jeudi 11 juin 2020

Paul Cézanne : Les Grosses Pommes

    " Cette nature morte se distingue par une extraordinaire recherche de

compacité et de solidité. Il est difficile de se souvenir d'un autre tableau de fruits

qui soit aussi densément coloré et aussi attirant pour le toucher .



 

                                                           Entre 1890 et 1894 - Toile 46 X 55 cm


Cependant la réalité est sacrifiée dans de nombreux détails non pas pour le simple

plaisir de l'imagination, mais pour arriver à une peinture cohérente, plus

concentrée de ce qui existe tout près de l'oeil. L'assiette sous les pommes disparaît

brusquement à droite ; l'ellipse de la table ronde  est aplatie et étrangement

contractée sous l'assiette, la soucoupe a une asymétrie semblable, la seconde

rangée de pommes est tangente à la première de façon telle qu'elle dément la

position qu'on leur prête.

Pourquoi Cézanne n'aurait-il pas continué l'assiette sur la droite en assombrissant

simplement sa couleur et en la compensant dans les objets voisins ? Cela aurait-il

affaibli la composition ? On ne peut guère le penser d'un compositeur aussi fécond

que Cézanne. Mais dans ce tableau, les silhouettes résultant des déformations sont

si puissamment cohérentes que nous ne pouvons (et ne voulons pas ) imaginer

d'autre solution. Le désir de jouer des variations semble, ici, avoir été très

important : le bord de l'assiette avec ses pommes arrangées symétriquement se

distingue du bord gauche, comme la symétrie de la tasse est brisée par son anse

et les deux côtés de la soucoupe, qui sont étonnament différents.

A gauche, l'assiette émerge de dessous les pommes, qui la recouvrent entièrement

à droite, et le contraste de leur couleur avec le blanc teinté de bleu de l'assiette se

déplace vers le petit arc qui se découpe sur le mur clair. Les contours des pommes,

ronds et angulaires, sont fortement opposés à la plaque rectangulaire et à la

soucoupe voisines. Il est paradoxal qu'un artiste tellement libre avec les formes

réelles soit aussi attaché aux caractères constants des choses.

L'assiette de pommes est merveilleusement peinte. Il faut remarquer que chaque

pomme est disposée différemment. Ensemble elles constituent un groupe

symétrique et formel dans lequel chaque élément est penché d'une manière qui lui

est propre. Et, ce qui est encore plus original, chaque pomme est modelée

autrement, avec des transitions uniques de riches couleurs, de lumière et d'ombre.

Les taches sombres des tiges, semblables aux pôles de sphère en mouvement,

forment un ensemble plein d'intérêt. Par leur dessin arrondi, les pommes dessinent

un triangle exceptionnel sur la toile. Il y a une sorte de perspective des contours

vers le montant  vertical de la cheminée. A côté, sur la droite, on trouve un autre

essai de création de profondeur dans la succession des objets qui se chevauchent

avec des axes changeants, dans un alignement vertical : pommes, tasse et

soucoupe, plaque rectangulaire, pincettes et tisonnier. Parmi cette série Cézanne a

créé un contrepoids secret par de petits accents dans les ombres. Les touches,

dans leurs directions variées, sont elles-aussi un facteur très évident de la

structure de l'ensemble."

Amusez-vous à établir l'analyse de cette "Corbeille de Pommes"  d'une

façon aussi approfondie que celle de Schapiro. Je rajouterai  son texte

demain et vous serez à même de comparer vos visions respectives de

cette oeuvre.


         Entre 1890 et 1894 - Toile 65 X 81 cm

                https://www.youtube.com/watch?v=KnaoHNLZyRY


    " Il est difficile d'imaginer un moment de la vie quotidienne dans lequel les

objets seraient disposés exactement de cette façon. Nous sommes conduits à

considérer cet ensemble comme un arrangement de l'artiste, une pure invention.

la corbeille s'appuie sur un bloc, les pâtisseries sont dressées sur un plat posé sur

un livre, les pommes s'étalent sur une nappe aux riches plis, l'snsemble groupé

sur une table. Cette superposition des objets - bien évidente dans les gâteaux - 

est un indice de l'idée de l'artiste ; la peinture est une construction. La table, elle

aussi, est traitée comme une sorte de maçonnerie avec des formes stables. ce qui

rend cet ensemble encore plus intéressant c'est que tant d'éléments soient anti-

architecturaux ; ces quelques trente pommes sont complexes par la gamme de

couleurs, chaque fruit est un morceau de peinture original, un objet irremplaçable

