueller-museum-otterlo
mardi 19 mai 2020
Van Gogh : Nature morte et pipe
J'ai vraiment procédé à l'envers, mais après tout cela n'est-il pas plus flagrant
encore de constater l'explosion du style de van Gogh entre sa période
hollandaise et sa période provençale, favorisée par cette vibration de la
lumière si caractéristique de cette province: (je le sais, j'y ai vécu)
van Gogh a sû la capter et la sublimer. Mais quelle différence de style entre
Patience Escalier et cette" Nature Morte : Chapeau et pipe ". On y découvre
aussi l'amateur d'art.
Lettre à Théo
....Vraiment, ces derniers temps, je ne vais pas trop mal. Il est bien vrai que je ne puis rien faire ici pour que mon travail me rapporte, mais je trouve des amis qui sont vraiment de bons amis, et qui, je crois, deviendront meilleurs encore.
La semaine dernière, j'ai peint sans inrerruption des natures mortes à Eindhoven, chez les gens qui font de la peinture.
Cette nouvelle connaissance, le tanneur de qui je t'ai parlé, fait remarquablement son possible. Mais je dois bien de mon côté, faire aussi quelque chose pour eux, pour rester en bons rapports avec eux.
Je ne puis considérer que j'aie à y perdre, car mon travail est plus agréable en ce que j'ai un peu de conversation.
Hermans a tant de beaux objets, cruches anciennes et autres antiquités, que, un jour, je te demanderai s'il pourrait te faire le plaisir que je peigne pour ta chambre une nature morte avec quelques-uns de ces objets, par exemple des objets gothiques.
(Celles que j'ai faites jusqu'à ce jour avec Hermans sont plus simples). Il vient justement de me dire aujourd'hui, que si je voulais faire un tableau pour moi, avec des choses qui sont encore trop difficiles pour lui comme études, je pouvais enporter les objets chez moi, en choisissant des objets authentiques.
J'en ai déjà, en outre, une petite qui est finie. Concernant ce que je t'ai demandé : pour pouvoir atteindre la fin de ce mois (en m'envoyant 20 francs de plus) j'aimerais que tu puisses le faire...
Nature morte : Chapeau et Pipe. Eté 1885. Nuenen Huile sur toile 36 x 53 cm
" A la fin de 1884, Van Gogh se portait avec une attention croissante
vers les problèmes de la couleur. Il souhaitait trouver un passage harmonieux
des tons clairs aux tons sombres sans perdre la fraîcheur et la profondeur de la
couleur locale des objets, qu'il avait jusque-là soumise à la densité des ombres
et noyée dans le brun de l'ensemble.Le tableau que voici est encore dominé par
l'ocre de la table et le fond obscur : dans les éléments plus lumineux, les tons
chauds émergent, les verts et les bleus tendent vers la neutralité. Les objets,
distincts dans leur couleur, sont finement reliés entre eux par des tons communs
dans les ombres et par la simple gradation et le jeu des intensités locales :
des touches de vermillon pur sur la bouteille à gauche au rouge brique du pot
et au jaune du chapeau, dont les ombres sont proches de celles de la cruche
verte à droite et de ses tresses."
https://www.youtube.com/watch?v=MmJjGZQ-WUg
lundi 18 mai 2020
Van Gogh : Barques sur la plage aux saintes Maries
Mon cher Théo
Bien merci de ta bonne lettre et du billet de 50 francs qui y était inclus. Il faudra tout de même écrire à Gauguin. Le mal est ce sacré voyage, lorsqu'on l'engage à le faire et si après cela ne lui va pas, on serait mal pris. Je pense lui écrire aujourd'hui et t'enverrai la lettre.
Maintenant que j'ai vu la mer ici, je ressens tout à fait l'importance qu'il y a de rester dans le Midi, et de sentir qu'il faut encore outrer la couleur davantage - l'Afrique pas loin de soi.
Je t'envoie par même courrier les dessins des Saintes Maries. Au moment de partir le matin, fort de bonne heure, j'ai fait le dessin des bateaux, et j'en ai le tableau en train, toile de 30 avec davantage de mer et de ciel à droite.
C'était avant que les bateaux ne fichaient le camp, je l'avais observé tous les autres matins, mais comme ils partent très de bonne heure, n'avais pas eu le temps de la faire.
J'ai encore trois dessins de cabanes, dont j'ai encore besoin et qui suivront ceux-ci ; les cabanes sont un peu durs mais j'en ai de plus soignés.
Je te ferai un envoi de peintures roulées, aussitôt les marines sèches. Vois-tu ce toupet de ces idiots à Dordrecht? vois-tu cette suffisance? ils veulent bien condescendre à Degas et Pissarro, dont d'ailleurs ils n'ont jamais rien vu, pas plus que des autres. Seulement c'est très bon signe que les jeunes soient furieux, cela prouve peut-être qu'il y a des vieux, qui en ont dit du bien.
Pour ce qui est de rester dans le Midi, même si c'est plus cher, voyons : on aime la peinture japonaise, on en a subi l'influence, tous les impressionnistes ont ça en commun, et on n'irait pas au Japon, c'est-à-dire ce qui est l'équivalent du Japon, le Midi ? Je crois donc qu'encore après tout l'avenir de l'art nouveau est dans le Midi.
Seulement c'est mauvaise politique d'y rester seul, lorsque deux ou trois personnes pourraient s'aider à vivre de peu.
