vendredi 15 mai 2020

Van Gogh : Les mangeurs de pommes de terre

 C'est parce que nous avons évoqué cette toile que je vous la propose ce matin

  et au regard de ce que nous avons vu précédemment, le changement est

brutal, elle est peinte entre septembre et octobre 1886 à Nuenen, très

"hollandaise" par conséquent !!



 Cher Théo

J'ai reçu ta lettre à midi. J'ai voulu y répondre sur le champ.

 Je suis désireux de me faire une idée du Salon, aussi et surtout d'après

  le tableau de Roll.

Je ne suis pas étonné que Durand-Ruel, par exemple, n'ait pas encore 

 pris connaissance des dessins.

 Et même je préfère que Portier n'exagère pas, à dire qu'il les trouve 

beaux. Du moins, je sens que je puis faire mieux, car justement je suis 

en train de changer, et même au point de trouver indécis ce que je 

faisais avant.

Je pense que tu verras ce que je veux dire par le tableau des mangeurs 

de pommes de terre et que Portier le comprendra. Toutefois il est très 

sombre et, pour le blanc par exemple, il n'y est pour ainsi dire pas 

employé de blanc une seule fois, mais simplement la couleur neutre qui 

se forme quand on mélange du rouge, du bleu, du jaune, par exemple 

du vermillon, du bleu de Paris et du jaune de Naples. Le motif ici est un 

intérieur gris éclairé par une petite lampe.

 Cette couleur est donc en soi un gris franc, mais elle fait blanc dans le 

tableau. Je vais te dire pourquoi je fais cela.

Le tapis de table en toile grise, le mur enfumé, les bonnets poussiéreux 
 
que les femmes portaient pour aller travailler aux champs, tout cela, 

quand on le voit en clignant les yeux, semble être à la clarté de la 

lampe, d'un gris très foncé, et la lampe, bien que donnant une lueur 

d'un jaune roux, paraît encore plus claire, et même plus sensiblement 

plus claire que le blanc en question.

Et puis, il y a la couleur des chairs. Je sais bien que ces couleurs là, 

quand on les considère superficiellement, c'est-à-dire si l'on n'y 

réfléchit pas un peu,ressemblent à ce que l'on appelle la couleur chair. 

Or, quand j'ai commencé le tableau, je les ai faites d'abord avec un peu 

d'ocre jaune, d'ocre rouge et de blanc  par exemple.

Mais cela faisait beaucoup trop clair et n'allait décidément pas.

Que faire? j'avais déjà peint les têtes, même elles étaient assez bien 

achevées, avec beaucoup de soin ; et bien je les ai repeintes, sans 

hésiter, sans pitié, et la couleur avec laquelle elles sont faites est à peu 

près celle d'une pomme de terre bien poussiéreuse, naturellement non 

épluchée.

 En peignant cela, je pensais  encore à ce qu'on a dit, si justement, des 

paysans de Millet "Ses paysans semblent peints avec la terre qu'ils 

ensemencent".

Propos auquel je me suis efforcé de penser malgré moi, chaque fois que

je les voyais travailler, dehors comme dedans.

 Je tiens également pour certain que si on demandait à Millet, à

 Daubigny, à Corot de peindre un paysage de neige sans employer de 

blanc, ils le feraient, et que la neige paraitraît blanche dans leur 

tableau...


                               Etude de mains : 1885.  Fusain 21 x 34 cm



   " Etabli comme une somme de l'oeuvre et des recherches antérieures de van

 Gogh, ce tableau exprime ausssi très fortement et très pleinement ses 

conceptions sociales et morales. C'était un peintre de paysans, non par goût du

 pittoresque - bien qu'il fût sensible à la totalité de leur aspect - mais par affinité

 et solidarité profondes avec des pauvres gens dont la vie, comme la sienne 

propre, était chargée de soucis. Vincent trouvait dans le repas collectif la

 circonstance où leur humanité et leur beauté morale se révèlent d'une façon 

 saisissante ; ils apparaissent alors dans une communauté étroite, fondée sur le 

travail et le partage des fruits de ce travail. La table est leur autel, et la

 nourriture, un sacrement pour chacun de ceux qui ont participé au labeur.

Sous l'unique lumière, à cette table commune, l'isolement de l'individu est

 surmonté et aussi la dureté de la nature - pourtant chacune de ces figures

garde une pensée propre, et deux d'entre elles semblent au bord d'une muette 

solitude. Les couleurs de l'intérieur sombre, bleu, vert et brun nous ramènent à 

la nature extérieure. Il y a une puretré touchante et une beauté rustique dans

 les visages et les mains de ces paysans - par la couleur et le modelé ils 

ressemblent aux pommes de terre qui les nourrissent. C'est la pureté d'âmes 

familières chez qui le souci des autres et le dur combat avec la terre et les 

intempéries laissent peu de place pour l'égoisme.