; la bouteille et la corbeille, inclin&ées assymétriquement; la nappe froissée et

pendante. Cette nature morte sosigneusement étudiée garde cependant un aspect

de composition accidentelle, due au hasard. C'est un arrangement dans lequel les

groupes d'éléments d'ordre et de degrés différents sont harmonisés ; les pommes

dans la corbeille et sur la nappe, les plis brisés de cette dernière, la disposition

régulière des gâteaux. Bien qu'équilibrée en tant que composition, la toile risque

un grand déséquilibre dans les détails. l'inclinaison curieuse de la bouteille doit être

envisagée dans son rapport avec les autres parties instables comme une donnée

du problème : créer un ensemble équilibré dans lequel certaines parties ne le sont

pas. Dans l'art ancien on y arrivait par des personnages en mouvement, par un sol

en pente, des rideaux pendants ou des objets en perspective. Ce qui est nouveau

chez Cézanne, c'est l'axe instable d'un objet vertical - un personnage assis,     

une maison, une bouteille. De telles inflexions font que l'équilibre final du tableau

semble être plus l'oeuvre de l'artiste que l'imitation d'une stabilité préexistante

dans la nature.Ici, nous ne pouvons nous empêcher de considérer d'un même oeil,

comme les variations équilibrées d'un déséquilibre commun, les diagonales des

divers plans - l'inclinaison de la bouteille, celle de la corbeille, les lignes raccourcies

des gâteaux et, correspondant à ces trois formes obliques, les lignes de la nappe

qui convergent vers le bord inférieur du tableau. La couleur est lumineuse, robuste

et claire, tempérée dans les grands objets, plus intense dans les petits, et partout

finement nuancée, produit d'un pinceau visiblement actif. Bien que la bouteille ait

l'aspect lisse du verre, les autres objets ont une matière plutôt neutre, ils ont l'air

solides, mais ce ne sont pas des substances distinctes. la bouteille elle aussi, est

soumise à cette apparence concrète de la peinture et de la touche dans

l'expression de son bord droit, ouvert et vague.

 Oui, j'aime les natures mortes,  jeune, je raffolais des natures mortes hollandaises

je n'oserais pas insérer les miennes dans un article à part entière, elles ne

méritent que de rester un peu cachées, mais je vis avec, car elles décorent ma

cuisine.

 J'ai commencé par de l'acrylique  et puis je trouve que le pastel correspond mieux

à mes essais car je suis totalement autodidacte. Un peu comme Cézanne je

rassemble mes légumes et on voit bien ce qu'il en ressort !!



                                Potimarron, betteraves poivrons et choux



un peu suspendus je vous l'accorde !!! bananes, grenade, avocat et fruit de la passion



                   citrouille et tomates

                                Plat d' Oignons et tomates


 Tout pour la ratatouille !!

mercredi 10 juin 2020

Paul Cézanne : La Bouteille de Peppermint

 "C'est une des natures mortes les plus originales de Cézanne", nous dit Schapiro

mais pas ma préférée....

                                   Entre 1890 et 1894 - Toile, 65 X 81 cm


                     "bien que chacune d'elles ait une conception particulière.

Il a supprimé la profondeur de la table - on ne voit rien de son dessus - et les

objets semblent suspendus sur des plans verticaux, comme le mur lui-même, qui a

été mis en contact étroit avec les objets grâce à ses couleurs et à ses lignes

sévères. Mais dans cet espace contracté Cézanne a osé peindre avec une adresse

parfaite le verre translucide à travers lequel nous apercevons les objets à

différents plans ; il a aussi pétri les tissus en plis compliqués dans lesquels les

objets sont installés comme des arbres et des bâtiments dissimulés par les

dépressions de terrain. En supprimant le plan horizontal, il a donné une cohésion

plus évidente aux formes et aux couleurs sur la surface de la toile, mais il a aussi

joué avec les propriétés matérielles des choses, leur solidité, leur poids, leur

opacité et leur transparence.

