mercredi 18 juillet 2018

L'Ile de Pâques

On ne survole pas  son histoire  en un rien de temps, mais peu à peu on rentre

 dans le fil du sujet..... même si, de façon lanscinante, reviennent les idées

 préconçues, en tout cas,  en ce qui concerne la disparition de la forêt.  

Mais les réponses sont là et grâce à l'archéologie, elles s'affinent de jours en

 jours. je vous parlais de ces trocs de statuettes et c'est ce qu'il y a de plus 

stupéfiant (à mon sens) dans cette exposition avec notamment l'écriture dont

 je vous parlerai plus tard.

Ces statuettes sont l'oeuvre de la classe des aristocrates et bien antérieure par 

conséquent à l'arrivée  des premiers explorateurs, même si, comme me  le 

faisait  remarquer la personne accréditée, en charge de la visite de l'exposition,

certaines sont plus récentes, en tout cas l'une d'entre elle et cela saute aux

 yeux car elle n'en a pas la finesse.  (première, ci-dessous)

La pénombre ambiante, les reflets, ne facilitent pas la prise des photos  et 

encore moins les fiches quasiment illisibles. 

Ces moai kavakava sont généralement sculptés  dans le Sophora toromiro avec

 des yeux  en os et d'obsidienne issus d'anciennes collections particulières dont 

celles d' André Breton et René Gaffé ou de Pierre Loti .

Mention spéciale au Reimiro, dont vous pouvez voir un exemplaire au Musée du

 Quai Branly à Paris : celui qui est conservé à Londres est en Thespesia 

populnea (bois de rose).  Pectoral, synonyme  d'autorité, porté par les chefs

il  figure sur le drapeau pascuan. 





















 tige de Toromiro dont les racines tortureuses étaient souvent mises à profit pour la sculpture


















                                                                              Reimiro




                           Moai tangata moka

 Bâton (ua)

                                                                                            Paoa



Vous avez sans doute hâte que je vous parle  des grands moai ... ah ah ah  !!!

ce n'était que sous cette forme que l'on connaissait l'ile de Pâques !!!!







































                       Tahonga











ci-contre hameçon en basalte ancienne collection du capitaine de frégate Jean Albert Riondel









                                         à suivre

  Poème d'André Breton.                       

   Rano Raraku  (volcan carrière de l'île)



Que c'est beau le monde


La Grèce n'a jamais existé


Ils ne passeront pas

Mon cheval trouve son picotin dans le cratère

Des hommes-oiseaux des nageurs courbes

Volètent autour de ma tête car

C'est moi aussi

Qui suis là

Aux trois quarts enlisé

Plaisantant les ethnologues

Dans l'amicale nuit du Sud

Ils ne passeront pas

La plaine est immense

Ceux qui s'avancent sont ridicules

Les hautes images sont tombées.

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01147860/document

mardi 17 juillet 2018

De Tahiti à l'Ile de Pâques

 Et il n'y a que 4.200 kilomètres !! distances que les Polynésiens, grands

 navigateurs, n'hésitaient pas à parcourir dans  ce vaste  Océan Pacifique.

 Et le sujet est ausi vaste !!  traité de façon magistrale par le Museum d'Histoire

 Naturelle de Toulouse, vous n'en ressortirez pas  avec les mêmes idées si 

répandues ... et si fausses ! qu'à votre entrée.







































                                                              Te Pito te Henua

 Quelle civilisation  !  c'est fascinant !  si vous n'avez pas la possibilité d'y aller, à

 l'île de Pâques tout d'abord et à Toulouse ensuite, je vais essayer de vous en 

donner, les grandes lignes..... mais mon opinion,  ma conclusion est faite, les

 Occidentaux n'auraient jamais dû la découvrir, à commencer par le navigateur

 hollandais, Jacob Roggeveen, le jour de Pâques 5 avril 1722.

( et je vous expliquerai pourquoi )  et beaucoup d'autres suivirent....

  En 1770, les Espagnols, avec armes et bagages, plus un débarquement 

d'envahisseurs autrement dit de "conquistadores" et d'évangélisateurs, une 

drôle de façon de diffuser "la bonne nouvelle".

