mercredi 17 juin 2020

Auguste Renoir :

 Nous sommes allés beaucoup plus loin que "le Cri" de Munch, des "Tournesols" de

Van Gogh et des "Montagnes St Victoire" de Cézanne ;  auparavant nous avions

fait le tour des oeuvres d'Ingres, et il n'est pas inutile de le rappeller car il fut une

source d'inspiration pour Renoir.
 
Quand je vous dis Renoir ... quelles images viennent à vos yeux ?

En ce qui me concerne ce sont ses nus translucides de jeunes filles en fleurs qu'il

peignit jusqu'à la fin de sa vie. Il ne fut pas exempt de souci de santé ni de soucis

d'argent. Vous connaissez ma passion pour la céramique,  c'est dans ce domaine

qu'il débuta sa carrière et avec succès. Comme ses prédécesseurs il fit le voyage

en Italie, Naples, la Sicile,  l'Algérie. De l'Italie, il reviendra séduit  par les peintres

vénitiens mais surtout Raphaël. A Palerme, il va rencontrer Wagner dont il brosse

le portrait en 35 minutes, était- ce le seul temps de pose octroyé par le "maître"....

Il fréquentera Cézanne tant à l'Estaque en 1882 qu'ailleurs dans le Midi  en 1883 ;

 Le Midi, mais aussi Guernesey.
 
Grâce à Durand-Ruel qui expose une trentaine de ses oeuvres à New- York, il

connaît enfin une sécurité financière et cela ne s'arrêtera pas là.

Ses périodes  ? la période aigre, la période nacrée, la période de plénitude et le

succés définitif avec l'entrée  de six de ses oeuvres au Louvre en 1897.

Je suppose qu'amoureux de la nature et précurseur des écolgistes , en  1905, il

sauve une plantation d'oliviers millénaires, en achetant le terrain sur lequel ils

étaient plantés  et y fait construire une maison.

En italie, il avait été  séduit par le "Traité sur la peinture" de Cennino Cennini, en

1910 il en écrit une préface.
 
Malgré ses crises de rhumatime articulaire, il peindra jusqu'au bout de ses forces,

en se faisant attacher le pinceau à ses doigts par une bande..

Voilà  un rapide  tour d'horizon  que je compléterai avec les oeuvres choisies (les

moins connues)  et le texte de  Walter Pach.

 Pour commencer , sans doute inspiré par Cézanne, cette Nature Morte.

                               Fruits du Midi  de 1881

                        Huile sur toile  50 X 68 cm




                    " Cette nature morte, pleine de surprises, est à la fois conforme à ce

que l'on attend de Renoir et différente. Une certaine rudesse de la touche, du

volume et du dessin suggère l'influence de Cézanne : peut-être même a-t-elle été

peinte à l'Estaque. Mais la profusion - il n'y a pas moins de vingt-quatre fruits de

nombreuses variétés différentes - est le signe de Renoir et non point de Cézanne.

 De même aussi le souci de la texture, l'abondance de la couleur, la préoccupation

de l'aspect et du sentiment des choses ; l'intérêt soutenu dans la variété des

centres lumineux est propre à Renoir, comme la  découverte des subtiles qualités

décoratives du sujet.
 
L'ellipse en forme festonnée du plat manifeste, avec la plus  nette évidence, un

thème décoratif. Si l'oeil parcourt le périmètre extérieur de la nature morte

entière, il décrit, de ce thème, une variation plus large. A l'intérieur du tas de

fruits, comme aussi dans les objets isolés - les poivrons par exemple - d'autres

échos s'en percoivent.

Sur la gauche de la toile, l'organisation de la couleur s'oppose à ce développement.

 Les rouges éclatants sont surtout vers la droite et, avec les piments pour angles,

forment un triangle équilatéral presque parfait. Les bleus violets sombres, les

jaunes et les verts sont limités à l'autre côté de la composition ; mais ils sont

relevés par les fruits dans le centre du triangle rouge, tandis que le rouge trouve

un écho dans les deux fruits ronds à gauche. De même, les violets sont présents

dans les grenades et dans les ombres portées (tout à fait inhabituelles pour Renoir

 à cette époque et rappelant à nouveau Cézanne).  Toutes les couleurs majeures

sont projetées à travers la partie supérieure du fond, et leurs nuances délicates 

reviennent à nouveau dans la nappe.