Je voudrais que tu passes quelque temps ici, tu sentirais la chose au bout de quelque temps, la vue change, on voit avec un oeil plus japonais, on sent autrement la couleur. Aussi ai-je la conviction que justement par un long séjour ici, je dégagerai ma personnalité. Le Japonais dessine vite, très vite, comme un éclair, c'est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment plus simple.
Je ne sui ici que quelques mois, mais dites-moi est-ce qu'à Paris j'aurais dessiné en une heure le dessin des bateaux ? Même avec le cadre, or ceci s'est fait sans mesurer en laissant aller la plume.
Je me dis donc que peu à peu les frais seront balancés par le travail. Je voudrais qu'on gagne beaucoup d'argent pour faire venir ici de bons artistes, qui se morfondent dans la boue du Petit Boulevard trop souvent.
Heureusement que c'est excessivement facile de vendre des tableaux comme il faut dans un endroit comme il faut à un monsieur comme il faut. Depuis que le distingué Albert nous a donné la recette, toutes les difficultés ont disparu par enchantement.
Il n'y a qu'à aller dans la rue de la Paix, là se balade expressément pour cela l'amateur bien. Si Gauguin venait ici, lui et moi pourrions peut-être accompagner Bernard en Afrique lorsque celui-là ira faire son service...
Barques sur la plage aux Sainte-Maries. Juin 1888. Arles - Toile 64 x 81 cm
" Van Gogh a décrit ave enthousiasme sa visite au rivage méditerranéen
près d'Arles, au village de pêche des Saintes-Maries, où il peignit et dessina
pendant plusieurs jours. C'était un monde nouveau pour lui, et il répondait
avec son ardeur et son empressement coutumiers.
Dans la toie les barques de pêche, il concilie dans une même oeuvre deux
sortes différentes de vision : la nature perçue lumineuse et aérienne,
dans des tons innombrablres de couleur exaltée, toujours changeante et
vibrante à travers un contraste universel ; d'autre part, les objets de l'homme,
les barques, dessinées avec précision et peintes sans atmosphère, en tons
plats de couleurs franches. La douceur nacrée du paysage marin devient un
support pour des couleurs dures, fermement compartimentées des bateaux.
Placés sur la plage à côté l'un de l'autre, en partie superposés avec leurs mâts
qui s'entrecroisent, ces bateaux forment un réseau complexxe de taches et de
lignes colorées qui participe aux mouvements des tons instables et aériens de
la nature, aux dessins irréguliers du rivage et des vagues et aux vastes courants
des nuages informes. Ce réseau des barques est une structure de la vision de
van Gogh; on le rencontre dès la période hollandaise dans les dessins d'arbres,
et, comme dans les oeuvres des débuts, les ramifications des barques sont
traitées avec une dévotion inlassable au détail de chaque forme.
La couleur s'étend des simples teintes primaires des bateaux à des tons
iridescents dans le ciel, avec des bleus, des verts et des lavandes délicats et
d'indéfinissables tons de sable, des mélanges de jaune, de beige et de brun
froids et neutralisés - impressionnistes dans les différenciations et les
rapprochements subtils des froids et des chauds. De la même façon on discerne
dans l'application de la matière picturale un registre correspondant qui va de
touches fines, tachetées et transparentes à des touches épaisses et mates."
Bien merci de ta bonne lettre et du billet de 50 francs qui y était inclus. Il faudra tout de même écrire à Gauguin. Le mal est ce sacré voyage, lorsqu'on l'engage à le faire et si après cela ne lui va pas, on serait mal pris. Je pense lui écrire aujourd'hui et t'enverrai la lettre.
Maintenant que j'ai vu la mer ici, je ressens tout à fait l'importance qu'il y a de rester dans le Midi, et de sentir qu'il faut encore outrer la couleur davantage - l'Afrique pas loin de soi.
Je t'envoie par même courrier les dessins des Saintes Maries. Au moment de partir le matin, fort de bonne heure, j'ai fait le dessin des bateaux, et j'en ai le tableau en train, toile de 30 avec davantage de mer et de ciel à droite.
C'était avant que les bateaux ne fichaient le camp, je l'avais observé tous les autres matins, mais comme ils partent très de bonne heure, n'avais pas eu le temps de la faire.
J'ai encore trois dessins de cabanes, dont j'ai encore besoin et qui suivront ceux-ci ; les cabanes sont un peu durs mais j'en ai de plus soignés.
Je te ferai un envoi de peintures roulées, aussitôt les marines sèches. Vois-tu ce toupet de ces idiots à Dordrecht? vois-tu cette suffisance? ils veulent bien condescendre à Degas et Pissarro, dont d'ailleurs ils n'ont jamais rien vu, pas plus que des autres. Seulement c'est très bon signe que les jeunes soient furieux, cela prouve peut-être qu'il y a des vieux, qui en ont dit du bien.
Pour ce qui est de rester dans le Midi, même si c'est plus cher, voyons : on aime la peinture japonaise, on en a subi l'influence, tous les impressionnistes ont ça en commun, et on n'irait pas au Japon, c'est-à-dire ce qui est l'équivalent du Japon, le Midi ? Je crois donc qu'encore après tout l'avenir de l'art nouveau est dans le Midi.
Seulement c'est mauvaise politique d'y rester seul, lorsque deux ou trois personnes pourraient s'aider à vivre de peu.
Je voudrais que tu passes quelque temps ici, tu sentirais la chose au bout de quelque temps, la vue change, on voit avec un oeil plus japonais, on sent autrement la couleur. Aussi ai-je la conviction que justement par un long séjour ici, je dégagerai ma personnalité. Le Japonais dessine vite, très vite, comme un éclair, c'est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment plus simple.