 La composition prend une force rude qui résulte en partie d'une mise en place 

naïve. Et dans la gaucherie de van Gogh, qui rend aussi, comme il l'entendait, la

 gaucherie de ses modèles, il y a une source de mouvement. Le groupement des

 personnages sur les côtés de la table est curieux ; le mur entre les deux

figures de droite crée un compartimentage étrange de l'espace intime.

 De l'atmosphère assombrie se détachent de remarquables morceaux de 

peinture, découlant des études tenaces ; les tasses de café, avec leurs ombres 

grises ; les pommes de terre sur l'écuelle : et les têtes magistrales qui, dans 

leur isolement l'une de l'autre révèlent les portraits préparatoires d'où elles

sont copiées. les yeux des deux paysans de gauche brillent d'une lumière

 intérieure, et les ombres sur leurs traits expriment plus le modelè de leur

 caractère qu'un phénomène de pénombre.

   " J'aime mieux peindre les yeux des hommes que les cathédrales"

 écrivait peu après Vincent."


                   Homme bêchant ; 1882 Crayon etr encre 47 x 29 cm



                                               Faucheur : 1885 Fusain 43 x 55 cm

    plus personne ne va dans les champs en sabots...Les souliers étaient du luxe
réservés aux Dimanches où l'on se faisait beau pour aller à la messe ;  les femmes enlevaient leurs chaussures et allaient pieds nus aux fêtes du village pour  les économiser et même au début du XX ème siècle les gamins allaient en galoches de bois souvent cloutées pour éviter l'usure.
Quel chemin parcouru, seuls les soucis n'ont pas disparu !!




jeudi 14 mai 2020

Van Gogh : les cafés

 Alors qu'il n'est toujours pas possible de retrouver l'atmosphère chaleureuse 

de ces lieux publics, voyons  les cafés vus par Van Gogh.

( Quelques perturbations d'ordre technique m'ont éloignée de vous des derniers jours)

(il se pourrait d'ailleurs que je sois obligée d'interrompre cet article  mais j'y reviendrai dans tous les cas)


 Lettre à Wihelmine.

... je viens de terminer une toile qui représente un intérieur de café  la nuit éclairé par des lampes. Quelques pauvres rôdeurs de nuit dorment dans un coin. la salle est peinte en rouge et là-dedans sous le billard vert qui projette une immense ombre sur le plancher.



dans cette toile il y a 6 ou 7 rouges différents depuis le rouge sang jusqu'au rose tendre faisant opposition à autant de verts pâles et foncés..... j'ai été interrompu justement par le travail que m'a donné de ces jours-ci un nouveau tableau représentant l'extérieur d'un café le soir. Sur la terrasse il y a de petites figurines de buveurs.



  Une immense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture, le trottoir, et projette même une lumière sur les pavés de la rue qui prend une teinte de violet rose. Les pignons des maisons d'une rue qui file sous le ciel bleu constellé d'étoiles, sont bleu foncé ou violets avec un arbre vert.. Voilà un tableau de nuit sans noir, rien qu'avec du bleu et du violet et du vert et dans cet entourage la place illuminée se colore de soufre pâle,  de citron vert. Cela m'amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau le jour d'après le dessin. Mais moi je m'en trouve bien de peindre la chose immédiatement.
Il est bien vrai que dans l'obscutité je peux prendre un bleu pour un vert,  un lilas bleu pour un lilas rose, puisqu'on ne distingue pas bien la qualité du ton. Mais c'est le seul moyen de sortir de la nuit noire notre conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie déjà nous donne les jaunes, les orangés les plus riches. J'ai aussi fait un nouveau portrait de moi-même comme étude où j'ai l'air d'un japonais.


  Terrasse de café la nuit Septembre 188,Arles Huile sur toile 81 X 65 cm

"Peint en même temps que  le "Café de nuit"  cet extérieur coloré est une

 oeuvre moins dramatique, plus pirroresque, la vision d'un spectateur détendu 

qui savoure sasns aucun propos moral le charme de ce qui l'entoure. Il rappelle

 l'état d'esprit de van Gogh quand il écrivait que "la nuit est plus vivante et plus

 richement décorée que le jour".Alors que le "café de nuit" est irrésistiblement 

centré, avec la fuite rapide et prolongée des lignes et l'opposition dominante des

verts et des rouges , cette scène d'extérieur est vue avec plus de détachement. 

La couleur est plus largement prodiguée  et le regard erre le long des arêtes en 

gradins ou en queue de pigeon des surfaces voisines - forme irrégulières 

ajustées les unes aux autres comme un puzzle en dent de scie. Il est 

difficile pour l'oeil de maintenir dans cet espace une séparation durable entre

les objets et le fond. Le proche et le lointain sont pareillements distincts.