D'autres thèmes sont visibles : les formes en rondeur, qui vont de la sphère à la

forme de l'oeuf : les ellipses allongées des feuilles ; et le mouvement irrégulier,

saccadé, des tiges, variante du rebord blanc du  plat et repoussoir à la plénitude

éclatante des fruits."





Paul Cézanne ; La Montagne St Victoire au grand pin

                https://www.youtube.com/watch?v=LjYEajPg34Q&list=PLJZypgi6QlH5m5_PbzFa4yOTn_BtWGc2n&index=3&t=0s




                                                Entre 1885 et 1887 - Toile 67 X 92 cm

                " La montagne St Victoire, près d'Aix, attira Cézanne toute sa vie. Il

s'identifia à elle comme les Anciens à une montagne sainte sur laquelle ils

plaçaient la demeure ou le lieu de naissance d'un dieu. Seulement pour Cézanne

c'était un dieu intérieur qu'il concrétisait en ce sommet, son effort, son exaltation

et son désir de repos. Dans le tableau du Metropolitan Museum de New-York, la

montagne vient moins pleinement en vue, sa majesté est amoindrie par les arbres

du premier plan et par la vaste amplitude de la vallée à droite. La toile de

Londres, plus large, rend la grandeur caractéristique du site, mais elle offre aussi

un champ plus vaste à l'artiste observateur et à son humeur turbulente. Cette

montagne tranquille porte la marque du coeur tourmenté de Cézanne, et le pic

même, bien que plus serein, est traversé de formes mouvementées comme le

balaiement des branches dans le ciel. Une passion envahissante agite les lignes

répétées dans chacun d'eux. Même les pentes du viaduc et les lignes horizontales

de la vallée, ainsi que leurs couleurs, sont plus brisées que dans le tableau de

New-York. Le dessin et la touche sont partout plus impulsifs. Pourtant le paysage

lointain résout dans une certaine mesure les efforts du monde du premier plan.

Les versants de la montagne unifient dans une seule forme équilibrée les dualités

distinctes tendues et instables de l'espace de l'observateur ; l'arbre vertical rigide

et ses branches étendues et flexibles, le dialogue des grandes frondaisons

véhémentes qui, bien que voisines, ne peuvent se rejoindre ou les mouvements

divergents dans la vallée au bord inférieur du cadre.

Merveille ! tout semble frémir dans les couleurs changeantes de touche en

touche; cependant que de ce vaste mouvement sans repos émerge un monde

solide à l'étendue sans fin, qui s'élève et s'établit. La grande profondeur est bâtie

sur de larges assises, fixées et croisées de manière serrée, sans plan apparent de

construction. Vers nous, ces bases deviennent de plus en plus diagonales : les

lignes divergentes au premier plan semblent une vague réflexion de la forme de la

montagne. Ces diagonales ne sont pas des lignes en perspective menant au pic,

mais comme dans l'autre tableau, elles nous conduisent au loin, vers les côtés, là

où les pentes de la montagne commencent : elles sont prolongées par une

branche   basse tombant de l'arbre.

 C'est ce contraste des mouvements des côtés et du centre, de symétrie et de

déséquilibre, qui donne à la scène son aspect de tension dramatique. Pourtant

cette peinture est une harmonie profonde, construite avec une merveilleuse

finesse. Il est étonnant de voir combien Cézanne a orchestré cet ensemble

complexe. Si nous désirons voir sa subtilité à l'oeuvre, considérons seulement la

courbe des arbres qui devient perpendiculaire au  versant de la montagne quand  

elle atteint l'horizon. Ou encore observons les formes rectangulaires et pointues de

la maison à côté du même arbre. "


             https://www.youtube.com/watch?v=7UjDbMdgBXI

 Si vous le pouvez allez à Paris visiter le Musée Marmottan jusqu'au 3 janvier "Cézanne et les maîtres, rêve d'Italie".