 Le tableau est merveilleux par l'invention des lignes. Peu d'oeuvres de Cézanne

sont aussi abondantes en courbes et en continuités. La bouteille de Peppermint,

avec son élégant double renflement, la grosse carafe - plus simple et plus

importante - sont deux mélodies d'une grande pureté et d'une grande force. Leurs

éléments  réapparaissent dans les rondeurs simplifiées des fruits. Plus belles que

tout le reste sont les courbes de la nappe - formes nouvelles ne nous rappelant

pas une draperie conventionnelle, mais de celles qui sont plus libres qu'aucune que

nous connaissions, bien qu'en sricte harmonie avec les formes voisines.

 Il y a sur le lourd tissu bleu un jeu séduisant d'ornements noirs - rythmes

secondaires de formes droites et courbes ingénieusement adaptées aux lignes des

autres objets et déployées de telle façon que nous ne pouvons distinguer le motif

qui décore ce tapis - nous connaissons seulement le motif le plus intéressant qui

résulte de son interception par des creux et des plis accidentels. Les continuités et

les croisements caractéristiques de lignes sont la bande rougeâtre sur le mur, qui

se prolonge dans la carafe, la ligne verticlale poursuivie sur le bord de la bouteille

et émergeant à nouveau dans la ligne de la nappe qui touche au citron d'où

tombent des rayures verticales sur le tapis bleu. Le mur, le tapis avec ses

ornements, la bouteille et la carafe découlent d'une même gamme sévère de verts,

de gris, de violets et de bleus avec de nombreux accents noirs ; les taches

d'intensité et de chaleur contrastantes sont groupées par ensembles verticaux et

horizontaux qui conservent l'austère architecture du mur.

On doit aussi remarquer l'audacieuse asymétrie du dessin de la carafe, le

renflement du bord gauche plus lumineux, réduit et aplat, ajusté aux formes

verticales des objets avoisinants, y compris la pomme vue à travers le verre et le

bord de la nappe blanche en dessous, qui renferme une pomme et une poire. C'est

un exemple frappant de l'indépendance de la nature de Cézanne dans l'expression

de sa volonté constructive. Chardin aurait harmonisé toutes ces formes d'objets

voisins sans les altérer : mais ses contours sembleraient dessinés de façon moins

tangible, moins ouvertement marqués par les opérations d'ajustement et de

cohésion


         https://www.youtube.com/watch?v=k0SrEiEcpRM

mardi 9 juin 2020

Paul Cézanne : Oignons et Bouteille

Avant d'aborder les nombreuses peintures de la Montagne St Victoire restons

encore sur les natures mortes : cette dernière date des années 1895 - 1900




                          " De la même période que la nature morte anti-architecturale et

joyeuse  Pommes et oranges  peut-être même plus récente - les dates exactes des

 oeuvres de Cézanne ne sont pas connues - cette toile combine les grands

éléments constructifs, les horizontales et les verticales et le vaste mur nu, avec

une abondance serrée de petites courbes, de formes inclinées et d'accents de libre

végétation. Par ses tons froids et sa recherche de lignes rythmées elle ressemble

aux Grandes Baigneuses  bien qu'elle soit composée moins systématiquement. Les

formes rondes et flamboyantes articulent aussi les objets les plus stables et les

plus sévères, comme le bord en feston de la table et les contours de la bouteille

 et du verre. C'est l'une des compositions les plus remarquables de Cézanne, un

développement de lignes ingénieux sur un mode musical, et elle a une délicatesse

de touche surprenante, une richesse de couleur raffinée.

L'élément principal est l'oignon, qui tient lieu de thème, forme plus complexe que

la pomme et apparentée au dernier style de Cézanne à cause de sa flexibilité de

ligne plus grande et plus spécialement par sa forme ondulante olus ouverte.

 Nous suivons son développement depuis la gauche jusqu'à la droite par des

groupes ouverts et fermés comprenant les citrons qui font une variante, par des

axes changeant sans cesse, par des taches de couleur et par des contacts avec les

objets voisins. Avec les festons de la  table, la houle de la silhouette de la nappe

et avec la bouteille et le verre, ils forment un système de diverses mélodies

parallèles qui coïncident en certains points.

Le tableau a de nombreuses touches délicieuses et subtiles. Nous devons

remarquer cependant, parmi de nombreux exemples dans la même partie, le verre

de vin qui est magnifiquement peint. Son pied, dont l'axe est déplacé vers la

droite, change l'ensemble d'un alignement exact avec le point de rencontre

important des deux courbes du bord festonné de la table en dessous - courbes

reliées au galbe du pied du verre et à la base de la bouteille. Grâce à la variation

introduite par son pied et à la brisure qui interrompt le dessin de l'ellipse de

l'ouverture du côté gauche, le verre semble être imperceptiblement penché comme

certains oignons avec leurs tiges flexibles, et il renforce la composition diagonale

de la bouteille, du verre et des oignons dans l'assiette.

