" Grisez-vous, grives musiciennes, grisez-vous, draines, litornes et mauvis ! Profitez des vignes du Seigneur comme tant d'autres ! Si les pampres sont trop chargés il y aura mévente ! Si la récolte est mince, elle fera prime sur le marché.
Ce n'est pas la quantité mais la qualité qui compte. Le vigneron ne vous a jamais compris dans les ennemis de la vigne.
Les insectes, les chenilles et les vers que vous détruisez vous autorisent à prélever votre dîme, et bien querelleur serait celui qui s'insurgerait pour votre grapillage après vendanges. On vous accuse de vous saouler : cela ne fait de mal à personne. Plus inquiétantes sont ces hécatombes effroyables que perpètre l'homme.
Elles font plus que décimer vos rangs, elles risquent d'exterminer votre race.
Et ce, non pour une raison, comme la vôtre, de subsistance, mais par pure gourmandise.
Quels sont les plus gourmands, vous ou les hommes ? A celui qui me contredit, je clos...le bec !
Les anciens qui appréciaient mieux que nous le chant des grives appréciaient, hélas ! davantage encore l'excellence de leur chair.
Dans son De Agricultura, livre III, ch IV, écrit vers 50 avant J C, Varron mentionne que les Romains faisaient en grand l'élevage des grives, dans d'immenses volières.
Cent ans plus tard, Columelle, dans son De Re Rustica, livre VIII ch X, fournit toutes précisions sur les méthodes d'engraissement des grives.
Au IV ème siècle Palladius, lui aussi, dans son De Re Rustica, livre I, ch.XXVI, confirme les dires de ses prédécesseurs quant à l'élevage des grives comme denrée alimentaire. Les Romains faisaient en effet non seulement une grande consommation de grives, mais les tenaient pour un mets absolument hors pair.
Dans ses Epitres (Livre I, épître XV ), Horace donne cette déclaration du dissipateur Ménius : "Par Hercule, je ne m'étonne point s'il est des gens qui mangent leurs biens, car il n'y a rien de meilleur qu'une grive bien grasse
Fresque Pompéienne
Des huit Epigrammes ou Martial a parlé des grives, citons au moins celle-ci :
DIZAINES DE GRIVES
"Une couronne tressée de roses te plaît peut-être ; moi je préfère une couronne de grives ".
Déclaration analogue à celle de notre "Curnonsky", à propos de la tentation de St Antoine "
" Moi je n'aurais pas résisté, j'aurais mangé le cochon" !
L'épicurien Apicius, qui naquit vers 25 av J.C a laissé des livres de cuisine traduits en 1933 par Bertrand Guégan.
On y trouve la recette de divers plats où la grive est servie isolément ou comme accompagnement et toutes sortes de sauces pour accomoder les grives.
Quand Suétone, un peu plus tard, écrivit sa Vie des Douze Césars (Tibère 42)
il rapporta qu'Apicius avait royalement payé la dédicace d'un dialogue où Asellius Sabinus montrait l'orange, l'huître, la grive et le bec-figne se disputant la prééminence.
Fresque Pompéienne
En France, du Vieuget, dans son Ode à la goinfrerie , célèbre la grive entre l'ortolan et la bécasse, comme honneur des tables "les mieux coiffées".
Edouard Nignon, ancien chef de cuisine du Tsar; a écrit dans sa retraite dinandoise un Eloge de la cuisine française où il commente un repas magnifique où figurait notre oiseau : "Des grives, nourries dans les cormiers, montait une exhalaison capiteuse. Des adorateurs particulièrement empressés devinrent lyriques en leur présence"
La Vie et Passion de Dodin Bouffant par Marcel Rouff comporte deux évocations culinaires de notre bord : "Adèle apporta le plat chargé de friandises. Il y avait là de minuscules grives froides et désossées bardées de couches d'anchois (p 113). A peine le temps des lapereaux au zéphyr était-il terminé qu'il voyait paraître sur la table bénie les grives à la gendarme ( p 184) ......................................................................................à suivre
René Druart