          https://www.youtube.com/watch?v=hku_dNy8EeI


mardi 16 juin 2020

Paul Cézanne : La Montagne Sainte Victoire

 Nouvelle version de ce massif, pour un comparatif similaire à celui des pommes ;

aujourd'hui la toile du Metropolitan Museum of Art de New-York :


     " Admirable idée d'avoir opposé au paysage éloigné l'arbre élancé du premier

plan, par lequel le proche et le lointain, la gauche et la droite deviennent plus

fermement définis, chacun avec son caractère et sa dominante propre.


                                                      Entre 1885 et 1887 - Toile, 65 X 81 cm

La largeur, la hauteur et la profondeur sont presque également développées , de

l'équilibre de ses dimensions naissent la plénitude et le calme de la peinture.

Nous mesurons l'ampleur de l'espace dans la large vallée au viaduc; nous sentons

une profondeur équivalente dans l'interminable passage de la première maison au

sommet de la montagne ; mais nous prenons conscience aussi de la grande

altitude de l'espace dans l'arbre central qui donne la mesure de la dimension

verticale, traversant toutes les zones du paysage et atteignant le bord supérieur

de la toile en partant de son bord inférieur.

Ce contraste des verticales et des horizontales est tempéré par les nombreuses

diagonales dont la pente s'échelonne à de faibles intervalles.L'arbre presque

vertical du centre fait partie d'une série d'arbres plus ou moins d'aplomb et le

tronc le plus incliné se rapproche de la pente de la montagne et de la forte

diagonale de la route. Mais cette route, elle aussi, ressemble par sa forme

sinueuse à la longue silhouette de la montagne qui dans ses chaînes moyennes et

dans les collines à ses pieds s'est établie peu à peu sur une horizontale pure

comme le viaduc.La transition du vertical à l'horizontal par de multiples et menus

changements  d'axe est comme les gradations de couleurs qui échelonnent les

extrêmes de chaleur et de froid, de lumière et d'ombre par petits intervalles pour

créer la délicatesse opaline de l'ensemble.

De toutes ces diagonales, aucune ne converge  en profondeur avec le

raccourcissement habituel de la perspective. Sur le plan du sol du paysage,

Cézanne choisit des diagonales qui vont en divergeant à partir du spectateur vrers

les côtés de la toile et supprime ainsi la tension du point de fuite. La profondeur

est établie par le chevauchement des objets, par de vastes étages horizontaux

posés l'un sur l'autre et traversés par l'arbre vertical et ses longues diagonales. Le

jeu des contrastes de couleur est aussi un moyen délicat de susciter la profondeur.

Le vert foncé de l'arbre du premier plan contraste avec un ocre vif en dessous et

le léger bleu vaporeux du ciel. Les tons rougeâteres sur le tronc de l'arbre

rappellent le rose du pic de la montagne, mais ils sont posés sur un ton de bleu

plus sombre que celui du ciel. l'opposition des tons chauds et froids vire

graduellement depuis le mariage des verts et des jaunes du premier plan jusqu'à

celui des bleus et des roses dans le lointain.

 Le travail du pinceau est l'une des principales beautés de cette peinture et mérite

la plus grande attention. Il est parfaitement visible et franc, sobre touche

d'ouvrier, et, par ses variations innombrables en direction et en taille, est un

moyen lyrique, sensible au plus infime changement dans l'accentuation visuelle

des formes et des couleurs, dans leur modelé et leur accent."

            https://www.youtube.com/watch?v=1KmrxL29-LY

http://knock-on-wood.over-blog.com/2019/06/cezanne-gauguin-van-gogh-les-initiateurs-de-l-art-moderne.html

dimanche 14 juin 2020

Paul Cézanne : La montagne St Victoire vue de Bibémus

        " Dans les tableaux antérieurs de la montagne St Victoire on la voyait d'une

distance considérable et sa place dans le panorama général lui donnait un calme

plus grand. Ici, Cézanne s'est rapproché du pic, mais ce dernier est plus accessible

qu'auparavant. Au lieu de suspendre le spectateur au-dessus de la vallée, il place

un abîme entre lui et l'objet principal. C'est une carrière au delà de laquelle il voit

les rochers qui lui font face et la cime surgissante.