 Une autre pensée délicate, à peine perceptible, est faite des lignes horizontales

dessinées à l'intérieur du verre (et aussi dans la bouteille) ; elles sont un rappel

discret de la ligne de la table et font un ensemble avec les horizontales au bas du

mur de côté droit et un morceau de la table qu'ion peut voir entre les plis de la

nappe ; tous ensemble ces segments forment une série graduée aus intervalles

proportionnés. Le verre lui-même, avec l'oignon qui se réfracte derrière lui, est un

morceau de peinture sobre dans lequel les décisions viennent touche après touche

et ont une audace et une justesse inspirées.

 Un artiste italien, admirant les finesses de Las Meninas de Velasquez, l'appelle "la

théologie de la peinture". On pourrait dire la même chose de cette grande nature

morte de Cézanne.

https://books.google.fr/books?id=T3SJDwAAQBAJ&pg=PT224&lpg=PT224&dq=jeu+de+Paume+natures+mortes+C%C3%A9zanne&source=bl&ots=VN83q6tpaq&sig=ACfU3U0hDMI6-HNr6Q6c07lA0iLQPZa90Q&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjXiODivPTpAhXJxYUKHT6pAS8Q6AEwD3oECBAQAQ#v=onepage&q=jeu%20de%20Paume%20natures%20mortes%20C%C3%A9zanne&f=false




                 Gravure de Vincent van Gogh


                                "Le Docteur Gachet " L'homme à la pipe"

vendredi 5 juin 2020

Paul Cézanne : Marronniers au Jas de Bouffan

 Cézanne a résidé dans  plusieurs domiciles, chez Renoir, chez Zola ou à Pontoise

chez Pissarro, mais le Jas de Bouffan, est la propriété familliale acquise  en 1860

par son banquier de père, elle  sera vendue quelques années après le décès de sa

mère.

 C'est pour cela qu'il s'installe à Aix en 1899.

            https://www.aixenprovencetourism.com/fr/fiche/18278/

                            Entre 1885 et 1887 - Toile 73X 92 cm


                                    https://www.youtube.com/watch?v=AaNR-OA8s4w


                   "Un effet de calme noble ne requiert pas chez Cézanne la dominance

marquée d'horizontales ou de formes géométriques et nues. Une qualité semblable

se trouve dans cette toile aux nombreuses verticales répétées et aux lignes

entrelacées des branches. Son repos résulte de rapports plus délicats dans les

couleurs et dans les formes. Ce qu'il y a d'architectural dans la conception nous

rappelle l'architecture médiévale plus que la classique, malgré sa tranquillité. De

toute façon, Cézanne a choisi un point de vue qui offre le minimum de jeu à la

perspective et qui réduit donc la tension de la profondeur. Le mur latéral de la

maison à gauche semble nous faire front comme la façade. Le pic de la montagne

lointaine qui pourrait être le point de convergence de la scène est caché par deux

arbres. Cézanne se place assez loin vers la gauche, mais il voit deux rangées

d'arbres comme un écran parallèle au plan de la toile, de même que le mur de

pierre et l'horizon bas. L'isolement des objets, leur alignement simple dans

l'espace, avec seulement de légers mouvements obliques en profondeur, ajoutent

au calme dominant. Les troncs des arbres agréablement variés dans leur

épaisseur, leur inclinaison, leurs branchages, leur écartement et leur éclairage sont

 des formes organiques individualisées ; elles sont fermes mais n'ont pas la rigidité

ni la tension qu'aurait pu leur donner la forme pure d'une colonnade. La force vers

le haut des lignes verticales se dessine graduellement dans le ciel vaporeux. Ces

formes gracieuses des branchages sont d'un beau dessin sans aucune répétition

ennuyeuse. Leurs mouvements en diagonale sont parallèles aux versants du pic

assourdi de la montagne.