 En 1774  les Anglais ,  James Cook et une pléiade de savants,  l'astronome

 William Wales, le peintre William Hodges.; des naturalistes, les Forster, 

allemands, un Suédois Anders Sparmann.

 En 1786, les  Français aspirent aussi à des observations scientifiques: 

Lapérouse est entouré de Lamanon, à la fois météorologiste, botaniste et 

minéralogiste, Collignon, jardinier du Jardin du Roi et beaucoup d'autres 

scientifiques, (s'ils lisent cet article, mes jeunes diplomés agronomes seront intéressés de savoir que Collignon y sema des choux, des carottes, du maîs, des citrouilles mais que rien de ces légumes n'y fit souche)

d'autres  naturalistes, peintre de paysages tel que Duché de Vancy, ou de 

topographes et physiciens; le tout récolté en un laps de temps très court, toute

 cette somme considérable d'échantillons, d'observations  sombreront dans le 

naufrage de Vanikoro, hormis ceux qui avaient été confiés à Barthélémy de 

Lesseps lors d'une escale au Kamtcharka.

Enfin,( j'ose dire ), dès la fin du XVIII ème siècle les Pascuans s'opposent au

 débarquement des marins étrangers, et ce sont les explorateurs Russes qui

 font les frais de cette opposition,  du Neva en 1804 et du Rurik en 1816

 Liziansky et Kotzebue ne purent faire leurs observations que depuis leurs

 navires. Les Pascuans avaient compris que les relations avec ceux qui 

débarquaient étaient à l'origine des épidémies qui les ont décimés et d'autres 

malheurs. Si nos Basques traquaient la baleine dans le Golfe de Gascogne et 

jusqu'à Terre-Neuve comme nous l'avons vu précédemment , les navires 

baleiniers ou phoquiers américains avaient pénétré les eaux du Pacifique depuis

 1789.

 Ce qui n'empèche pas le commerce de prospérer, écailles de tortue, nacre, 

perles ; mais les échanges se font à bord. Nous pourrons admirer les statuettes

 en bois  troquées pour quelques tissus par les commandants du" Her Majesty 

Blossom" ou du "HMS Serinpatagam" ou du" Vénus" de Dupetit Thouars ou du 

HMS Portland. En1862, c'est un rapport enthousiaste de Lejeune qui sur le

 "Cassini" échange des cadeaux,  incite les Pères de la Congrégation des 

Sacrès-Coeurs de Jésus et de Marie de Valpairaiso à aller évangéliser l'ile.
 
Ils ne les ont pas protégés de la déportation ( entre 1862 et 1863)  dont ils

 furent l'objet à l'échelle de  mille deux cents personnes  !! pour une main-

d'oeuvre gratuite au Pérou. Malgré la protestation des nations en 1863, les 

seuls quinze survivants de ces travaux forcés agricoles rapatriés sur l'ile ne 

firent qui introduirent à nouveau dysenterie et variole..

 Les Frères de la Congrégation abandonnent l'ile en 1871, puis les Pascuans 

quittent l'ile  pour se rendre à Tahiti ne laissant qu'une centaine d'insulaires 

très jeunes. Mais, Grâce au Ciel , aujourd'hui, les mentalités ont changé et les 

héritiers de cette culture si riche comme je vais vous la présenter sont bien

 décidés à effacer un passé dramatique pour un renouveau culturel. 

L'Unesco y a prit part en inscrivant le Parc National au Patrimoine Mondial de 

l'Humanité. 

Pierre Loti, depuis le "Flore" en 1872 , qui entretenait d'excellentes relations 

avec les Pascuans, a servi d'intermédiaire pour les acquisitions de sculptures en

 bois.