Je ne sui ici que quelques mois, mais dites-moi est-ce qu'à Paris j'aurais dessiné en une heure le dessin des bateaux ? Même avec le cadre, or ceci s'est fait sans mesurer en laissant aller la plume.
Je me dis donc que peu à peu les frais seront balancés par le travail. Je voudrais qu'on gagne beaucoup d'argent pour faire venir ici de bons artistes, qui se morfondent dans la boue du Petit Boulevard trop souvent.
Heureusement que c'est excessivement facile de vendre des tableaux comme il faut dans un endroit comme il faut à un monsieur comme il faut. Depuis que le distingué Albert nous a donné la recette, toutes les difficultés ont disparu par enchantement.
Il n'y a qu'à aller dans la rue de la Paix, là se balade expressément pour cela l'amateur bien. Si Gauguin venait ici, lui et moi pourrions peut-être accompagner Bernard en Afrique lorsque celui-là ira faire son service...
Barques sur la plage aux Sainte-Maries. Juin 1888. Arles - Toile 64 x 81 cm
" Van Gogh a décrit ave enthousiasme sa visite au rivage méditerranéen
près d'Arles, au village de pêche des Saintes-Maries, où il peignit et dessina
pendant plusieurs jours. C'était un monde nouveau pour lui, et il répondait
avec son ardeur et son empressement coutumiers.
Dans la toie les barques de pêche, il concilie dans une même oeuvre deux
sortes différentes de vision : la nature perçue lumineuse et aérienne,
dans des tons innombrablres de couleur exaltée, toujours changeante et
vibrante à travers un contraste universel ; d'autre part, les objets de l'homme,
les barques, dessinées avec précision et peintes sans atmosphère, en tons
plats de couleurs franches. La douceur nacrée du paysage marin devient un
support pour des couleurs dures, fermement compartimentées des bateaux.
Placés sur la plage à côté l'un de l'autre, en partie superposés avec leurs mâts
qui s'entrecroisent, ces bateaux forment un réseau complexxe de taches et de
lignes colorées qui participe aux mouvements des tons instables et aériens de
la nature, aux dessins irréguliers du rivage et des vagues et aux vastes courants
des nuages informes. Ce réseau des barques est une structure de la vision de
van Gogh; on le rencontre dès la période hollandaise dans les dessins d'arbres,
et, comme dans les oeuvres des débuts, les ramifications des barques sont
traitées avec une dévotion inlassable au détail de chaque forme.
La couleur s'étend des simples teintes primaires des bateaux à des tons
iridescents dans le ciel, avec des bleus, des verts et des lavandes délicats et
d'indéfinissables tons de sable, des mélanges de jaune, de beige et de brun
froids et neutralisés - impressionnistes dans les différenciations et les
rapprochements subtils des froids et des chauds. De la même façon on discerne
dans l'application de la matière picturale un registre correspondant qui va de
touches fines, tachetées et transparentes à des touches épaisses et mates."
dimanche 17 mai 2020
Van Gogh : Vieux paysan, Patience Escalier
Van Gogh, nous donne ici les clés de sa création et c'est une grande chance d'en avoir la teneur.
Mon cher Théo août 1889
Sous peu tu vas faire connaissance avec le sieur Patience Esacalier, espèce d'homme à la houe, vieux bouvier camarguais, actuellement jardinier dans un mas de la Crau. Aujourd'hui même je t'envoie le dessin que j'ai fait d'après cette peinture, ainsi que le dessin du facteur Roulin.
La couleur de ce portrait de paysan est moins noire que les mangeurs de pommes de terre de Nuenen - mais le très Parisien Portier, probablement ainsi nommé parce que il fout les tableaux à la porte, s'y retrouvera le nez devant la même question. Maintenant toi depuis as changé, mais tu verras que lui n'as pas changé, et vraiment c'est dommage qu'il n'y ait pas davantage de tableaux en sabots à Paris. Je ne crois pas que mon paysan fera du tort par exemple au Lautrec que tu as, et même j'ose croire que le Lautrec deviendra par contraste simultané encore plus distingué, et le mien gagnera par le rapprochement étrange, parce que la qualité ensoleillée et brûlée, hâlée du grand soleil et du grand air se manifestera davantage à côté de la poudre de riz et de la toilette chic.
Quelle faute que les Parisiens n'ont pas pris assez goût aux choses rudes, aux Monticelli, à la barbotine. Enfin je sais que l'on ne doit pas se décourager parce que l'utopie ne se réalise pas.
Il y a seulement que je trouve que ce que j'ai appris à Paris s'en va, et que je reviens à mes idées qui m'étaient venues à la campagne, avant de connaître les impressionnistes.
Et je serais peu étonné, si sous peu les impressionnistes trouvaient à redire sur ma façon de faire qui a été plutôt fécondée par les idées de Delacroix, que par les leurs.
Car au lieu de chercher à rendre exactement ce que j'ai devant les yeux, je me sers de la couleur plus arbitrairement pour m'exprimer fortement.
Enfin laissons cela tranquille en tant que théorie, mais je vais te donner un exemple de ce que je veux dire.
Je voudrais faire le portrait d'un ami artiste, qui rêve de grands rêves, qui travaille comme le rossignol chante, parce que c'est ainsi sa nature. Cet homme sera blond. Je voudrais mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j'ai pour lui.
Je le peindrai donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai, pour commencer. Mais le tableau n'est pas fini ainsi.
