mardi 8 novembre 2016

Histoires de nefs

 Avant que les orfèvres ne soient séduits par les formes élégantes de ces nefs et ne les cisèlent pour les profanes,  elles trônaient sur les autels  comme des ex-votos et voici l'histoire de l'une d'elle.

" Dans les dangereuses tempêtes, quand tout espoir semblait perdu, et que la bienveillance céleste devenait le dernier refuge des voyageurs terrifiés, on promettait au saint le plus accessible une nef d'argent, si l'on parvenait à aborder saint et sauf.
De là ces jolis navires en métal précieux qui ornaient au XIV ème et au XV ème siècle, les autels des saints particulièrement vénérés ; fastueux ex-voto, précurseurs de ces embarcations plus modestes, que nous voyons encore aujourd'hui suspendues aux voûtes des chapelles de nos côtes.
 Joinville raconte qu'au retour de la Terre Sainte, une tempête effroyable assaillit la flotte de Saint Louis, dans le voisinage de Chypre.
La reine malade se désespérait, quand Joinville lui conseilla de promettre un pélerinage à Saint Nicolas de Varengeville, et, comme la princesse hésitait, objectant qu'elle craignait que le roi ne lui permit pas d'accompir ce voeu ;
"Au moins, Madame, lui dit Joinville,  promectez luy que si Dieu vous rend en France sauvement, que vous luy donnerez une nef de cinq marcs d'argent pour le roy, pour vous et voz enfans. Et si ainsy le faictes, je vous promect et asseure que, à la prière de Saint Nicolas, Dieu vous rendra en France."
Et Joinville ajoute;
" Lors elle promist à Saint Nicolas de luy donner la nef d'argent ; et me requist que je luy en fusse pleige.
Ce que je voulu.
 Et tantoust, elle retourna à nous et nous vint dire que Dieu, à la supplication de St Nicolas, nous avoit garentiz de ce péril.
Quand la royne fust revenue en France, elle fist faire la nef qu'elle avoit promise à Monseigneur Nicolas et y fist enlever (c'est-à- dire représenter en relief) le roy, elle et leurs trois enfans, les mariniers, le mast, les cordaiges et les gouvernailz, tout d'argent et cousuz à fil d'argent.
Laquelle nef elle m'envoya, et me manda que je la conduisisse à monseigneur Saint Nicolas: et ainsi le fis. Et encores depuis long-temps aprèz la y vy-je, quant nous menasmes la seur du roy au roy d'Almaigne."
Mémoires, t. II p, 129


 Le cérémonial des soupers du roi Louis XIV, dans les Ordonnances de 1665 et 1681  montre que beau meuble avait encore gagné en prestige.
Je ne trouve pas trace de son existence à notre époque ni même de sa représentation .
Seule la nef de Louis XV et son dessin par Meissonnier nous sont parvenus :

 L'entrée de la nef de Louis XIV dans la salle des repas était presque triomphale et le cérémonial qui l'accompagnait avait quelque chose de particulièrement solennel.
Quelques instants avant que le roi se mît à table, la nef faisait son apparition, portée par le chef du Gobelet avec tout le respect imaginable.
Un huissier de salle, baguette en main, et un garde du corps armé, marchaient devant ce meuble précieux et lui faisaient faire place.
 Le soir, le même huissier, outre sa baguette, tenait un flambeau, et c'est ainsi que processionnellement en quelque sorte, la nef venait prendre sa place sur le buffet ou sur la table du roi.
Pendant tout le repas, elle avait pour gardien un des gentilshommes servants, qui ne la quittait pas du regard, et, quand on avait besoin de quelqu'un des objets qu'elle renfermait, c'était l'aumonier seul qui avait mission d'en enlever le couvercle.
Enfin, chaque fois que, pour les actes de son  service, le maître d'hôtel passait devant la nef, il lui faisait la révérence....................................
 Cette nef était gardée par deux ou trois gardes du corps sous les armes raconte le duc de Luynes, toutes les dames se rendant au grand souper faisaient une profonde révérence..................................
 Remarquone en finissant que le grand panetier avait comme support de ses armoiries, une nef d'or et que celle-ci comptait parmi les attributs de sa charge.

Ci-dessous


De tous les descriptifs très détaillés de ces coupes  et pour justifier,(si cela était nécessaire) .... une telle adoration, je vous rapporte la nature de cette nef de Louis XIV:
L'Etat du mobilier de la Couronne dressé le 20 février1673 en donne la desciption suivante :
" Une grande nef d'or avec  son couvercle émaillé en quelques endroits, soustenue par deux tritons et deux sirènes sur une base portée par six tortues, enrichies à l'entour de dix chattons de diamans et de douze rubis, par les bouts, de deux couronnes de diamans, au-dessus, des armes esmaillées, et au-dessus du couvercle, d'une grande couronne de diamans et rubis, portée par un petit amour au milieu de deux dauphins, hault de 22 pouces environ, sur autant de largeur, pesant 106m7°0g".
Le modèle de ce véritable chef-d'oeuvre avit été exécuté par le sculpteur Laurent Magnier, qui reçut 450 livres pour son travail.
La confection en fut confiée à l'orfèvre Jean Gravet qui consacra près de six ans à ce difficile et délicat ouvrage et reçut 13.000 livres rien que pour la façon.
 Pour clore ce sujet, le dessin de la nef de Charles-Quint; argent repoussé ciselé et doré 



 que l'on peut admirer au Musée de Cluny
                                              
 une autre nef de table :

et la dernière :

Je passe sous silence la description de "moultes" autres nefs de Charles le Téméraire à  Richelieu ou Catherine de Médicis ou le Roi de Navarre et bien d'autres .

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