 Vous trouverez au Museum la reconstitution de sa cabine :










 















la massue sacrificielle posée contre l'étagère a été troquée contre sa veste d'aspirant
























































http://www.bibebook.com/files/ebook/libre/V2/loti_pierre_-_reflets_sur_la_route_sombre.pdf

Récit que vous trouverez en page 124 ; Quatorzième partie. Ile de Pâques

                                         Journal d'un aspirant de Le Flore.

vendredi 13 juillet 2018

Gauguin à Tahiti

 ..."Depuis quelque temps je m'étais assombri. Mon travail s'en ressentait. Il est vrai que beaucoup de documents me faisaient défaut : mais c'est la joie surtout qui me manquait.
Il y avait plusieurs mois que  j'avais renvoyé Titi à Papeete, plusieurs mois que je n'entendais plus ce babil de vahine me faisant sans cesse à propos des mêmes choses les mêmes questions auxquelles je répondais invariablement par les mêmes histoires.
Et ce silence ne m'était pas bon.
Je résolus de partir, d'entreprendre autour de l'île un voyage dont je ne m'assignais pas d'uns façon précise le terme.
Tandis que je faisais quelques paquets légers pour le besoin de la route et que je mettais de l'ordre dans toutes mes études, mon voisin et propriètaire , l'ami Anani me regardait inquiet.
Il se décida enfin à me demander si je me disposais à m'en aller.
Je lui répondis que non, que je me préparais pour une promenade de quelques jours seulement, que je reviendrais.
 Il ne me crut pas et se mit à pleurer. Sa femme vint le rejoindre et me dit qu'elle m'aimait, que je n'avais pas besoin d'argent pour vivre parmi eux; qu'un jour je pourrais reposer pour toujours - là : et elle me montrait, près de sa case, une place décorée d'un arbrisseau.

Et j'eus le désir de reposer pour toujours - là du moins personne, toute l'éternité, ne viendra m'y déranger...
 -Vous autres, Européens, ajouta la femme d'Anani , vous promettez toujours de rester, et quand enfin on vous aime, vous partez ! C'est pour revenir, assurez-vous, mais vous ne revenez jamais.
 - Eh bien, je puis jurer, moi, que mon intention est de revenir dans quelques jours. Plus tard (je n'osais mentir) , plus tard je verrai.




                                           No Te Aha Oe Riri 1896 Art Institute Chicago

Enfin je partis.
M'écartant du chemin qui borde la mer, je suis un étroit sentier à travers un fourré qui s'étend assez loin dans la montagne et j'arrive dans une petite vallée dont les habitants vivent à l'ancienne mode maorie.
Ils sont heureux et calmes. Ils rêvent, ils aiment, ils  sommeillent, ils chantent, ils prient et je vois distinctement, bien qu'elles ne soient pas là, les statues de leurs divinités féminines  : statues de Hina et fêtes en l'honneur de la déesse lunaire.
L'idole d'un seul bloc a dix pieds d'une épaule à l'autre et quarante de hauteur. Sur la tête elle porte, en forme de bonnet une pierre énorme, de couleur rougeâtre.
Autour d'elle on danse selon les rites d'autrefois - matamua - et le -vivo- varie sa note claire et gaie, mélancolique et sombrée, avec les heures qui se succèdent.

Je continue ma route.

 A Taravao, extrémité de lîle, un gendarme me prête son cheval et je file sur la côte est, peu fréquentée  des Européens.

  Le Cheval Blanc 1898 Musée de l'Impressionnisme. Jeu de Paume. Paris

                                                              mais il est vert !!!  de reflets !!
    A Faone, petit district qui précède celui d'Itia, je m'entends interpeler par un indigène :
 - Hé ! l'homme qui fait des hommes (il sait que je suis peintre), 

                  Haere mai ta maha ! (Viens manger avec nous, la formule tahitienne, - hospitalière).
Je ne me fais pas prier, tant le sourire qui accompagne l'invitation est engageant et doux. Je descends de cheval; mon hôte le prend et l'attache à une branche, sans aucune servilité, simplement et avec adresse.
Et nous entrons tous deux dans une case où sont réunis des hommes, des femmes et des enfants, assis par terre, causant et fumant.

