mardi 20 octobre 2015

Le blanc du linge

Je ne m'attarderai pas sur le chapitre de la christianisation de l'offrande, puisque dés les années 1820 l'église ne pouvait tolérer le symbolisme pré-chrétien d'une nourriture des défunts par les vivants; l'offrande va encore exister mais il faudra la déposer sur le seuil de l'église  dans une grande "saca" (non sans une certaine réticence).
 Je préfère revenir sur les "interdits" dont je vous avoue que je ne comprends pas bien l'intention, ces:

"il fallait pas joindre les vaches ni rien".

à vous parler de repli, d'enfermement, je finis par y croire mais la neige n'est pas encore là, pour bloquer l'entrée de mon garage.
C'est dans ma bibliothèque que je cherche l'ouverture, et je vous réserve une surprise.
Je le suis moi-même, surprise, d'y retrouver des textes qui m'ont passionné.
Pour aujourd'hui, revenons à ces linges blancs. Nous allons à nouveau flirter avec les "hadas" et les" hantaumas".

   " Un interdit spécifique aux femmes, celui de la lessive, est mentionné fréquemment et avec insistance. Il exprime la relation entre le monde des morts, le sein de la Terre et la féminité.
Mais la justification en est ambiguë.
Pour certains: "l fallait pas faire la lessive pour la Toussaint parce qu' on faisait mourir quelqu'un" ( Simone Artigues, née en 1914).
Pour d'autres, une formulation trés répandue relie le thème de la lessive à celui des mythiques "hadas", ces êtres souterrains bénéfiques qui étendaient leur linge non loin de leurs grottes, et dont la mémoire est encore très présente dans la tradition orale de la Haute-Gascogne.
Pour d'autres encore et les plus nombreux, ce linge évoquait les hantaumas, les fantômes.

Ce n'est pas tant la lessive qui est prohibée, que le fait d'étendre le linge le Premier novembre:
"Ma mère, le jour de la Toussaint, si j'étends quelque chose, elle l'enlève vite de la corde; ça porte malheur...... qu'on voit du linge flottant le jour de la Toussaint."(Jeanne Payrot, née en 1901, Juzet-d'Isaut.) "Les vieux ils savaient ce qu'ils faisaient, ouais !
La mère de Jeanne (née vers 1870) est morte depuis longtemps, mais, dans son récit, Jeanne actualise le geste en faisant un transfert sur elle-même: elle non plus n'étend jamais le Premier novembre.
La réticence devant les lessives de" blanc" mises à sécher à la vue de tous, n'est d'ailleurs pas limitée au jour de la Toussaint. Quel que soit le jour de l'année, on n'aime pas ostenter le linge, ce "blanc" qui évoque à la fois, en un amalgame confus, le linge des "hados" bénéfiques et "les hantaumas" (fantômes, esprits) redoutés : "Cachez ça ! Elles nous disaient les vieilles quand elles nous voyaient étendre.  Que sembla eras tendas d'eras hadas !
(On dirait le linge des "hados" !
(Marthe Daspet, née en 1898, Le Couéou) 



A Girosp, chez Philomène Barès (née en 1896) pas d'ambiguité. Le linge étendu n'est pas celui des hadas.. Raison de plus pour: "le jour de Toussaint, vous pensez, eh! Bon diu, non ! ça il fallait pas étendre, eh!".
Philomène ne s'exprime qu'avec réticence sur ce thème qui est celui du Mauvais.
Par définition, il est donc dangereux de prononcer le nom de ses diverses concrétisations.
Elle détourne la tête, l'air buté, fixe le plancher de la cuisine et consent à ajouter:" Les vieux, ils savaient ce qu'ils faisaient, ouais !"
De toute évidence, pour Philomène, le linge mis à sécher le jour de la Toussaint sur les haies de buis et d'aubépine, évoque le monde hostile et dangereux des hantaumas plutôt que celui des hadas....................................................................
Puis des hadas, elle passe tout aussi vite au thème inévitable dans toute conversation lors d'une visite ou d'une rencontre: "eth tents" , le temps celui qu'il fait pour la Toussaint. Il fallait faire attention au temps, ouais!"
et celui qu'il fera trente jours après, pour la Saint André (30 novembre)

Enta Sent Andreu, ca dits era nieu                    A Saint André dit la neige

Se non i so qu'i sere leu                                Si je n'y suis pas j'y serai bientôt

Dans le Larboust et la vallée d'Oueil, plus élevés, la neige est déjà là d'ordinaire pour la Saint André:
Ta Sent Andreu, asi so nieu                            A Saint andré, je suis là, la neige..

                              "  Se non i so iei sere leu"
                        Si je n'y suis pas j'y serai bientôt

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