Pour le finir je vais maintenant être coloriste arbitraire.
J'exagère le blond de la chevelure, j'arrive aux tons orangés, aux chromes, au citron pâle.
Derrière la tête, au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l'infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison, la tête blonde, éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l'étoile dans l'azur profond.
Pareillement dans le portraot de paysan j'ai procédé de cette façon. Toutefois sans vouloir dans ce cas évoquer l'éclat mystérieux d'une pâle étoile dans l'infini. Mais en supposant l'homme terrible que j'avais à faire en pleine fournaise de la moisson, en plein midi. De là des orangés fulgurants comme du fer rougi, de là des tons de vieil or lumineux dans les ténèbres.
Ah, mon cher frère... et les bonnes personnes ne verront dans cette exagération que de la caricature. Mais qu'est ce que cela nous fait, nous avons lu "La Terre" et" Germinal", et si nous peignons un paysan, nous aimerions montrer que cette lecture a un peu fini par faire corps avec nous.
Je ne sais si je pourrai peindre le facteur comme je le sens, cet homme est comme le père Tanguy en tant que révolutionnaire, probablement il est considéré comme bon républicain parce qu' il déteste cordialement la république de laquelle nous jouissons, et parce qu'en somme il doute un peu et est un peu désenchanté de l'idée républicaine elle-même.
Mais je l'ai vu un jour chanter la Marseillaise, et j'ai pensé foir 89, non pas l'année prochaine mais celle d'il y a quatre-vingt-dix-neuf ans. C'était du Delacroix, du Daumier, du vieux hollandais tout pur. Malheureusement cele ne se pose pas, et pourtant il faudrait pour pouvoir faire le tableau, un modèle intelligent.
Vieux Paysan. Arles Août 1888
"Arrivant de Paris en Provence, van Gogh redécouvrit les paysans qui
avaient été son motif principal durant ses premières années de peinture en
Hollande. Ce paysan méditerranéen est pétri de soleil aussi bien que de terre ;
sa substance rayonne, sans perdre son brun terrestre ; son sarrau bleu et le
fond orangé brûlé sont le ciel et la terre renversés de Provence. On est
pourtant envoûté par cette image profonde de l'homme, qui nous parle d'abord
par ses yeux et ensuite par tout son visage et exprime aussi sa force par ses
mains magistralement dessinées, et finalement par sa pose, son costume, le
compartimentage même de l'espace qu'il domine. D'une force âpre, d'une
grande simplicité et d'une grande franchise dans sa large représentation , le
portrait est centré sur un visage d'une profondeur et d'une complication
insondables. Chaque trait est un univers avec ses formes, ses couleurs, son
mouvement et son caractère propres, tous ces traits trouvant leur unité dans la
gravité de ce vieux paysan fixé dans une attention soutenue. Le simple pouvoir
de représentation est stupéfiant ; la luminosité des yeux cernés de rouge, le
hérissement coloré de la barbe, tout a été pénétré par la robustesse et la vitalité
d'une technique variée qui semble suivre des tracés préexistants et suggère un
rythme organique de la tête. Un grand goût -disons plutôt une gande
intelligence - apparaît dans la gradation et le contraste des différentes parties,
tout en respectant la plénitude du détail ; la région suprême du visage, qui
contient toutes les couleurs du tableau, comme la source de la palette, sous le
rebord brun de couleur uniforme qui l'ombrage, le chapeau jaune au-dessus,
simple quoique plus brisé ; la blouse bleue complémentaire du fond, mais plus
divisée et reliée par ses nombreux plis aux rayures de la barbe ; les trois
taches rouges de la cravate et des manches dans un dessin fort et concentré qui
enserre les mains et supporte la tête. C'est là peut-être le dernier portrait
réaliste de paysan dans la tradition de la peinture occidentale. C'est peut-être
aussi le seul grand portrait de paysan."
Ah mon Dieu oui !! c'est un chef d'oeuvre! Logiquement je voulais suivre
avec le portrait du facteur et de Tanguy mais ils n'ont, à mon sens, pas la
profondeur, la vérité de celui-là. Ils ne vont pas soutenir la comparaison, je vais
choisir une transition.
Mon cher Théo août 1889
Sous peu tu vas faire connaissance avec le sieur Patience Esacalier, espèce d'homme à la houe, vieux bouvier camarguais, actuellement jardinier dans un mas de la Crau. Aujourd'hui même je t'envoie le dessin que j'ai fait d'après cette peinture, ainsi que le dessin du facteur Roulin.
La couleur de ce portrait de paysan est moins noire que les mangeurs de pommes de terre de Nuenen - mais le très Parisien Portier, probablement ainsi nommé parce que il fout les tableaux à la porte, s'y retrouvera le nez devant la même question. Maintenant toi depuis as changé, mais tu verras que lui n'as pas changé, et vraiment c'est dommage qu'il n'y ait pas davantage de tableaux en sabots à Paris. Je ne crois pas que mon paysan fera du tort par exemple au Lautrec que tu as, et même j'ose croire que le Lautrec deviendra par contraste simultané encore plus distingué, et le mien gagnera par le rapprochement étrange, parce que la qualité ensoleillée et brûlée, hâlée du grand soleil et du grand air se manifestera davantage à côté de la poudre de riz et de la toilette chic.
Quelle faute que les Parisiens n'ont pas pris assez goût aux choses rudes, aux Monticelli, à la barbotine. Enfin je sais que l'on ne doit pas se décourager parce que l'utopie ne se réalise pas.