 - Où vas-tu ? me demande une belle Maorie d'une quarantaine d'années.
 - Je vais à Itia.
 - Pourquoi faire ?
          Je ne sais quelle idée me passa par la rête et peut-être sans le savoir disais-je le but réel, secret pout moi-même de mon voyage :

 -Pour y chercher une femme, répondis-je.
 -Itia en a beaucoup et des jolies. Tu en veux une ? 
 -Oui.
 - Si tu veux, je vais t'en donner une. C'est ma fille.
 - Est-elle jeune ?
 - Oui.
 - Est-elle bien portante?
 -Oui.
 C'et bien va me la chercher
 .
La femme sortit.
 - Un quart d'heure après, tandis qu'on apportait le repas des maiore - bananes sauvages, des crevettes et un  poisson  - elle rentra, suivie d'une grande jeune fille qui tenait un petit paquet à la main.
A travers la robe, en mousseline rose excessivement transparente, on voyait la peau dorée des épaules et des bras. Deux boutons pointaient drus à la poitrine. Sur son visage charmant je ne reconnus pas le type que jusqu'à ce jour, j'avais vu partout régner dans l'île et sa chevelure aussi était très exceptionnelle ; poussée comme la brousse et légèrement crépue.Au soleil, tout cela faisait une orgie de chromes.
Je sus par la suite qu'elle était originaire des Tongas.

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                           Ia Orana Maria (Je vous salue Marie) 1891
                                     Metropolitan Museum of Art, New-York

En 1892 Gauguin écrit au-sujet de cette toile  :

  " Un ange aux ailes jaunes indique à deux femmes tahitiennes Marie et jésus, tahitiens aussi, nus vêtus du paréo, espèce de cotonnade à fleurs qui s'attache comme on veut à la ceinture. Fond de montagnes très sombre et arbres à fleurs. Chemin violet fonçé et premier plan vert émeraude, à gauche des bananes. J'en suis assez content". 
                                             mais  ! elles sont bleues  !!!...
 Si nous poursuivions plus longuement l'étude de l'oeuvre de Gauguin nous pourrions analyser dans ses toiles de nombreuses inspirations puisées dans l'Orient.

jeudi 12 juillet 2018

le voyage à Tahiti : suite


                                              Parahi Te Marae ( Là est le Temple) 1892

     "... Par la vallée du Punaru - la grande fissure de Tahiti - on parvient au plateau de Tamanaou. De là on peut voir le Diadème, l'Oroféna, l'Arorai ; - le centre de l'Ile.  Bien des hommes m'en avaient parlé, et je formais le projet d'y aller, seul, y passer quelques jours.

 - Mais, la nuit, que feras-tu ?
 - Tu seras tourmenté par les tupapaus  ?
 - Il faut que tu sois téméraire ou fou pour aller déranger les esprits de la montagne !

Et cette inquiète sollicitude de mes bons amis tahitiens ne faisait que surexciter ma curiosité.
Je partis donc un matin.
Près de deux heures durant, je pus suivre un sentier qui longeait la rivière du Punaru. Mais ensuite je fus à plusieurs reprises obligé de traverser la rivière.
Encore de chaque côté les murailles de la montagne se faisaient-elles de plus en plus droites projetant jusqu'au milieu de l'eau d'énormes quartiers de rocher. Force me fut bien en définitive de continuer mon voyage dans l'eau, et j'en avais tantôt jusqu'aux genoux, tantôt jusqu'aux épaules.
Entre les deux murailles excessivement élevées le soleil pointait à peine. Dans le ciel ardemment bleu on apercevait presque, en plein jour, les étoiles.

Vers cinq heures, le jour baissant, je commençais à me préoccuper de l'endroit où je passerais la nuit, quand j'aperçus à droite, un hectare de terrain presque plat où croissaient pêle-mêle les fougères, les bananiers sauvages et les bouraos.
J'eus la chance de trouver quelques bananes mûres. A la hâte je fis un feu de bois pour les cuire, et ce fut mon repas.
 Puis tant bien que mal, au pied d'un arbre sur les branches duquel j'avais entrelacé des feuilles de bananier pour m'abriter en cas de pluie, je me couchais.

