vendredi 13 juillet 2018

Gauguin à Tahiti

 ..."Depuis quelque temps je m'étais assombri. Mon travail s'en ressentait. Il est vrai que beaucoup de documents me faisaient défaut : mais c'est la joie surtout qui me manquait.
Il y avait plusieurs mois que  j'avais renvoyé Titi à Papeete, plusieurs mois que je n'entendais plus ce babil de vahine me faisant sans cesse à propos des mêmes choses les mêmes questions auxquelles je répondais invariablement par les mêmes histoires.
Et ce silence ne m'était pas bon.
Je résolus de partir, d'entreprendre autour de l'île un voyage dont je ne m'assignais pas d'uns façon précise le terme.
Tandis que je faisais quelques paquets légers pour le besoin de la route et que je mettais de l'ordre dans toutes mes études, mon voisin et propriètaire , l'ami Anani me regardait inquiet.
Il se décida enfin à me demander si je me disposais à m'en aller.
Je lui répondis que non, que je me préparais pour une promenade de quelques jours seulement, que je reviendrais.
 Il ne me crut pas et se mit à pleurer. Sa femme vint le rejoindre et me dit qu'elle m'aimait, que je n'avais pas besoin d'argent pour vivre parmi eux; qu'un jour je pourrais reposer pour toujours - là : et elle me montrait, près de sa case, une place décorée d'un arbrisseau.

Et j'eus le désir de reposer pour toujours - là du moins personne, toute l'éternité, ne viendra m'y déranger...
 -Vous autres, Européens, ajouta la femme d'Anani , vous promettez toujours de rester, et quand enfin on vous aime, vous partez ! C'est pour revenir, assurez-vous, mais vous ne revenez jamais.
 - Eh bien, je puis jurer, moi, que mon intention est de revenir dans quelques jours. Plus tard (je n'osais mentir) , plus tard je verrai.




                                           No Te Aha Oe Riri 1896 Art Institute Chicago

Enfin je partis.
M'écartant du chemin qui borde la mer, je suis un étroit sentier à travers un fourré qui s'étend assez loin dans la montagne et j'arrive dans une petite vallée dont les habitants vivent à l'ancienne mode maorie.
Ils sont heureux et calmes. Ils rêvent, ils aiment, ils  sommeillent, ils chantent, ils prient et je vois distinctement, bien qu'elles ne soient pas là, les statues de leurs divinités féminines  : statues de Hina et fêtes en l'honneur de la déesse lunaire.
L'idole d'un seul bloc a dix pieds d'une épaule à l'autre et quarante de hauteur. Sur la tête elle porte, en forme de bonnet une pierre énorme, de couleur rougeâtre.
Autour d'elle on danse selon les rites d'autrefois - matamua - et le -vivo- varie sa note claire et gaie, mélancolique et sombrée, avec les heures qui se succèdent.

Je continue ma route.

 A Taravao, extrémité de lîle, un gendarme me prête son cheval et je file sur la côte est, peu fréquentée  des Européens.

  Le Cheval Blanc 1898 Musée de l'Impressionnisme. Jeu de Paume. Paris

                                                              mais il est vert !!!  de reflets !!
    A Faone, petit district qui précède celui d'Itia, je m'entends interpeler par un indigène :
 - Hé ! l'homme qui fait des hommes (il sait que je suis peintre), 

                  Haere mai ta maha ! (Viens manger avec nous, la formule tahitienne, - hospitalière).
Je ne me fais pas prier, tant le sourire qui accompagne l'invitation est engageant et doux. Je descends de cheval; mon hôte le prend et l'attache à une branche, sans aucune servilité, simplement et avec adresse.
Et nous entrons tous deux dans une case où sont réunis des hommes, des femmes et des enfants, assis par terre, causant et fumant.

 - Où vas-tu ? me demande une belle Maorie d'une quarantaine d'années.
 - Je vais à Itia.
 - Pourquoi faire ?
          Je ne sais quelle idée me passa par la rête et peut-être sans le savoir disais-je le but réel, secret pout moi-même de mon voyage :

 -Pour y chercher une femme, répondis-je.
 -Itia en a beaucoup et des jolies. Tu en veux une ? 
 -Oui.
 - Si tu veux, je vais t'en donner une. C'est ma fille.
 - Est-elle jeune ?
 - Oui.
 - Est-elle bien portante?
 -Oui.
 C'et bien va me la chercher
 .
La femme sortit.
 - Un quart d'heure après, tandis qu'on apportait le repas des maiore - bananes sauvages, des crevettes et un  poisson  - elle rentra, suivie d'une grande jeune fille qui tenait un petit paquet à la main.
A travers la robe, en mousseline rose excessivement transparente, on voyait la peau dorée des épaules et des bras. Deux boutons pointaient drus à la poitrine. Sur son visage charmant je ne reconnus pas le type que jusqu'à ce jour, j'avais vu partout régner dans l'île et sa chevelure aussi était très exceptionnelle ; poussée comme la brousse et légèrement crépue.Au soleil, tout cela faisait une orgie de chromes.
Je sus par la suite qu'elle était originaire des Tongas.

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                           Ia Orana Maria (Je vous salue Marie) 1891
                                     Metropolitan Museum of Art, New-York

En 1892 Gauguin écrit au-sujet de cette toile  :

  " Un ange aux ailes jaunes indique à deux femmes tahitiennes Marie et jésus, tahitiens aussi, nus vêtus du paréo, espèce de cotonnade à fleurs qui s'attache comme on veut à la ceinture. Fond de montagnes très sombre et arbres à fleurs. Chemin violet fonçé et premier plan vert émeraude, à gauche des bananes. J'en suis assez content". 
                                             mais  ! elles sont bleues  !!!...
 Si nous poursuivions plus longuement l'étude de l'oeuvre de Gauguin nous pourrions analyser dans ses toiles de nombreuses inspirations puisées dans l'Orient.

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