Le jaune du café joue sur le bleu noir de l'extrémité de la rue et le violet bleu de

 la porte à l'avant-plan; et, par un paradoxe de composition qui concourt à 

l'unité de l'oeuvre, au plus haut de contraste, l'angle obtus de l'auvent, tout

 conter nous, touche la partie la plus distante du ciel bleu. Des lignes

 raccourcies qui plongent dans la profondeur, comme un linteau de porte, sont 

strictement parallèles (sur le plan de la toile) à des lignes comme la pente de 

l 'auvent jaune et le toit de la maison au-dessus qui sont en réalité dans des 

plans perpendiculaires au premier. Dans cette vision vagabonde et sans 

contrainte la dimension verticale n'est pas moins importante et expressive que

 la profondeur.

La silhouette du ciel étoilé est la clef de toute la composition ; l'idée poétique de

 l'oeuvre -  la double illumination et le contraste du café et du ciel nocturne - se

 développe sous cette forme dentelée. la découpe du plancher orange, avec les 

portes et les fenêtres du café, est homologue du ciel bleu renversé ; les disques 

parsemés des étoiles font pendant aux plateaux elliptiques des tables 

au-dessous.  Si le café se détache comme l'objet le plus brillant et le plus 

complet de la scène, il est moins défini que le ciel étoilé ; sa couleur est la plus

 changeante, passant du jaune à l'orange et au vert, et elle tranche vivement 

sur presque toutes les autres couleurs dans le cecle de tons plus froids et plus

 sombres où elle s'inscrit. A cause de ces rapports, qui déterminent un riche 

effet spectaculaire, cette oeuvre est mons profondément absorbante, moins 

concentrée que les meilleures de van Gogh"


Ah bon !! c'est l'avis de Schapiro, mais pas le mien, je me sens très bien sur 

cette terrasse !!! 

 j'ai peut-être le temps de voir ce qu'il nous dit du "Café de nuit" , je le remets 

sous vos yeux.

  septembre 1888 ;  Arles. 70 x 89 cm


       " Van Gogh jugeait le "Café de nuit" qu'il avait peint pour son propriétaire 

en paiement du loyer "une des peintures les plus laides que j'aie faites" .

L'exécuter lui procura toutefois beaucoup de joie, et il est peu d'oeuvres sur 

lesquelles il ait écrit avec autant de conviction. Ce n'est plus l'atmosphère 

agréable du café qu'avaient illustrée les impressionnistes, c'en est le côté 

trouble et plus sombre.  La rudesse du graphisme, la concentration sur les

 objets, l'intention morale répandue évoquent l'époque hollandaise.

 Aussi parle-t-il de ce tableau comme "équivalent, quoique différent, aux 

"Mangeurs de pommes de terre" que rappelle la lumière de la lampe ; c'est

 mise en parallèle, une puissante image d'une condition humaine opposée - 

celle des viveurs et des sans-logis. Mais reportons-nous à la force de sa propre

 description.

"J'aicherché à exxprimer avec le rouge et le vert les terribles passions

 humaines.

 "la salle est rouge sang et jaune sourd , un billard vert au milieu, quatre 

lampes jaune citron à rayonnement orange et vert. C'est surtout un combat et 

une antithèse des verts et des rouges les plus différents, dans les personnages 

de voyous dormeurs petits, dans la salle vide et triste, du violet et du bleu. Le

 rouge sang et le vert jaune du billard par exemple contrastent avec le petit

vert tendre Louis XV du comptoir, où il y a un bouquel de roses.

"les vêtements blancs du patron, veillant dans un coin dans cette fournaise, 

deviennent jaune citron, vert pâle et lumineux ..."

Quelque jours après il écrit.." J'ai cherché à exprimer que le café est un endroit 

où l'on peut se ruiner, devenir fou, commettre des crimes. Enfin j'ai cherché à 

exprimer... comme la puissance des ténèbres d'un assomoir.... toute cela dans 

une atmosphère de fournaise infernale, de soufre pâle . Et toutefois sous une

 apparence de gaieté japonaise et la bonhomie de Tartarin".

Dans son récit, Van Gogh ne dit rien de l'un des effets les plus puissants : la 

perspective  absorbante qui nous attire tête première par delà les chaises et les 

tables vides vers des profondeurs mystérieuses, derrière une porte lointaine 

dont l'ouverture est semblable à la silhouette debout. A l'impulsive ruée de ces 

lignes convergentes s'oppose la large bande horizontale de rouge, pleine 

d'objets disséminés ; les lampes avec leurs grands halos de touches 

concentriques, la pendule verte qui marque minuit et le bouquet de fleurs, peint

 avec une incroyable furie de taches épaisses contre le mur lisse, au-dessus du 

tas de bouteilles".