Il faisait froid et ma traversée dans l'eau me laissait grelottant. Je dormis mal. Dans la crainte que les cochons sauvages ne vinssent m'écorcher les jambes, j'avais passé à mon poignet la corde de ma hache.
La nuit était profonde. Impossible de rien distinguer, sauf, tout près de ma tête une sorte de poussière phosphorescente qui m'intriguait singulièrement.
Je souris en pensant aux contes que m'avaient faits les Maoris à propos du Tupapau, cet esprit malfaisant qui s'éveille avec la nuit pour tourmenter les hommes endormis. Sa capitale est au coeur de la montagne que la forêt  habille de ténèbres. Là, il  se multiplie et les âmes de tous les morts viennent grossir ses légions.
Malheur au vivant qui se risque dans ces lieux infestés par les démons ! Et j'étais cet imprudent. Aussi mes rêves furent-ils assez agités. Je sus plus tard que cette poussière lumineuse émane de petits champignons d'une espèce particulière : ils poussent dans les endroits humides sur les branches mortes comme celles qui m'avaient servi à faire du feu.
Le lendemain matin je me remettais en route.
La rivière, de plus en plus accidentée, ruisseau, torrent, cascade, se contourne de plus en plus, le sentier me manque fréquemment, et c'est souvent des mains que je m'aide à marcher, passant de branche en branche en ne m'appuyant que très peu sur le sol.
Du fond de l'eau des écrevisses d'une taille extraordinaire me regardaient, semblant me dire : "Que viens-tu faire "? et des anguilles séculaires fuyaient à mon approche.

Tout-à-coup, à un détour brusque, j'aperçus dressée contre la paroi du rocher  qu'elle caressait plutôt qu'elle ne s'y retenait de ses deux mains, une jeune fille nue : (chaque thème d'inspiration est pour Gauguin matière à traiter différemment son sujet ; dans l'article précédent la jeune fille est effectivement nue mais sur   cette toile conservée à la Fondation Bürhle à Zurich  il la vêt d'un paréo blanc)




































Pape Moe (Eau mystérieuse) 1893

elle buvait à une source jaillissante, très haut, dans les pierres. lorsqu'elle eut fini de boire, elle prit de l'eau dans ses mains et se la fit couler entre les seins.
Puis  -  je n'avais pourtant fait aucun bruit - comme une antilope peureuse qui d'instinct devine l'étranger, elle pencha la tête scrutant le fourré où j'étais caché.
Et mon regard ne rencontra pas le sien. A peine me vit-elle ! qu'elle plongea aussitôt, en criant ce mot : Tuehae  (féroce) ! Précipitamment je regardais dans l'eau : personne. Rien qu'une énorme anguille qui serpentait entre les petits cailloux du fond.

Non sans difficulté ni fatigue je parvins tout près de l'Aroraï ; le sommet de l'île, la montagne redoutée. C'était soir, la lune se levait et en la regardant, je me rappelais ce dialogue sacré, dans ce lieu précisèment que la légende lui assigne pour théatre ;

" Hina disait à Tefaou : - Faites revivre l'homme quand il sera mort "
Le Dieu de la Terre répondit à la Déesse de la lune :

- Non, je ne le ferai point revire. l'homme mourra, la végétation mourra ainsi que ceux qui s'en nourrissent : la terre mourra, la terre finira, elle finira pour ne plus renaître" 

" Hina répondit : Faites comme il vous plaira. Moi, je ferai revivre la Lune"
 Et ce que possédait Hina continua d'être, ce que possédait Téfatou périt et l'homme dût mourir "

autre version aussi des nus  de Gauguin :  toujours le drap couleur écorce, mais ici le paréo bleu et c'est la naissance du Christ ;  Te Tamari No Atua : plus tardive,  1896 ; conservée à Munich au Bayrische Staatsgemâlde Sammlungen.

   
Gauguin est devenu père et reste attaché au christianisme occidental ; il mêle alors son christianisme à quelques sujets profanes que je vous montrerai demain.