Il y a seulement que je trouve que ce que j'ai appris à Paris s'en va, et que je reviens à mes idées qui m'étaient venues à la campagne, avant de connaître les impressionnistes.
Et je serais peu étonné, si sous peu les impressionnistes trouvaient à redire sur ma façon de faire qui a été plutôt fécondée par les idées de Delacroix, que par les leurs.
Car au lieu de chercher à rendre exactement ce que j'ai devant les yeux, je me sers de la couleur plus arbitrairement pour m'exprimer fortement.
Enfin laissons cela tranquille en tant que théorie, mais je vais te donner un exemple de ce que je veux dire.
Je voudrais faire le portrait d'un ami artiste, qui rêve de grands rêves, qui travaille comme le rossignol chante, parce que c'est ainsi sa nature. Cet homme sera blond. Je voudrais mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j'ai pour lui.
Je le peindrai donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai, pour commencer. Mais le tableau n'est pas fini ainsi.
Pour le finir je vais maintenant être coloriste arbitraire.
J'exagère le blond de la chevelure, j'arrive aux tons orangés, aux chromes, au citron pâle.
Derrière la tête, au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l'infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison, la tête blonde, éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l'étoile dans l'azur profond.
Pareillement dans le portraot de paysan j'ai procédé de cette façon. Toutefois sans vouloir dans ce cas évoquer l'éclat mystérieux d'une pâle étoile dans l'infini. Mais en supposant l'homme terrible que j'avais à faire en pleine fournaise de la moisson, en plein midi. De là des orangés fulgurants comme du fer rougi, de là des tons de vieil or lumineux dans les ténèbres.
Ah, mon cher frère... et les bonnes personnes ne verront dans cette exagération que de la caricature. Mais qu'est ce que cela nous fait, nous avons lu "La Terre" et" Germinal", et si nous peignons un paysan, nous aimerions montrer que cette lecture a un peu fini par faire corps avec nous.
Je ne sais si je pourrai peindre le facteur comme je le sens, cet homme est comme le père Tanguy en tant que révolutionnaire, probablement il est considéré comme bon républicain parce qu' il déteste cordialement la république de laquelle nous jouissons, et parce qu'en somme il doute un peu et est un peu désenchanté de l'idée républicaine elle-même.
Mais je l'ai vu un jour chanter la Marseillaise, et j'ai pensé foir 89, non pas l'année prochaine mais celle d'il y a quatre-vingt-dix-neuf ans. C'était du Delacroix, du Daumier, du vieux hollandais tout pur. Malheureusement cele ne se pose pas, et pourtant il faudrait pour pouvoir faire le tableau, un modèle intelligent.
Vieux Paysan. Arles Août 1888
"Arrivant de Paris en Provence, van Gogh redécouvrit les paysans qui
avaient été son motif principal durant ses premières années de peinture en
Hollande. Ce paysan méditerranéen est pétri de soleil aussi bien que de terre ;
sa substance rayonne, sans perdre son brun terrestre ; son sarrau bleu et le
fond orangé brûlé sont le ciel et la terre renversés de Provence. On est
pourtant envoûté par cette image profonde de l'homme, qui nous parle d'abord
par ses yeux et ensuite par tout son visage et exprime aussi sa force par ses
mains magistralement dessinées, et finalement par sa pose, son costume, le
compartimentage même de l'espace qu'il domine. D'une force âpre, d'une
grande simplicité et d'une grande franchise dans sa large représentation , le
portrait est centré sur un visage d'une profondeur et d'une complication
insondables. Chaque trait est un univers avec ses formes, ses couleurs, son
mouvement et son caractère propres, tous ces traits trouvant leur unité dans la
gravité de ce vieux paysan fixé dans une attention soutenue. Le simple pouvoir
de représentation est stupéfiant ; la luminosité des yeux cernés de rouge, le
hérissement coloré de la barbe, tout a été pénétré par la robustesse et la vitalité
d'une technique variée qui semble suivre des tracés préexistants et suggère un
rythme organique de la tête. Un grand goût -disons plutôt une gande
intelligence - apparaît dans la gradation et le contraste des différentes parties,
tout en respectant la plénitude du détail ; la région suprême du visage, qui
contient toutes les couleurs du tableau, comme la source de la palette, sous le
rebord brun de couleur uniforme qui l'ombrage, le chapeau jaune au-dessus,
simple quoique plus brisé ; la blouse bleue complémentaire du fond, mais plus
divisée et reliée par ses nombreux plis aux rayures de la barbe ; les trois
taches rouges de la cravate et des manches dans un dessin fort et concentré qui
enserre les mains et supporte la tête. C'est là peut-être le dernier portrait
réaliste de paysan dans la tradition de la peinture occidentale. C'est peut-être
aussi le seul grand portrait de paysan."
Ah mon Dieu oui !! c'est un chef d'oeuvre! Logiquement je voulais suivre
avec le portrait du facteur et de Tanguy mais ils n'ont, à mon sens, pas la
profondeur, la vérité de celui-là. Ils ne vont pas soutenir la comparaison, je vais
choisir une transition.
samedi 16 mai 2020
Van Gogh ; le Semeur
Mon cher Théo : fin octobre 1888 (Arles)
Merci de ta bonne lettre et du billet de 100 F qu'elle contenait. Suis
très content de ce que le succès de Gauguin en tant que quant à la vente continue. Si d'ici un an il pouvait réaliser assez pour exécuter son plan, d'aller se fixer à la Martinique je croirais sa fortune faite. Seulement selon moi il ne saurait risquer d'y retourner avant qu'il ait 5.000 de côté, selon lui il lui faudrait 2.000. Mais dans mon idée alors il ne partirait pas seul mais avec un autre ou des autres et là-bas fonderait un atelier durable.