 Cette toile est à New Haven  :

             https://www.youtube.com/watch?v=bT8zbcZekLQ
 

samedi 9 mai 2020

Van Gogh : La nuit étoilée


 Nous avons vu la version diurne, pour la version nocturne le cyprès s'est

déplacé de  droite à gauche:


 les volutes de nuages bleutés deviennet un ciel  ou les étoiles  roulent dans

une voie lactée qui s'enroule sur elle-même .... que nous en dit Schapiro?


Lettre à Théo ( 19 juin 1889)

 ... Enfin j'ai un paysage avec des oliviers et aussi une nouvelle étude de

ciel  étoilé. Tout en n' ayant pas vu les dernières toiles  ni de Gauguin ni

de Bernard je suis assez persuadé que ces deux études, que je cite, 

sont dans un sentiment parallèle....




                     La Nuit étoilée

                              Juin 1889, Saint Rémy - Huile sur Toile  73 X 92 cm

                " L'une des rares peintures visionnaires d'inspiration religieuse, elle

 est caractéristique de van Gogh par sa représentation d'un ciel nocturne

tranfiguré. Vincent en avait déjà donné en Arles une version plus sobrement

lyrique, bien que poussé par le désir qui le hantait d'exprimer son aspiration

 vers l'infini de la nature ; dans cette interprétation, à l'enchantement des

minuscules étoiles il ajoutait les lumières de la ville, réfléchies dans l'eau, et

 deux amoureux au premier plan. Il rêvait aussi d'une peinture de la nuit étoilée

 avec un groupe d'êtres vivant de notre race.

Quand, à Saint-Rémy, il revient à son thème après une période de crise et

 d'hallucinations religieuses, la pression des sentiments, avec ses tendances et

 son contenu caché, force les limites du monde visible et détermine les

projections fantastiques, le grand tourbillon de la nébuleuse spirale, les onze

étoiles magnifiées et l'incroyable lune orange, avec la lumière entre ses cornes

-souvenir confus, peut-être, d'une éclipse (il citait Victor Hugo) : " Dieu est un

 phare en élipse.") ou tentative d'unir le soleil et la lune en une seule figure; les

cyprès énormes, dressés comme des flammes, contre-partie terrestre, sombre

 et verticale du dragon nébuleux, peuvent être aussi là une invention

transportée d'autres paysages, comme un vague symbole de l'effort humain.

L'ensemble doit sa spontanéité et sa puissance au flot impulsif et torrentiel des

 coups de pinceau, libération de la sensibilité par de grandes voies. chaque

 objet et chaque région a sa propre direction et son rythme, qui contribuent à 

la mobilité du vaste ensemble. Van Gogh ne s'abandonne pas passivement à son

 exhaltante vision ; il est capable de se détacher en tant qu'artiste pour une

articulation qui augmente la charge émotionnelle en opposant à ses effets

.immédiats d'autres éléments de contraste. Ainsi la ville au premier plan, alors

que la courbe règne au-dessus, est rendue par des traits courts, distincts,

 horizontaux. Ces lignes droites, angulaires représentent une correction sur la

 première étude, dans laquelle les maisons, elles aussi, frissonnaient comme le

 reste de l'espace, en formes onduleuses. Les petits lumières jaunes des

 maisons sont toutes carrées ou rectangulaires, en opposition avec les étoiles

 au-dessus. Le fin clocher de l'église - sa flèche perçant l'horizon comme la

 pointe du cyprès perce la nébuleuse - est un autre repentir, remplaçant une

série de cyprès surabondants qui faisaient écho à la passion des arbres

dominants."


Souvenez-vous je vous avais proposé le travail de l'Atlelier des lumières au

 Musée Ingres de Montauban


                 https://www.youtube.com/watch?v=GfjD3DCpzqE

            https://www.youtube.com/watch?v=fOh-M8hxVyU

      

vendredi 8 mai 2020

Les iris d'Isarde

 Pause du 8 mai : vaste champ de réflexions sur une victoire dont l'intitulé a

 changé : je ne rentre pas dans les détails, ce blog n'étant pas destiné à 

commenter les faits historiques  mais l'histoire des arts.

 Une pause donc, dans la paix d'une journée ensoleillée où les iris cédent la

 place aux roses, somptueuses cette année, mais comme le dit si bien Ronsard,

 elles n'ont qu'un temps, les lys se préparent   et demain nous retrouverons 

"La nuit étoilée" de van Gogh, une de ses toiles les plus profondes, à mon sens.