Au fur et à mesure de cette lecture et des peintures qui ont  illustré ses propos, je redécouvre un artiste que la tradition a présenté comme un original tourmenté, naïf et sans doute égoiste, toujours en quête d'un univers d'extase et de calme qu'il ne trouvera jamais.
On dit que ses ascendances péruviennes  expliquent peut-être son gout pour l'exotisme .
Il quittera Tahiti,  puis,  Panama, la Martinique,  et les Marquises (1901) où il repose aux cotês de Jacques Brel

https://fr.wikipedia.org/wiki/D%27o%C3%B9_venons-nous_%3F_Que_sommes-nous_%3F_O%C3%B9_allons-nous_%3F

mercredi 11 juillet 2018

Le voyage à Tahiti : suite


                                     Paysage Tahitien 1893 : Institute of Arts. Minneapolis

  "J'étais, donc, moi, l'homme civilisé inférieur, pour l'instant aux sauvages vivant heureux autour de moi, dans un lieu où l'argent, qui ne vient pas de la nature, ne peut servir à l'acquisition des biens essentiels que la nature produit : et comme l'estomac vide je songeais tristement à ma situation, j'aperçus un indigène qui gesticulait vers moi en criant.
Les gestes très expressifs, traduisaient la parole  et je compris - mon voisin m'invitait à dîner. Mais j'eus honte. D'un signe de tête je refusai. Quelques minutes après, une petite fille déposait sur le seuil de ma porte, sans rien dire, quelques aliments proprement entourés de feuilles fraîches cueillies, puis se retirait.
J'avais faim: silencieusement aussi j'acceptai. Un peu plus tard, l'homme passa devant ma case, et me souriant, sans s'arrêter, me dit sur le ton interrogatif ce seul mot : Païeu ? - je devinais : "Es-tu satisfait ?" 
Ce fut, entre ces sauvages et moi, le commencement de l'apprivoisement réciproque 
... Déjà pourtant je commençais à comprendre leur grâce réelle...Cette petite tête brune aux yeux tranquilles, par terre sous des touffes de larges feuilles de giromons ; ce petit enfant qui m'étudiait à mon insu et s'enfuit quand mon regard rencontra le sien. Comme eux pour moi, j'étais le "sauvage". Et c'est moi qui avait tort, peut-être.




                           Fatata te Miti : 1892. (Près de la mer) 
                                                              National Gallery. Washington

             Je commençais à travailler : notes et croquis de toutes sortes.
Mais le paysage, avec ses couleurs franches, ardentes, m'éblouissait, m'aveuglait. Jadis toujours incertain, je cherchais de midi à quatorze heures...
Cela était si simple pourtant de peindre comme je voyais, de mettre sur ma toile, sans tant de calculs, un rouge, un bleu! Dans les ruisseaux, des formes dorées m'enchantaient ; pourquoi hésitais-je à faire couler sur ma toile tout cet or et toute cette joie du soleil ? Vieilles routines d'Europe, timidités d'expression de races dégénérées !...
Pour bien m'initier au caractère si particulier d'un visage tahitien, à tout ce charme d'un sourire maorie, je désirais depuis longtemps faire le portrait d'une de mes voisines, une femme de pure extraction tahitienne.
Je profitai, pour le lui demander, d'un jour où elle s'était enhardie jusqu'à venir voir dans ma case des photographies de tableaux.
Elle regardait avec un intérêt tout spécial l'OLYMPIA.
 - Qu'en penses-tu ? lui dis-je (j'avais appris quelques mots de tahitien depuis des mois que je ne parlais plus le français).
- Elle est bien belle 
                                                    Hina Tefatou (la Lune et la Terre) 1893
                                          Museum of Modern Art New-York
 