                                                        Entre 1898 et 1900 - Toile, 65 X 81 cm

                  https://www.youtube.com/watch?v=p6ygBSPVP4k


  Par ce moyen, le paysage lui-même est devenu dramatique, rempli d'énergies

titanesques en conflit,mais qui sont en dehors du domaine du spectateur. La

montagne, comme une sculpture héroïque, est basée sur un gigantesque pièdestal

de rochers encadré par des arbres. Un côté s'élève en pente continue et nette ;

l'autre étrangement agitée, change sa course par de nombreuses cassures

abruptes. Pour la première fois nous voyons le pic comme  un objet individualisé

 avec un profil distinct ou avec deux côtés comme un visage humain. Il a perdu la

vieille symétrie classique et il est devenu une forme dynamique et complexe.  En

même temps sa hauteur, son mouvement qui s'efforce vers le haut, est plus

prononcé. Il n'y a pas de plan général horizontal, aucune immense plate-forme du

sol pour apaiser la pyramide naturelle, mais une profonde crevasse verticale à

base convexe divisant en deux la paroi de la carrière et marquée par des troncs

penchés instables, ajoutant encore à l'effet agité de cette composition de chaleur

et de contrainte.

Le goût pour le plan vertical, que nous avons remarqué dans "Pommes et oranges"

comme un caractère typique de la dernière époque, se retrouve, traduit avec une

force grandiose, dans ce paysage, mais avec un sens autrement expressif.

 La montagne est aussi distincte que les objets les plus rapprochés, même plus

distincte si nous comparons le dessin de son contour avec les silhouettes vagues

et quelquefois même fondues des arbres du dessous. Si nous allons du premier

plan au lointain les objets deviennent plus grands, comme dans la perspective

émotionnelle d'un primitif. La grande masse de l'arbre en haut et à droite semble

appartenir à la même région de l'espace que la montagne et ce n'est que lorsque

nous suivons la ligne ondulante de son tronc que nous constatons qu'il est situé au

premier plan. Des verts très semblables interviennent sur le devant et dans le

lointain, unifiant les plans très séparés par un système commun d'accents.

 Les rochers orangés et le ciel bleu, l'accord contrastant le plus fortement, relient

aussi l'espace le plus lointain au plus rapproché. Une gradation de tons lavande,

de roses et de pourpres s'étend sur toute la profondeur. Comme dans les natures

mortes, cette vue plus proche est associée avec une intensité de sensation très

forte. Avant Cézanne, il y a peu de paysages dans lesquels l'orange et le bleu sont

appliqués avec des contrastes aussi grands et aussi lumineux."

                  https://www.youtube.com/watch?v=4dTmOec7Uq0


Paul Cézanne : La Montagne St Victoire

 Comme les  pommes , la montagne St Victoire a été un sujet d'inspiration pour ce

peintre : pratiquement sous le même angle, telle que les Aixois la voient. Bien que

l'ayant escaladée, je n'ai jamais eu la curiosité d'aller la voir  d'une autre manière.

Les massifs mythiques de cette belle région de France sont nombreux, que ce soit

le mont Ventoux célèbre pour son étape du Tour de france ou le Luberon avec ses

villages perchés pleins de charme.