Bien que dans cette oeuvre les éléments horizontaux soient peu nombreux et

brisés par des formes verticales plus fortes, nous ne devons pas en négliger

l'importance. A la base il y a une large bande de vert : tapis subtilement peint dont

les nombreux tons s'opposent au violet grisé et au brun des arbres verticaux -

contraste de couleurs qui renforce le contraste des formes supportées et de celles

qui supportent, accusé encore par la différence du jeu du pinceau sur le sol et dans

les arbres. Derrière, des bandes alternées de jaune et de vert plus clair, suivies par

le mur de pierre et la maison qui à deux renouvellent l'alternance des tons

lumineux et sombres dans les arbres. La succession d'étages de couleurs et de

touches variées, avec un allégement progressif de l'un et de l'autre, crée dans la

moitié inférieure de l'espace un galbe de lignes horizontaless et verticales qui se

transforme graduellement en réseau diagonal dans le haut par les formes des toits,

du flanc de la colline et du pic lointain."



        Et pourquoi pas quelques pommes à croquer pour le week-end ?



                                                                    Pommes et Oranges
        Entre 1895 et 1900 - Toile 74 X 93 cm

                        " Un autre aspect de Cézanne se révèle ici. Cette nature morte du

Louvre est d'une somptuosité impériale. Nous sentons dans toute l'oeuvre la joie

du peintre pour la luxuriance et l'abondance des choses colorées ; il est dégagé de

sa manière grave. L'ancienne construction, stable et détachée - le cadre

  rectangulaire de la table et le plan évident du mur - a disparu. A présent, l'espace

est partout richement drapé ou brisé , la différence entre la profondeur et la

surface, le plan horizontal et le vertical est dissimulée. Tout vient en avant ,

pourtant, il y a aussi une profondeur sensible, comme dans la succession des fruits

sur la gauche. Cela nous rappelle l'espace de la carrière et de la montagne dans le

tableau de la "Montagne Sainte Victoire vue de Bibemus.. Cézanne cherche ici une

continuité d'éléments plus complète que dans ses oeuvres antérieures. Le

compotier surgit de la magnifique nappe blanche, et la cruche déccorée semble

être la fusion de cette nappe avec les pommes, les oranges et la draperie

ornementée derrière elle. L'effet est dense et même surchargé, comme dans ses

paysages boisés et rocheux, il est extrèmement riche en formes inattendues et en

accords de couleur, presque jusqu'à un point d'étouffement. Ce n'est pas du tout

une nature morte "naturelle" - quelque chose que nous pourrions trouver dans un

intérieur - mais un entassement fantastique dans lequel nous discernons

néammoins un contrôle évident du goût. La complexité de cette oeuvre appartient

à la fois à l'orgueil d'un talent bien exercé et à la jouissance des sens. Nous

sommes impressionnés, plus que dans la plupart des natures mortes de Cézanne,

par son caractère orchestral, à cause de l'abondance des groupes d'éléments

articulés et distincts répandus sur toute la surface de la toile. La nappe blanche est

superbe avec ses lignes courbes, la multitude de ses sens contrastés, sa noble

montée, sa chute et le spectre de couleurs qui teinte légèrement sa brillante

surface blanche. En opposition avec cette complexité des blancs et avec les

accents atténués de draperies bigarrées, jouent les notes pures et riches des

fruits. Ils sont groupés simplement en rythmes variés et disposés de manière telle

que tous ensemble ils forment une nature morte sur un axe horizontal. La

décoration de la cruche avec des fleurs rouges et jaunes ressemblant aux fruits

voisins est une délicieuse invention qui fait métaphore : c'est un lien entre les

fruits et les draperies ornementées, dont les motifs, brisés par les plis, font une

riche vibration de tons contrastés moins intense.

Dans la grande composition, un des thèmes caractéristiques est une forme

sèchement pointée qui apparaît en de nombreux endroits dans la silhouette de la

nappe blanche, dans les angles qu'elle fait avec la table et les bords de la toile,

dans le pli aigu et élevé de la draperie en haut à gauche."



           https://www.youtube.com/watch?v=0I0dr71BKx0               






































jeudi 4 juin 2020

Paul Cézanne : Neige fondue à l'Estaque

   Auriez-vous, d'emblée, attribué cette peinture  à Cézanne ?

Elle se démarque  des autres  toiles  de cet artiste, et c'est bien pour cela que je

l'ai choisie, il y avait un petit quelque chose de van Gogh !....


Je ne resterai pas longtemps sur l'ordi, ce matin,  mon ciel est aussi sombre que

celui de l'Estaque et...... l'Estaque, savez-vous où elle se trouve?