           Plusieurs sortes d'iris peuplent mon jardin



                                                                   sous la pluie ou le soleil






   http://neufchateauiris.over-blog.com/2017/02/l-iris-dans-la-peinture.html











































































https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2018/02/24/37002-20180224ARTFIG00015-l-iris-la-fleur-des-rois-et-de-la-mythologie.php






jeudi 7 mai 2020

Van Gogh : les iris

 8 ou 9 mai 1889


  Mon cher Théo 

Merci à ta lettre. Tu as  bien raison de dire que M. Salles a été parfait dans tout ceci, j'ai de grandes obligations envers lui. Je voulais te dire que je crois avoir bien fait d'aller ici, d'abord en voyant la réalité de la vie des fous ou toqués divers dans cette ménagerie, je perds la crainte vague, la peur de la chose. Et peu à peu puis arriver à considérer la folie en tant qu'étant une maladie comme une autre. Puis le changement d'entourage, à ce que j'imagine me fait du bien.
Pour autant que je sache, le médecin d'ici est enclin à considérer ce que j'ai eu comme une attaque de nature épileptique. mais j'ai demandé après.
Aurais-tu reçu la caisse de tableaux,  je suis curieux de savoir s'ils ont encore souffert oui ou non ?
J'en ai deux autres en train - des fleurs d'iris violets et un buisson de lilas, deux motifs pris dans le jardin.
L'idée du devoir de travailler me revient beaucoup et je crois que toutes mes facultés pour le travail me reviendront bien vite.
Seulement le travail m'absorbe souvent tellement que je crois que je resterai toujours abstrait et gauche pour me débrouiller pour le reste de la vie aussi .
Je ne t'écrirai pas une longue lettre - je chercherai à répondre à la lettre de ma nouvelle soeur, qui m'a bien touché, mais je ne sais si j'arriverai à le faire. Poignée de main et tout à toi.

                                                                              Vincent 

                                      Les Iris

                                        Mai 1889, Saint Rémy - Huile sur toile,  71 X 93 cm 

    " A l'asile de Saint-Rémy, entre ses crises, van Gogh s'est donné à son art

 avec une volonté désespérée, sachant que c'était là son seul salut. Il appelait 

la peinture "le paratonnerre de ma maladie ". Et constatant qu'il pouvait 

toujours peindre, il était certain de ne pas être vraiment fou.

Les "Iris" sont peut-être le premier motif qu'il peignit à l'asile. la toile est 

antérieure à sa crise initiale en ce lieu, et, tout d'abord, ne révèle aucune trace 

évidente de cette tristesse et de cette forte tension qui apparaissent dans 

plusieurs de ses oeuvres postérieures. Il peint ces fleurs avec joie et admiration.

La profusion d'éléments dans ce tableau extrêmement touffu est dominée et 

ordonnée pour l'oeil, mais sans perdre sa liberté, par la division de la toile en 

larges zones de couleurs assez distinctes et presque symétriques : le vert froid

 des feuilles au milieu, le bleu des iris tâchés de jaune, d'orange et de blanc.

 Chacune des zones a son dessin, sa facture propres, et toutes sont lumineuses.

 Dans la gamme claire des couleurs il est intéressant de remarquer que la note 

la plus forte, le bleu des iris, est aussi la plus foncée et possède encore l'échelle

 la plus riche de la lumière vert bleu doux estompé de feuilles ; leurs contrastes

 complémentaires avec le rouge et le jaune passent au second plan et 

n'affectent que les marges du tableau. Tout ceci contribue à tempérer la 

luxuriance de ce bouquet naturel et à créer une harmonie plus intime,

 assourdie, sans rien ôter à la richesse allègre de la couleur.

 Le dessin des iris est tout à fait original. A l'inverse des tableaux de fleurs 

impressionnistes, où les plantes sont des taches de couleur sans forme, celles-

ci sont très soigneusement étudiées dans leur tracé et individualisées, avec la

 même sincérité et la même précision qu'apportait van Gogh dans ses portraits 

; il découvre une vatiété infinie de silhouettes recourbées, une nouvelle source

 de mouvement dans ce qui aurait pu facilement devenir la répétition

 ornementale et statique d'un même motif. ces lignes ondoyantes,

 flamboyantes, en volutes, en sspirales ou brisées et hérissées annoncent les

 oeuvres postérieures de Saint-Rémy."

https://www.metmuseum.org/metmedia/video/collections/ep/van-gogh-irises-and-roses



mercredi 6 mai 2020

Van Gogh : fleurs

 Hormis ses fameux tournesols, les iris ont attiré l'attention de van Gogh, de

même que les lauriers roses  dont il peint ce joli bouquet en Arles au mois

d'août 1888.