Enfin d'ici là, il coulera encore de l'eau sous le pont.
Ce que tu écris des Hollandais m'intéresse beaucoup. J'espère un jour les connaître tous les deux personnellement. Quel âge ont-ils ? J'ose croire qu'ils s'en trouveront bien d'être venus ici en France au bout du compte.
Le mal qu'ils ont pour la couleur : bigre - cela ne m'étonne pas. "L'étude sérieuse" de Rembrandt dont font preuve les deux dessins de De Haan que j'ai sous les yeux qu'il ne la lâche pas!. Est-ce-qu'ils ont lu le livre de Sylvestre sur Eug. Delacroix ainsi que l'article sur "La Couleur" dans "la Grammaire des Arts du Dessin" de Ch. Blan?
Demande-leur donc cela de ma part et s'ils n'ont pas lu cela qu'ils le lisent. Je pense moi à Rembrandt plus qu'il ne peut paraître dans mes études.
Voici croquis de ma dernière toile en train, encore un Semeur. Immense disque citron comme soleil. Ciel vert jaune à nuages roses. Le terrain violet ; le semeur et l'arbre bleu de Prusse, toile de 30. Attendons tranquillement pour exposer jusqu'à ce que j'aie une trentaine de toiles de 30.
Alors nous les exposerons une fois dans ton appartement pour les amis et encore en n'insistant pas.
Et ne ferons rien d'autre .
Il y a bien des raisons pour ne pas bouger maintenant. D'ailleurs cela ne sera pas long, je crois qu'à l'époque de l'exposition ou un peu après je pourrai t'envoyer cela. En attendant cela séchera à fond ici et je pourrai encore reprendre toutes les toiles une fois bien sèches à fond jusque dans les empâtements.
Si à quarante ans je fais un tableau de figures ou des portraits tels que je le sens, je crois que cela vaudra mieux qu'un succès plus ou moins sérieux maintenant.
Ces dernières lignes sont troublantes vous n'avez pas dû manquer les propos laissant plâner un doute sur son suicide. Les investigations policières n'ont--elles pas été suffisantes ? n'avait-il pas lui-même une arme ? a-t-elle été retrouvée? Il se voit peindre à quarante ans et se suicide à 37 ans?
Le Semeur : Octobre 1888, Arles - Huile sur toile 33 x 41 cm
" Dans cette toile, van Gogh a voulu appliquer les leçons reçues de l'art
japonais : composition de fortes diagonales, objets coupés par le cadre,
surfaces plates de coloris francs, formes capricieuses déterminées par les
irrégularités de la nature. Il conserve cependant la pleine évidence de la touche
et l'impulsivité de la main, étrangères aux estampes japonaises qu'il aimait, le
nuancement en ombre et lumière des couleurs atmosphériques qui est
strictement occidental. Pas d'intenses teintes pures, mais des tons rares,
comme le ciel vert pomme, qui tire l'observateur de son monde familier et
l'éveille à l'étonnement et à la rêverie et aux courants intimes de la sensibilité.
Dans la conception de l'homme et de l'arbre, van Gogh introduit une affinité
mystérieuse de couleur, de silhouette et de direction, comme une rime
inattendue qui unit des mots par ailleurs sans autre rapport et donne à chacun
d'eux une plus vaste résonnance.
A l'ambiance de l'oeuvre contribuent de façon décisive la vision du monde
lointain, plein de couleurs par- delà des tons sombres neutralisés des objets au
premier plan, et la position du gigantesque soleil entre eux.
Quant au réseau des lignes, notons la grande maîtrise intuitive de van Gogh
dans l'harmonie des directions et sa liberté dans le déplacement des éléments
donnés par la nature".
Le Semeur (d'après Millet) 1881 Plume Le Semeur (d'après Millet )1889
rehaussée de vert et de blanc Toile 64x 56 cm
48 x 36 cm
https://www.youtube.com/watch?v=Fba-0iKsESw
https://www.youtube.com/watch?v=VM-mzl8a0js
vendredi 15 mai 2020
Van Gogh : Les mangeurs de pommes de terre
C'est parce que nous avons évoqué cette toile que je vous la propose ce matin
et au regard de ce que nous avons vu précédemment, le changement est
brutal, elle est peinte entre septembre et octobre 1886 à Nuenen, très
"hollandaise" par conséquent !!
Cher Théo
J'ai reçu ta lettre à midi. J'ai voulu y répondre sur le champ.
Je suis désireux de me faire une idée du Salon, aussi et surtout d'après
le tableau de Roll.
Je ne suis pas étonné que Durand-Ruel, par exemple, n'ait pas encore
pris connaissance des dessins.
Et même je préfère que Portier n'exagère pas, à dire qu'il les trouve
beaux. Du moins, je sens que je puis faire mieux, car justement je suis
en train de changer, et même au point de trouver indécis ce que je
faisais avant.
Je pense que tu verras ce que je veux dire par le tableau des mangeurs
de pommes de terre et que Portier le comprendra. Toutefois il est très
sombre et, pour le blanc par exemple, il n'y est pour ainsi dire pas
employé de blanc une seule fois, mais simplement la couleur neutre qui
se forme quand on mélange du rouge, du bleu, du jaune, par exemple
du vermillon, du bleu de Paris et du jaune de Naples. Le motif ici est un
intérieur gris éclairé par une petite lampe.
