"C'est une des natures mortes les plus originales de Cézanne", nous dit Schapiro
mais pas ma préférée....
Entre 1890 et 1894 - Toile, 65 X 81 cm
"bien que chacune d'elles ait une conception particulière.
Il a supprimé la profondeur de la table - on ne voit rien de son dessus - et les
objets semblent suspendus sur des plans verticaux, comme le mur lui-même, qui a
été mis en contact étroit avec les objets grâce à ses couleurs et à ses lignes
sévères. Mais dans cet espace contracté Cézanne a osé peindre avec une adresse
parfaite le verre translucide à travers lequel nous apercevons les objets à
différents plans ; il a aussi pétri les tissus en plis compliqués dans lesquels les
objets sont installés comme des arbres et des bâtiments dissimulés par les
dépressions de terrain. En supprimant le plan horizontal, il a donné une cohésion
plus évidente aux formes et aux couleurs sur la surface de la toile, mais il a aussi
joué avec les propriétés matérielles des choses, leur solidité, leur poids, leur
opacité et leur transparence.
Le tableau est merveilleux par l'invention des lignes. Peu d'oeuvres de Cézanne
sont aussi abondantes en courbes et en continuités. La bouteille de Peppermint,
avec son élégant double renflement, la grosse carafe - plus simple et plus
importante - sont deux mélodies d'une grande pureté et d'une grande force. Leurs
éléments réapparaissent dans les rondeurs simplifiées des fruits. Plus belles que
tout le reste sont les courbes de la nappe - formes nouvelles ne nous rappelant
pas une draperie conventionnelle, mais de celles qui sont plus libres qu'aucune que
nous connaissions, bien qu'en sricte harmonie avec les formes voisines.
Il y a sur le lourd tissu bleu un jeu séduisant d'ornements noirs - rythmes
secondaires de formes droites et courbes ingénieusement adaptées aux lignes des
autres objets et déployées de telle façon que nous ne pouvons distinguer le motif
qui décore ce tapis - nous connaissons seulement le motif le plus intéressant qui
résulte de son interception par des creux et des plis accidentels. Les continuités et
les croisements caractéristiques de lignes sont la bande rougeâtre sur le mur, qui
se prolonge dans la carafe, la ligne verticlale poursuivie sur le bord de la bouteille
et émergeant à nouveau dans la ligne de la nappe qui touche au citron d'où
tombent des rayures verticales sur le tapis bleu. Le mur, le tapis avec ses
ornements, la bouteille et la carafe découlent d'une même gamme sévère de verts,
de gris, de violets et de bleus avec de nombreux accents noirs ; les taches
d'intensité et de chaleur contrastantes sont groupées par ensembles verticaux et
horizontaux qui conservent l'austère architecture du mur.
On doit aussi remarquer l'audacieuse asymétrie du dessin de la carafe, le
renflement du bord gauche plus lumineux, réduit et aplat, ajusté aux formes
verticales des objets avoisinants, y compris la pomme vue à travers le verre et le
bord de la nappe blanche en dessous, qui renferme une pomme et une poire. C'est
un exemple frappant de l'indépendance de la nature de Cézanne dans l'expression
de sa volonté constructive. Chardin aurait harmonisé toutes ces formes d'objets
voisins sans les altérer : mais ses contours sembleraient dessinés de façon moins
tangible, moins ouvertement marqués par les opérations d'ajustement et de
cohésion
https://www.youtube.com/watch?v=k0SrEiEcpRM