                            https://www.youtube.com/watch?v=uNPY7aesITM

       J'ai vécu quatre années à Marseille et je n'y ai jamais eu la neige !!


                                   Vers 1870 - Toile 73 X 92 cm

                    " Cet original paysage d'hiver qui ressemble à une peinture du

XXème siècle est un exemple remarquable d'espace modelé par des sentiments

intenses, comme chez van Gogh quelque dix ans plus tard. Le premier plan -

l'endroit où l'on regarde - est le flanc abrupt d'une colline qui divise en deux la

toile suivant la diagonale, dans sa descente en avalanche de la gauche vers la

droite en direction du toit rouge incliné, et donne à l'image une force de chute.

 Le spectateur ne peut y poser le pied et à ce terrain instable les arbres

s'agrippent par des troncs tourmentés. A cette pente de la colline s'opposent la

fuite du champ central, avec ses lignes ascendantes er convergentes, et l'immense

balaiement horizontal des nuages gris en suspension.

Du feuillage sombre de l'arbre noir, à gauche, part un autre mouvement d'arbres

descendant vers l'intérieur sur la crête de la colline, et allant se confondre avec

l'horizon lointain en un seul rythme d'amplitude croissante. Les lignes diagonales

raccourcies en profondeur sont parallèles aux profils diagonaux dans le plan de la

toile ; le contour sinueux de la terre - toute la base de la scène - est répété dans le

tronc du grand arbre et dans les surprenants zigzags des toits et des routes à

droite. Par ses parallèles, Cézanne unit, en une forme cohérente, les mouvements

opposés dans les différents plans en profondeur. La couleur, elle aussi, est une

force puissante qui relie et maintient le proche et le lointain. Cela est évident dans

le groupement des toits rouges ; mais Cézanne relie aussi le ciel lointain au

premier plan grâce aux lumières froides qui strient l'horizon -  touches qui sont

adaptées avec art à la silhouette voisine formant un halo en zigzag mineur, qui est

centré sur la pointe d'une colline correspondant au point de vue de l'ensemble de

la scène. Cezanne a découvert le dramatique de l'espace, un effet de mouvements

puissants et d'oppositions brusques. La perspective a une urgence irrésistible

dans l'envol rapide des lignes et le rythme non moins rapide  de changement dans

la taille des choses qui va en diminuant.

La couleur et le jeu de la brosse soutiennent la violence d'ouragan de la scène.

 Une teinte noirâtre pénètre le paysage et mêle la neige qui, traitée en ton  pur

 par endroits, semble une associée du noir.

Peint par contrastes vigoureux, avec une furie dominante et presque monotone -

moins pour surprendre l'essence d'une scène que pour exprimer une humeur

mélancolique et désespérée - ce tableau possède quelques couleurs subtiles : les

différents blancs de la neige et les nombreux gris, y compris les tons chauds du

terrain central, posés entre les toits rouges. le goût pour les noirs, les blancs et les

gris froids paraît naturel à l'humeur de Cézanne ; ce goût présuppose l'art élégant

et impassible de Manet dont les tons et la vision directe ont été utilisés ici de

manière émotionnelle et étrangement transformés."


                        https://www.youtube.com/watch?v=8g9oUJWcE0M







mercredi 3 juin 2020

Paul Cézanne : Portrait de Vallier et Vase de Tulipes

Toujours à la recherche des toiles moins connues par le grand public ; ce portrait

du jardinier Vallier est considéré comme un chef d'oeuvre, au même titre que celui

de Patience Escalier peint par van Gogh,  dans la touche et l'esprit.




                                    1906 - Toile 65 X 54 cm

                   " Pendant sa dernière période, Cézanne a souvent peint des gens du

peuple : paysans, servantes, personnages simples, toujours avec un grand respect

 et dans les attitudes et les proportions qui leur donnaient de la dignité et du

poids. Son goût pour les paysans cache un peu la réaction des conservateurs

contre le monde de la cité moderne et le désir d'un ordre de choses plus stable,

plus simple, plus ancien. Nous observons aussi cela chez son ami Renoir qui

abandonna les scènes de distractions citadines pour des sujets familiers et des

types idéalisés de mères et de paysans, dans un style plus formel que celui de son

oeuvre impressionniste antérieure.