Cette couleur est donc en soi un gris franc, mais elle fait blanc dans le
tableau. Je vais te dire pourquoi je fais cela.
Le tapis de table en toile grise, le mur enfumé, les bonnets poussiéreux
que les femmes portaient pour aller travailler aux champs, tout cela,
quand on le voit en clignant les yeux, semble être à la clarté de la
lampe, d'un gris très foncé, et la lampe, bien que donnant une lueur
d'un jaune roux, paraît encore plus claire, et même plus sensiblement
plus claire que le blanc en question.
Et puis, il y a la couleur des chairs. Je sais bien que ces couleurs là,
quand on les considère superficiellement, c'est-à-dire si l'on n'y
réfléchit pas un peu,ressemblent à ce que l'on appelle la couleur chair.
Or, quand j'ai commencé le tableau, je les ai faites d'abord avec un peu
d'ocre jaune, d'ocre rouge et de blanc par exemple.
Mais cela faisait beaucoup trop clair et n'allait décidément pas.
Que faire? j'avais déjà peint les têtes, même elles étaient assez bien
achevées, avec beaucoup de soin ; et bien je les ai repeintes, sans
hésiter, sans pitié, et la couleur avec laquelle elles sont faites est à peu
près celle d'une pomme de terre bien poussiéreuse, naturellement non
épluchée.
En peignant cela, je pensais encore à ce qu'on a dit, si justement, des
paysans de Millet "Ses paysans semblent peints avec la terre qu'ils
ensemencent".
Propos auquel je me suis efforcé de penser malgré moi, chaque fois que
je les voyais travailler, dehors comme dedans.
Je tiens également pour certain que si on demandait à Millet, à
Daubigny, à Corot de peindre un paysage de neige sans employer de
blanc, ils le feraient, et que la neige paraitraît blanche dans leur
tableau...
Etude de mains : 1885. Fusain 21 x 34 cm
" Etabli comme une somme de l'oeuvre et des recherches antérieures de van
Gogh, ce tableau exprime ausssi très fortement et très pleinement ses
conceptions sociales et morales. C'était un peintre de paysans, non par goût du
pittoresque - bien qu'il fût sensible à la totalité de leur aspect - mais par affinité
et solidarité profondes avec des pauvres gens dont la vie, comme la sienne
propre, était chargée de soucis. Vincent trouvait dans le repas collectif la
circonstance où leur humanité et leur beauté morale se révèlent d'une façon
saisissante ; ils apparaissent alors dans une communauté étroite, fondée sur le
travail et le partage des fruits de ce travail. La table est leur autel, et la
nourriture, un sacrement pour chacun de ceux qui ont participé au labeur.
Sous l'unique lumière, à cette table commune, l'isolement de l'individu est
surmonté et aussi la dureté de la nature - pourtant chacune de ces figures
garde une pensée propre, et deux d'entre elles semblent au bord d'une muette
solitude. Les couleurs de l'intérieur sombre, bleu, vert et brun nous ramènent à
la nature extérieure. Il y a une puretré touchante et une beauté rustique dans
les visages et les mains de ces paysans - par la couleur et le modelé ils
ressemblent aux pommes de terre qui les nourrissent. C'est la pureté d'âmes
familières chez qui le souci des autres et le dur combat avec la terre et les
intempéries laissent peu de place pour l'égoisme.
La composition prend une force rude qui résulte en partie d'une mise en place
naïve. Et dans la gaucherie de van Gogh, qui rend aussi, comme il l'entendait, la
gaucherie de ses modèles, il y a une source de mouvement. Le groupement des
personnages sur les côtés de la table est curieux ; le mur entre les deux
figures de droite crée un compartimentage étrange de l'espace intime.
De l'atmosphère assombrie se détachent de remarquables morceaux de
peinture, découlant des études tenaces ; les tasses de café, avec leurs ombres
grises ; les pommes de terre sur l'écuelle : et les têtes magistrales qui, dans
leur isolement l'une de l'autre révèlent les portraits préparatoires d'où elles
sont copiées. les yeux des deux paysans de gauche brillent d'une lumière
intérieure, et les ombres sur leurs traits expriment plus le modelè de leur
caractère qu'un phénomène de pénombre.
" J'aime mieux peindre les yeux des hommes que les cathédrales"
écrivait peu après Vincent."
Homme bêchant ; 1882 Crayon etr encre 47 x 29 cm
Faucheur : 1885 Fusain 43 x 55 cm
plus personne ne va dans les champs en sabots...Les souliers étaient du luxe
réservés aux Dimanches où l'on se faisait beau pour aller à la messe ; les femmes enlevaient leurs chaussures et allaient pieds nus aux fêtes du village pour les économiser et même au début du XX ème siècle les gamins allaient en galoches de bois souvent cloutées pour éviter l'usure.
Quel chemin parcouru, seuls les soucis n'ont pas disparu !!
et au regard de ce que nous avons vu précédemment, le changement est
brutal, elle est peinte entre septembre et octobre 1886 à Nuenen, très
"hollandaise" par conséquent !!
Cher Théo
J'ai reçu ta lettre à midi. J'ai voulu y répondre sur le champ.
Je suis désireux de me faire une idée du Salon, aussi et surtout d'après
le tableau de Roll.
Je ne suis pas étonné que Durand-Ruel, par exemple, n'ait pas encore
pris connaissance des dessins.