 Je souris à cette réflexion et j'en fus ému. Elle avait le sens du beau ! Mais que diraient d'elle les professeurs de l'Ecole des Beaux-Arts? Elle ajouta tout à coup rompant le silence qui préside à la déduction des pensées :
-C'est ta femme ?
-Oui.
  Je fis ce mensonge ! Moi le "Tane" de l'Olympia !
Pendant qu'elle examinait très curieusement quelques tableaux religieux des "Primitifs" italiens, j'essayai d'esquisser son portrait, m'efforçant surtout de fixer ce sourire énigmatique. Elle fit une moue désagréable, prononça d'un ton presque courroucé :"Aita"  (non) et se sauva.
Une heure après, elle était là de nouveau, parée d'une belle robe, une fleur à l'oreille.
Que s'était-il passé dans son esprit ?
  Pourquoi me revenait-elle ? Etait-ce un mouvement de coquetterie, le plaisir de céder après avoir résisté , ou l'attrait du fruit défendu ? Ou simplement le caprice sans autre mobile que lui-même, le simple et pur caprice dont les Maories sont si coutumières ?  J'eus conscience que mon examen de peintre comportait avec une profonde étude de la vie intérieure du modèle, comme une prise de possession physique, comme une sollicitation tacite et pressante comme une conquête absolue et définitive.
Elle était peu jolie, en somme, comme les règles européennes de l'esthétique.
Mais elle était belle.
Tous ses traits offraient une harmonie raphaélique dans la rencontre des courbes, et sa bouche avait été modelée par un sculpteur qui parle toutes les langues de la pensée et du baiser, de la joie et de la souffrance.
Et je lisais en elle la peur de l'inconnu, la mélancolie de l'amertume mêlée au plaisir, et de don de la passivité qui cède apparemment et somme toute, reste dominatrice.


                                Manao Tupapau  (l'Esprit des morts veille) 1892
                                                             Museum of Modern Art New-York 

 Je travaillai en hâte - me doutant bien que cette volonté nétait pas fixe - en hâte et avec passion.
J'ai mis dans ce portrait ce que mon coeur a permis à mes yeux de voir, et surtout peut-être ce que les yeux, seuls, n'eussent pas vu, cette flamme intense d'une force contenue... Son front, très noble, rappelait par des lignes surélevées cette phrase d'Edgar Poë : "Il n'y a pas de beauté parfaite sans une certaine singularité dans les proportions" Et la fleur qu'elle avait à l'oreille écoutait son parfum.
Maintenant je travaillais plus librement mieux.


          Par ailleurs, Gauguin parle encore de ce tableau  d'une façon très détaillée. (Ce serait merveilleux si l'on trouvait toujours, et c'est toujours la question que je me pose, lorsque le tableau, certes avec un titre, s'offre à vous ; quel était son contexte, que désirait le peintre, quelles relations avec son modèle,  personnage ou paysage ?)
   "Une jeune fille canaque est couchée sur le ventre, montrant une partie de son visage effrayé. Elle repose sur un lit garni d'un paréo bleu et d'un drap jaune de chrome clair... séduit par une forme, un mouvement, je les peins sans aucune autre préoccupation que de faire un morceau de nu.
Tel quel, c'est une étude de nu un peu indécente, et cependant j'en veux faire un tableau chaste et donnant l'esprit canaque, son caractère, sa tradition.
Le paréo étant  lié intimement à l'existence d'un Canaque, je m'en sers comme de dessus de lit.
Le drap, d'une étoffe écorce d'arbre, doit être jaune, parce que de cette couleur il suscite pour le spectateur  quelque chose d'inattendu ; parce qu'il suggère l'éclairage d'une lampe...
Il me faut un fond terrible. Le violet est tout indiqué.
Voilà la partie musicale tout échafaudée...
Je ne vois que la peur. Quel genre de peur ? Certainement pas la peur d'une Suzanne surprise par les vieillards. Cela n'existe pas en Océanie. Le Tupapau (Esprits des morts) est tout indiqué. Pour les canaques, c'est la peur constante... Une fois mon Tupapau trouvé, je m'y attache complètement et j'en fais le motif de mon tableau. Le nu passe au deuxième plan.
Que peut bien être pour une canaque un revenant ? Elle ne connaît pas le théâtre, la lecture des romans et, lorsqu'elle pense à la mort, elle pense nécessairement à quelqu'un de déjà vu.
Mon revenant ne peut qu'être une petite bonne femme quelconque...
Le titre" Mano Tupapau" a deux sens : ou elle pense au revenant, ou le revenant pense à elle.
Récapitulons. partie musicale ; lignes horizontales ondulantes ; accords d'orangé et de bleu, reliés par des jaunes et des violets, leurs dérivés, éclairés par des étincelles verdâtres.
Partie littéraire : l'Esprit d'une vivante liè à l'Esprit des morts. la Nuit et le Jour.

 remarque personnelle, je ne vois pas le bleu du paréo et les étincelles  ne sont pas verdâtres.... autre version du tableau ?