Le chef-d'oeuvre, parmi les tableaux que Cézanne  fit de gens modestes, est le

portrait de son jardinier Vallier : l'une de ses dernières toiles. C'est l'image

imposante d'un homme qui représente l'idéal de Cézanne de simplicité et de force

au repos, en même temps que la nature rude et robuste de sa jeunesse

transposée dans le vieil âge.

Pour trouver une pareillle conception de l'homme, on doit se référer à Titien

 ou à Rembrandt. Il s'agit d'une aristocratie qui n'est pas fondée sur le pouvoir ou

la réussite mais sur la force intérieure. Cet homme simple est grand, sans

affectation ni orgueil, en paix avec lui-même, sans aucune amertume.

La silhouette est imposante par sa largeur et sa plénitude. Il y a un retour au

dessin primitif par le choix de la vue en profil et la place claire du corps sur le

fond sombre. Un contour si lumineux et si dense est rare après le XVI ème siècle.

Le corps ressemble à une statue archaïque. Une telle compacité n'est pas

fréquente, même à la Renaissance. Ce n'est pas ici une forme conventionnelle,

mais une solution neuve, unique, inspirée par le sens que Cézanne a de son sujet ;

en bref, c'est une interprétation.

Les moyens de continuité ne sont pas tellement des procédés de composition ou

d'unification mais plutôt d'expression : la barbe se répand sur la ligne de l'épaule

et du bras, comme les bras de rejoignent dans la ligne des manches pour donner

la qualité émouvante de toute la masse sereine du personnage. Les traits sont à

peine étudiés, le caractère réside dans le corps, l'attitude et l'ampleur de la forme.

Cézanne a donné à la forme humaine, et spécialement aux vêtements, toute la vie

de ses derniers paysages. D'un pinceau sûr, avec une liberté qui est grandiose, il

dispose toute sa palette sur des objets monochromes. Aucun impressionniste n'a

peint de barbe aussi multi-colore, ni donné à une manche une aussi merveilleuse

abondance de tons. Les éléments ont une grande impulsion, mais se fondent dans

un ensemble qui reste noble et distant par sa richesse et son éclat. Nous sentons

 dans les limites de cette forme compacte une énergie intense et une chaude

sensibilité, également une magnifique luminosité qui se diffuse sur toute cette

masse ; ce n'est pas une lumière, ou une ombre qui sonde les objets, comme celle

d'un Rembrandt, et elle ne nous engage pas à examiner les traits de plus près,

 mais elle est un caractère de l'être pensant tout entier, qui s'offre calmement et

franchement."
                                                                   Meyer Schapiro

https://www.societe-cezanne.fr/2017/05/13/le-jardinier-vallier-1906-r954-fwn549-rw641%EF%BB%BF/


                                    Vase de Tulipes

                   Entre 1890 et 1894 - Toile, 60 X 42 cm


           " Dans cette belle nature morte les contrastes de formes et couleurs, leur

agencement sont d'une subtilité étonnante.

 Notre oeil associe les deux tulipes rouges aux deux pommes qui se trouvent

dessous ; le jaune des petites fleurs éparpillées dans le bouquet rappelle, de façon

différente, le jaune dense de la pomme qu'on voit derrière le vase ;  et les feuilles

vertes les plus grandes ressemblent en revanche, au grand angle formé par les

bords sombres et chauds de la table. Mais les éléments du bouquet sont des

formes actives, vivantes, charmantes même, une grappe de choses épanouies

dansleur développement, peintes avec une grande liberté ; les pommes et la table

sont des formes fermées, isolées, inertes, silencieuses, un monde clairsemé.

C'est une harmonie d'éléments opposés, un étrange équilibre de qualités

contraires unifiées par des analogies cachées et un jeu de couleurs plein de

sensibilité.

Nous sentons qu'il y a une sorte de conflit humain dans cette nature morte, tout

particulièrement à cause de l'éloignement des pommes, comme si les relations

entre les hommes, leurs désirs et leurs refoulements avaient été traduits dans les

contrastes et les regroupements.

Les champs les plus sévères de la table et du mur sont peints avec des tons clairs

atténués - des tons chauds et froids opposés - d'une délicatesse extrordinaire ; les

fleurs, fraîches, ont des formes angulaires plus ou moins vives avec de gros

zigzags plus accentués que les bords de la table, ils sont rappelés à l'extrême

droite dans la grande feuille vert sombre et dans le vase.