   "En plaçant un exemplaire de la "Joie de vivre", de Zola, à côté de la cruche

 de lauriers épanouis, van Gogh exprime le sens de son amour pour les fleurs. 

Elles se dressent et s'étendent dans la largeur de la toile comme les arbres en 

fleurs de ses paysages de printemps. Lourdes, généreuses, fécondes, ces fleurs

 odorantes sont peintes avec une touche virile, en coups de pinceaux

 enveloppants et en épaisses taches parallèles, en contraste des plus aigus avec

 les feuilles vertes pointues et enchevêtrées, cernées de noir - messagères 

d'une autre vitalité. En opposition et en complément à cette étendue de rouges

 et de verts jouent les accords jaunes et violets des livres, de l'ombre de la table

 et de la cruche ; entre ces couples de complémentaires, le fond vert jaune sert 

de médium, note puissante en harmonie avec les deux groupes. Cette 

distribution de la couleur n'est pourtant pas un système décoratif ; dans la riche

 variation, le mélande intime et la progression des tons, elle conserve la

 vibration et la liberté des paysages de van Gogh. Les tons roses des fleurs sont 

proches de la couleur de la table, et leurs blancs, de la tranche du livre. l'anse

 pourpre forme une triade avec les fleurs et l'ombre lilas. la bande jaune au col

 de la cruche réapparaît en rayures ondulantes dans le bouquet. Le vert des

 feuilles se retrouve dans le ton plus froid, rompu de blanc à la base du vase, et 

dans les touches brusques à droite de la table, mais parmi les feuilles elles-

mêmes. Les accents les plus appuyés de rouge dans les fleurs sont appliqués

 de nouveau avec une grande hardiesse le long de bord de la table - décision

 purement artistique, nullement  motivée par la nature. Une autre hardiesse, 

l'ombre lilas, se justifie par sa place entre le livre jaune, le vase turquoise et 

bleu violet et le jaune vert du fond. Pour un oeil moderne le dessin des deux

 livres est saisissant ; vus dans une perspective singulière, ils forment une 

succession de bandes oblongues et triangulaires, chacune avec son grain

 particulier, que l'on trouve à nouveau dans la dernière période cubiste. le 

traitement de la table, à côté des feuilles dessinées avec soin, est d'une audace 

magnifique, joyeux par sa liberté et par la variété des couleurs et des touches. 

Comme beaucoup de natures mortes de van Googh, celle-ci posséde une haute 

luminosité qui va de pair avec une fermeté et une réalité étonnantes des 

objets."


 Je préfère laisser à ces lauriers toute leur prépondérance et revenir  sur 

l'article précédent avec un "Champ de blé aux cyprès".

On passera aux iris demain.

            https://www.metmuseum.org/art/collection/search/436530



 

mardi 5 mai 2020

Van Gogh : verger d'oliviers, Cyprès

 Lettre à Emile Bernard : ( octobre 1889 )


 Les oliviers d'ici, mon bon, ça ferait votre affaire. Je n'ai pas eu de

chance  cette année pour les réussir, mais j'y reviendrai, à ce que je me

propose ; c'est de l'argent sur terrain orangeâtre ou violacé, sous le 

grand soleil blanc. J'en ai, ma foi, vu de certains peintres et de moi-

même qui ne rendaient pas du tout la chose. C'est comme du Corot

 d'abord, ce gris argent, et surtout cela n'a pas encore été fait, tandis

 que plusieurs artistes ont réussi les pommiers - par exemple- et les 

saules...


                                                                          Verger d'Oliviers

         septembre- octobre 1889 : Saint Rémy. Huile sur toile 72 X 92 cm

     " A l'asile de Saint Rémy, van Gogh reçoit de son ami Emile Bernard une 

lettre décrivant un récent tableau du Christ au jardin des Oliviers. Il répond

qu'il aimerait mieux peindre les oliviers juste devant sa fenêtre que ceux,

 imaginaires du jardin de l'Agonie. Il pensait que la réalité était la seule source

 de force, bien que son tourment le ramenât souvent aux idées religieuses de sa

 jeunesse.

Sa peinture du verger d'oliviers est fervente, entraînée par une vague d'intense

 émotion qui traverse la toile entière, communiquant la même ondulation

 irrégulière à la terre, aux arbres et au ciel. Pour terminer son oeuvre, le 

peintre signe son nom qui épouse un creux du sol.

Avec toute cette excitation des touches et les formes plus vastes qu'elles

 tissent, le tableau s'estompe sous une couleur moelleuse - en partie à cause

 de la gamme limitée de luminosité dans les trois grandes masses de bleu, de 

vert et d'ocre qui le composent. Les contrastes sont réduits et adoucis ; il n'y a

 pas de couleur pleinement saturée, au moins sur de grandes étendues ; une

 note de réverie imprègne toute cette agitation. L'équilibre des tons froids et 

chauds et la division de la toile en surfaces presque égales, étroitement jointes, 

de différentes teintes, ont un effet apaisant.