https://www.luberon-apt.fr/le-territoire/ville-et-villages-du-luberon/les-villages-de-caractere


https://www.youtube.com/watch?v=1Wy_4em4eKI


                                                 
                                                         Entre 1904 et 1906 - Toile 65 X81 cm

             " Les tableaux que Cézanne fit vers la fin de sa vie ont une liberté

passionnée qui va même jusqu'à la délivrance de l'extase. L'intensité du sentiment

qui avait marqué ses premières toiles romantiques revient sous une forme

nouvelle. Il n'y a plus d'excitation d'images mentales de désir et de violence, c'est

une rhapsodie orageuse dans laquelle la terre, la montagne, le ciel sont unis dans

un plan général, un jaillissement de couleurs, de tons riches sur une gamme

étendue. C'est un poème irrésistible d'accomplissement qui nous rappelle la

musique de Beethoven. Le dynamisme d'une émotion profonde occupe toute la

toile. Il n'y a pas seulement des contrastes entre le stable et l'instable ainsi que

dans les autres ouvrages mais entre différentes sortes de mouvements et de

couleurs intenses. La montagne s'élève passionnément vers le ciel en même temps

qu'elle glisse vers la terre ; sa surface fait comme un réseau de lignes

ascendantes en perspective, convergentes vers le pic qui est leur but. Le ciel

explose à son tour en une danse de couleurs, un épanouissement de nuages bleus

et verts aussi forts et profonds que les bleus et les verts du sol, des volumes

extraordinaires à la couleur vibrante qui forment un halo tourmenté de tons purs

autour de la montagne glorieuse et lui donnent une plus vivante qualité

dramatique. Le sol est presque chaotique, il est cependant formé de touches

nettement verticales et horizontales faisant un contraste tranchant avec les

touches diagonales de la montagne et les nombreuses touches incurvées du ciel.

 Celles-ci répparaissent en bas, au premier plan, dans des bleus, des pourpres et

des violets, écho renversé de la montagne lointaine. 

La grande étendue de la terre repose sous toute cette turbulence de coups de

pinceau et de la couleur."

samedi 13 juin 2020

Paul Cézanne : Portrait de Victor Chocquet

   " Victor Chocquet était un ami des impressionnistes, il est devenu un personnage

historique à cause de sa pure dévotion pour l'art contemporain. Petit fonctionnaire,

sans grandes ressources, il fut saisi par la beauté des oeuvres de Renoir et de

Cézanne et en constitua une collection au moment où elles étaient encore en butte

aux moqueries des critiques et du public. Chacun de ces artistes fit de lui plusieurs

portraits.




                                                                1876 - 1877 - Toile 46 X36 cm

           Dans ceux qu'exécuta Renoir, Chocquet est d'une nature douce, ouverte ,

parfaitement détendu, il regarde aimablement le spectateur.

https://www.societe-cezanne.fr/2017/04/29/portrait-de-victor-chocquet-1876-1877-r292-fwn437/


Dans le tableau de Cézanne, les traits ne sont pas moins sensibles, mais il y a

dans le port de la tête, franchement tournée et surmontée par la haute masse des

cheveux, un accent de grandeur, un souvenir des portraits préromantiques du

Premier Empire. Une telle idéalisation est étrangère aus portraits impressionnistes

; mais nous avons déjà vu dans le portrait de Boyer comment Cézanne donne à

ses amis cette aura romantique.


                                                Portrait de  Boyer


Chocquet a été vu tel un personnage émacié, au type de Don Quichotte.

L'étirement de la tête ressemble aux amincissements du Greco ; ici le culte de

l'art, avec un même détachement et la même pureté d'esprit, remplace l'intention

religieuse.

On voit la tête dans une perspective curieuse, comme à travers une lentille qui

rendrait étroit le visage et raccourcirait les côtés. Les traits sont extrêmement

tendus et, par la réduction de la  force  de leurs axes, la direction  des yeux fait

aussi ressortir la verticale de la figure, qui est encore prolongée par l'angle en haut

du front et le même angle du col ouvert.

Comparé au portrait de Boyer, c'est une étape vers la lumière et la fraîcheur de la

couleur, de la même façon que ses nouveaux paysages.