Et même je préfère que Portier n'exagère pas, à dire qu'il les trouve
beaux. Du moins, je sens que je puis faire mieux, car justement je suis
en train de changer, et même au point de trouver indécis ce que je
faisais avant.
Je pense que tu verras ce que je veux dire par le tableau des mangeurs
de pommes de terre et que Portier le comprendra. Toutefois il est très
sombre et, pour le blanc par exemple, il n'y est pour ainsi dire pas
employé de blanc une seule fois, mais simplement la couleur neutre qui
se forme quand on mélange du rouge, du bleu, du jaune, par exemple
du vermillon, du bleu de Paris et du jaune de Naples. Le motif ici est un
intérieur gris éclairé par une petite lampe.
Cette couleur est donc en soi un gris franc, mais elle fait blanc dans le
tableau. Je vais te dire pourquoi je fais cela.
Le tapis de table en toile grise, le mur enfumé, les bonnets poussiéreux
que les femmes portaient pour aller travailler aux champs, tout cela,
quand on le voit en clignant les yeux, semble être à la clarté de la
lampe, d'un gris très foncé, et la lampe, bien que donnant une lueur
d'un jaune roux, paraît encore plus claire, et même plus sensiblement
plus claire que le blanc en question.
Et puis, il y a la couleur des chairs. Je sais bien que ces couleurs là,
quand on les considère superficiellement, c'est-à-dire si l'on n'y
réfléchit pas un peu,ressemblent à ce que l'on appelle la couleur chair.
Or, quand j'ai commencé le tableau, je les ai faites d'abord avec un peu
d'ocre jaune, d'ocre rouge et de blanc par exemple.
Mais cela faisait beaucoup trop clair et n'allait décidément pas.
Que faire? j'avais déjà peint les têtes, même elles étaient assez bien
achevées, avec beaucoup de soin ; et bien je les ai repeintes, sans
hésiter, sans pitié, et la couleur avec laquelle elles sont faites est à peu
près celle d'une pomme de terre bien poussiéreuse, naturellement non
épluchée.
En peignant cela, je pensais encore à ce qu'on a dit, si justement, des
paysans de Millet "Ses paysans semblent peints avec la terre qu'ils
ensemencent".
Propos auquel je me suis efforcé de penser malgré moi, chaque fois que
je les voyais travailler, dehors comme dedans.
Je tiens également pour certain que si on demandait à Millet, à
Daubigny, à Corot de peindre un paysage de neige sans employer de
blanc, ils le feraient, et que la neige paraitraît blanche dans leur
tableau...
Etude de mains : 1885. Fusain 21 x 34 cm
" Etabli comme une somme de l'oeuvre et des recherches antérieures de van
Gogh, ce tableau exprime ausssi très fortement et très pleinement ses
conceptions sociales et morales. C'était un peintre de paysans, non par goût du
pittoresque - bien qu'il fût sensible à la totalité de leur aspect - mais par affinité
et solidarité profondes avec des pauvres gens dont la vie, comme la sienne
propre, était chargée de soucis. Vincent trouvait dans le repas collectif la
circonstance où leur humanité et leur beauté morale se révèlent d'une façon
saisissante ; ils apparaissent alors dans une communauté étroite, fondée sur le
travail et le partage des fruits de ce travail. La table est leur autel, et la
nourriture, un sacrement pour chacun de ceux qui ont participé au labeur.
Sous l'unique lumière, à cette table commune, l'isolement de l'individu est
surmonté et aussi la dureté de la nature - pourtant chacune de ces figures
garde une pensée propre, et deux d'entre elles semblent au bord d'une muette
solitude. Les couleurs de l'intérieur sombre, bleu, vert et brun nous ramènent à
la nature extérieure. Il y a une puretré touchante et une beauté rustique dans
les visages et les mains de ces paysans - par la couleur et le modelé ils
ressemblent aux pommes de terre qui les nourrissent. C'est la pureté d'âmes
familières chez qui le souci des autres et le dur combat avec la terre et les
intempéries laissent peu de place pour l'égoisme.
La composition prend une force rude qui résulte en partie d'une mise en place
naïve. Et dans la gaucherie de van Gogh, qui rend aussi, comme il l'entendait, la
gaucherie de ses modèles, il y a une source de mouvement. Le groupement des
personnages sur les côtés de la table est curieux ; le mur entre les deux
figures de droite crée un compartimentage étrange de l'espace intime.
De l'atmosphère assombrie se détachent de remarquables morceaux de
peinture, découlant des études tenaces ; les tasses de café, avec leurs ombres
grises ; les pommes de terre sur l'écuelle : et les têtes magistrales qui, dans
leur isolement l'une de l'autre révèlent les portraits préparatoires d'où elles
sont copiées. les yeux des deux paysans de gauche brillent d'une lumière
intérieure, et les ombres sur leurs traits expriment plus le modelè de leur
caractère qu'un phénomène de pénombre.
" J'aime mieux peindre les yeux des hommes que les cathédrales"
écrivait peu après Vincent."
Homme bêchant ; 1882 Crayon etr encre 47 x 29 cm
Faucheur : 1885 Fusain 43 x 55 cm
plus personne ne va dans les champs en sabots...Les souliers étaient du luxe
réservés aux Dimanches où l'on se faisait beau pour aller à la messe ; les femmes enlevaient leurs chaussures et allaient pieds nus aux fêtes du village pour les économiser et même au début du XX ème siècle les gamins allaient en galoches de bois souvent cloutées pour éviter l'usure.
Quel chemin parcouru, seuls les soucis n'ont pas disparu !!
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