Les colorations de la terre, du ciel, du feuillage, des troncs d'arbres - concert de

 quatre instruments distincts - sont harmonisées par la reprise du bleu du ciel

 sur les troncs et les branches, des verts et des gris des arbres dans les ombres

 de la terre. Les lignes vigoureuses des branches se retrouvent dans la belle

 arabesque des silhouettes plus douces sur le ciel "


              Ces deux toiles sont à Otterlo. Pays Bas

                                        https://www.youtube.com/watch?v=Xdke1s3UGdo


Lettre à Gauguin (juin 1890)


 Mon cher ami Gauguin.

Merci de m'avoir de nouveau écrit mon cher ami et soyez assuré que

 depuis mon retour j'ai pensé à vous tous les jours. Je ne suis resté à

 Paris que trois jours et le bruit, etc., parisien me faisant une bien

 mauvaise impression, j'ai jugé prudent pour ma tête de ficher le camp

 pour la campagne, sans cela j'aurais bien vite couru chez vous.

Et cela me fait énormément plaisir que vous dites que le portrait de

 l'Arlésienne, fondé rigoureusement sur votre dessin, vous a plu.

J'ai cherché à être fidèle à votre dessin, respectueusement et pourtant 

 prenant la liberté d'interprêter  par le moyen d'une couleur dans le

 caractère sobre et le style du dessin en question.

C'est une synthèse d'Arlésienne si vous voulez ; comme les synthèses 

d'Arlésiennes sont rares, prenez cela comme une oeuvre de vous  et de

 moi, comme résumé de nos mois de travail ensemble. Pour le faire j'ai 

payé moi pour ma part encore d'un mois de maladie, mais aussi je sais 

que c'est une toile, qui sera comprise par vous, moi, et de rares autres,

 comme nous voudrions qu'on comprenne. Ici mon ami le Dr Gachet y 

est après deux, trois hésitations venu tout à fait et dit ; "Comme c'est 

difficile d'être simple". Bon, je vais encore souligner la chose en la

 gravant à l'eau-forte, cette chose là, puis basta. L'aura qui voudra.

Avez-vous vu aussi les oliviers? Maintenant j'ai un portrait du Dr Gachet

 à expression navrée de notre temps. Si vous voulez, quelque chose

 comme vous disiez de votre Christ au jardin des Oliviers, pas destinée à

 être comprise, mais enfin là jusque-là je vous suis et mon frère saisit 

bien cette nuance.

J'ai encore de là-bas un cyprès avec une étoile, un dernier essai - un 

ciel de nuit avec une lune sans éclat, à peine le croissant mince

 émergeant de l'ombre projetée opaque de la terre- une étoile à éclat

 exagéré, si vous voulez, éclat doux de rose et vert dans le ciel outremer

 où courent des nuages. En bas une route bordée de hautes cannes 

jaunes, derrière lesquelles les basses Alpines bleues, une vieille

 auberge à fenêtres illuminés orangées et un très haut cyprès, tout 

droit, tout sombre.

 Sur la route une voiture jaune attelée d'un cheval blanc et deux

 promeneurs attardés. très romantique, si vous voulez, mais aussi je

 crois de la Provence.

Probablement je graverai à l'eau-forte celle-là et d'autres paysages et

 motifs, souvenirs de Provence, alors je me ferai une fête de vous en 

donner un, tout un résumé un peu voulu et étudié.

 Mon frère dit que Lauzet, qui fait des lithographies d'après Monticelli a

 trouvé bien la tête d'Arlésienne en question.


                             La route aux cyprès. mai 1890 92 X 73 cm

    "La force de l'exaltation extatique de van Gogh confère à un paysage

 réel un caractère extra-terrestre. L'emplacement central du cyprès dominateur, 

entre le soleil et la lune et leurs vastes halos, laisse deviner la communion

 fervente de l'artiste avec ce qu'il voyait. Le cyprès, qu'il avait admiré pour sa 

force géométrique de lignes et comparé à un obélisque, apparaît comme une

 forme tendue, hérissée, une forêt verticale composée de deux arbres si mêlés 

que l'oeil ne peut les séparer, un clocher tourmenté et vivant, qui s'élève avec

 de brusques ondulations, déborde le tableau, dépasse le soleil et la lune.