Les couleurs du jour remplacent les noirs et les ombres neutres du premier

portrait. De même que dans les paysages, nous suivons partout le travail

vigoureux et franc du pinceau qui suscite une pâte épaisse et moelleuse de

couleur, riche en vibrations, en directions et en tonalités. Toujours la touche est

intense et directe - dans l'arrière plan comme dans la tête, dans les cheveux

comme dans les traits délicats, mais avec un mouvement distinct dans chaque

partie. Cette touche bien proportionnée à l'ensemble, assez petite pour obtenir un

modelé subtil, assez large pour être parfaitement visible, tel un élément constructif

du tout - quelques petites taches rouges bondissantes et chaotiques palpitent dans

le nez et les joues - et des touches plus sombres suscitent un rythme intéressant

 mais sans accent de lignes courbes, avec les contours des cheveux et de la barbe

: tout est bâti sans trace apparente de plan ou de lignes structurales maîtresses,

comme un jeu spontané du pinceau en réponse directe à l'homme.  Ce qui est plus

remarquable dans tout cela - ce à quoi nous revenons sans cesse - c'est la largeur

de l'effet, la possession puissante de l'espace."


vendredi 12 juin 2020

Paul Cézanne : Jeune italienne accoudée

              " Cézanne utilise ici plusieurs éléments et des procédés du "Vase bleu", du

Jeu de Paume : le dessus de table à dessins, la table penchée, la grande masse

blanche avec ses nombreuses couleurs. Ce tableau ressemble aussi à la nature

morte par l'inclinaison prononcée de la forme principale. Pourtant l'effet est très

différent - un peu plus équilibré d'éléments simples ou riches, du stable et de

l'instable. L'ensemble est traité avec une ampleur qui rappelle les grands portraits

vénitiens de la Renaissance. Les formes sont étonnament pleines et bien définies.
 
 : le personnage penché remplit son espace de façon splendide.



C'est une oeuvre puissamment construite, compacte et claire, dont les différentes

parties sont admirablement assorties les unes aux autres et à la surface de la toile.

Les masses inclinées du haut du corps ( avec l'angle droit du coude) sont opposées

aux masses rectangulaires de la jupe et du dessus de table ; pourtant on ne voit

pas beaucoup d'horizontales ni de verticales et seulement par petits fragments.

Les masses les plus stables sont couvertes de lignes et de taches au caractère peu

architectural, procédé typique de la dernière manière de Cézanne par lequel la

sévérité de la construction est adoucie et les qualités opposées entremêlées.

La couleur est riche, grave et puissante. la sismplicité du vaste aspect cache tout

d'abord la variété des relations de couleurs. Considérons seulement le bleu sombre

de la jupe qui fait un contraste différent avec chacune des grandes surfaces de

couleur. Son obscurité ou sa valeur basse est opposée au blanc ; son froid est

opposé aux chauds complémentaires de jaune et d'orange du fichu et de la figure ;

son uniformité ou son unité, aux couleurs bigarrées du tapis ; sa pureté, au brun

neutre et mélangé du mur. En même temps cette masse bleue est harmonisée

avec tous les champs opposés et distincts: ses rayures convergentes

réapparaissent dans la manche blanche, qui est elle aussi teintée de bleu et de

gris; des lignes de bleu sombre indiquent les contours de la figure, des traits et du

bras droit et on trouve du bleu, du gris et du noir dans le fichu qui est relié au mur

non seulement par un vert flou et des teintes poupres dans le brun, par les lignes

du mur et du dé à gauche, mais encore par la gamme de couleurs sombres ; enfin,

la zone bleue est en rapport avec le dessus de la table grâce à sa position, à sa

forme pareille et aussi grâce à l'analogie des lignes. Des touches de rouge et de

vert lient le visage à la décoration du dessus de la table.

La composition et l'ordre des couleurs ont un sens expressif - le registre le plus

intime, plus proche, plus chaud étant dans la moitié gauche du tableau ; le côté de

la rêverie et les éléments les plus froids, mais aussi les plus puissamment

contrastés, sur le côté droit, le côté du corps.

 Enfin je dois mentionner le magnifique modelé de la tête avec les accents forts

que le pinceau lui donne - lignes bleues peintes en épaisseur, très soignées et

précises, qui confèrent au dessin une solidité sculpturale."