La partie inférieure du vase est de la même couleur que la table, sa silhouette

ronde se rapproche de celle des fruits, et la légère courbure formée par la limite

horizontale de ses deux couleurs répond à la faible convexité du bout de la table.

Entre les pommes et les tulipes, on devine une oblique - ligne d'attraction

évidente  et implicite - qui est parallèle au bord de la table et le relie aux tulipes et

aux pommes. Ces relations, et beaucoup d'autres très belles qui ne sont pas

expressément indiquées, suscitent notre admiration. La forme incurvée, réservée

sur le mur entre les pieds de la table, semblable à l'extrémité d'une feuille ou d'un

pétale, est fascinante.


                 https://www.artic.edu/artworks/14561/the-vase-of-tulips

mardi 2 juin 2020

Portrait du Facteur Roulin

 Lettre à Emile Bernard

....Je viens de faire un portrait d'un facteur ou plutôt même deux portraits. Type socratique, pas moins socratique pour être un peu alcoolique, et conséquentement haut en couleur. Sa femme venait d'accoucher, le bonhomme luisait de satisfaction. Il est terriblement républicain, comme le père Tanguy. Nom de D...! Quel motif à peindre à la Daumier, eh!
Il se raidissait trop dans sa pose, voilà pourquoi je l'ai peint deux fois, la deuxième fois dans une seule séance. Sur la toile blanche, fond bleu, presque blanc, dans le visage tous les tons rompus, jaunes, verts, violacés, roses, rouges.
l'uniforme, bleu de prusse, agrémenté de jaune.


                 
                                              Le Facteur Roulin

                       Août 1888 Arles - Huile sur toile, 81 x 65 cm

Van Gogh, toujours attiré par le peuple, se lia d'amitié avec Roulin, un facteur

d'Arles, et fit de lui plusieurs portraits ainsi que de sa femme et de ses enfants.

Vincent qui aimait sa personne socratique, a décrit sa candeur, son intelligence

et son enthousisme, "sa gravité et sa tendresse silencieuse".

"Sa voix a  une qualité étrangement pure et touchante dans laquelle mon oreille a

tout de suit reconnu une berceuse douce et triste, et une sorte d'écho lointain de

la trompette de la France révolutionnaire".

L'uniforme bleu donne au portrait le ton majeur, mais le caractère officiel de

Roulin n'atténue pas sa qualité personnelle. Au total le bleu devient un attribut de

l'homme, comme ses yeux bleus (qui sont aussi semblables aux boutons dorés !)

Le visage rayonnant, fixé sur nous comme une icône, est d'une fraicheur absolue

et sans la moindre stylisation. La large barbe est un paysage, une forêt renversée

, avec une profusion de jaunes, et de verts et de bruns. La rigidité de la tête est

tempérée par les traits vibrants, animés et les tons variés de la chair. Les mains

grossières sont maladroitement dessinées, mais la gauche demeure puissante et

naturelle. La vaste étendue, presque sans ombre, de l'uniforme bleu -  problème

difficile de la peinture - s'apparie dans une sorte de contraste avec le bleu clair du

fond, parailleurs avec les tons chauds  de la tête et des mains et avec ses propres

boutons et passementeries dorés ; elle devient l'enveloppement le plus actif et le

plus tangible d'un corps humain vrai. Attaché à la réalité précise du costume

comme vêtement porté, van Gogh trace ses contours en vigoureuses lignes noires,

traitées cependant avec discrétion - omises à l'épaule et ailleurs, épaissies par

endroits en masses d'ombre - toujouts irrégulières et suscitées par le corps en

dessous, diverses comme la surface qu'elles entourent, avec sa gradation de tons

froids et chauds dans le même bleu. En apparence simple et directe, l'oeuvre est

profondèment conçue, avec de nombreuses mais discrètes reprises - accords de

couleurs et de formes : le vert de la barbe et de la table, les rouges du visage et

du coin du tableau en bas à gauche, les petits angulants caractéristiques, le coin

de la table, les revers, le devant de la chemise, le siège du fauteuil etc. Et, invite à

l'observateur qui désire comprendre aussi bien que de se délecter : la note la plus

claire du tableau, le triangle de blanc au-dessous de la barbe - ce parti nécessaire

traité avec une justesse infaillible.

                  https://www.youtube.com/watch?v=pzOt_QtEVgg

https://www.youtube.com/watch?v=T750HY_ZcZo