  La terre est marquée d'ondes pareillement agitées dans le champ jaune et la 

route qui coule en cascade. L'écho affaibli s'en retrouve dans les taches vertes

 et au loin dans les arbres frissonnants. Contraste étrange avec cette agitation 

grandiose ; les deux hommes sur la route, la charrette jaune et son cheval, au 

fond, la maison éclairée ; éléments poétiques d'un réalisme simple, touchant et 

plaisant, ils occupent également leur place précise dans le mouvement de 

l'ensemble visionnaire. Si puissante est l'opposition du cyprès vertical, au 

centre, et des diagonales instables du sol que le tableau balance entre ces 

 ces deux attractions contrariées. l'artiste s'efforce du lui donner l'unité : la lune,

 le soleil et l'étoile du soir reposent sur une forte diagonale un peu courbe, 

comme la lisière du chemin d'en bas, un grand nuage conduit de l'étoile à la 

terre. L'exécution passionnée, la cadence des touches, commune à toute la toile,

 aident à fondre les parties antagonistes. Dans un monde où des objets aux

 formes pointues se croisent et s'affrontent avec véhémence, nous sommes 

saisis par la continuité des différents tracés de la brosse - concentriques dans

 le ciel, parallèles, onduleux et convergents sur la terre, enflammés dans les 

arbres. Le ciel par sa couleur froide, dégradée progressivement du bleu profond 

au blanc, s'apparente à la route plus lumineuse. Dans une autre gamme, les 

cyprès verts  sombre sont rattachés à la fois au champ jaune et au ciel ; les 

tons jaunes et orangés du soleil et de la lune, les jaunes de la voiture, le rouge 

des troncs nains des cyprès relient, par des mariages de couleurs sur des axes

 inclinés et croisés, leurs zones largement séparées.

Sur tout le tableau, quelle maîtrise dans la précision des petites taches de 

couleur, dont la beauté culmine quand elles nuancent et animent la teinte 

indescriptible de la route !"


  Les dessins de van Gogh sont aussi séduisants et puissants que ses toiles  :

     le dessin d'abord,


        Champ de blé et Cyprès  1889


                                          Roseau et mine de plomb  47 x 62 cm


   et la toile d'octobre 1889 : 72,5 x 91,5 cm




      " Quoique d'une agitation sans mesure, avec peu de lignes droites, ce 

paysage est un des plus classiques de conception dans toute l'oeuvre de van 

Gogh. Il est construit par longes bandes qui traversent l'espace entier. Les

 grands cyprès sombres sur un côté contrastent puissamment aves les

 horizontales prédominantes dont ils imitent  la forme. Les oppositions de tons

 froids et chauds, les proportions des diverses parties, la hauteur relative du

ciel et de la terre sur les deux côtés, les intervalles horizontaux que l'on peut

 mesurer sur la silhouette de la montagne lointaine, deus fois coupée par des

 arbres,  tout cela est parfaitement lisible et bien équiliberé.

Dans ce paysage, la perception de la nature et l'intensité des 

sentiments du peintre sont également prononcées. Le champ de blé éclatant, 

les oliviers d'un gris subtil, dans lesquels toutes les couleurs du tableau 

semblent résumées, les cyprès chevelus ondoyants et les montagnes

 turbulentes ont été merveilleusement observées, et la lumière qui remplit cet 

espace nous parait d'une vivante réalité. La clarté qui émane du ciel froid et de 

la terre chaude est réalisée autant par les couleurs locales que par le jeu des 

lumières et des ombres - van Gogh est libre de ces dernières et n'aspire guère

à être conséquent sur ce point.

C'est surtout dans le ciel que son émotion orageuse engendre d'étranges 

formes, qui nous transportent au delà de la nature. Ces formes tourmentées,

 monstueuses, tordues et enroulées, par endroits amoncelées et peu claires, 

évoquent des images de combats surnaturels. Les bleus doux, les lilas, les

 blancs et les verts de ce ciel sont répétées en masses moindres dans le

 paysage terrestre au-dessous, et les cieux fantastiques sont finalement 

absorbés dans l'univers familier et naturel. Ce dernier aussi est traversé

 d'énergies sauvages réclamant une libération ; elles déforment les objets moins

 qu'elles ne les intensifient. Ici le pinceau, impulsif et extatique, merveilleux 

dans sa fluidité, est fidèle à la structure des choses.

 La dualité du ciel et de la terre demeure - le premier, léger, doux, avec des

 rondeurs, plein de fantaisie et de suggestions animales ; la terre, plus ferme,

 plus dure, plus haute en couleur, avec des contrastes plus forts, des zones plus 

distinctes et peut-être de nature masculine. On peut encore interpréter cette

 dualité comme celle du réel et de ce qui est confusément désiré ou imaginé.

 Les cyprès les joignent l'un à l'autre dans la seule verticale du tableau, comme

 dans la nuit étoilée, dont cette oeuvre est en quelque sorte une réplique 

diurne."

                     https://www.youtube.com/watch?v=sJwi1GvuCHo