Parahi Te Marae ( Là est le Temple) 1892
"... Par la vallée du Punaru - la grande fissure de Tahiti - on parvient au plateau de Tamanaou. De là on peut voir le Diadème, l'Oroféna, l'Arorai ; - le centre de l'Ile. Bien des hommes m'en avaient parlé, et je formais le projet d'y aller, seul, y passer quelques jours.
- Mais, la nuit, que feras-tu ?
- Tu seras tourmenté par les tupapaus ?
- Il faut que tu sois téméraire ou fou pour aller déranger les esprits de la montagne !
Et cette inquiète sollicitude de mes bons amis tahitiens ne faisait que surexciter ma curiosité.
Je partis donc un matin.
Près de deux heures durant, je pus suivre un sentier qui longeait la rivière du Punaru. Mais ensuite je fus à plusieurs reprises obligé de traverser la rivière.
Encore de chaque côté les murailles de la montagne se faisaient-elles de plus en plus droites projetant jusqu'au milieu de l'eau d'énormes quartiers de rocher. Force me fut bien en définitive de continuer mon voyage dans l'eau, et j'en avais tantôt jusqu'aux genoux, tantôt jusqu'aux épaules.
Entre les deux murailles excessivement élevées le soleil pointait à peine. Dans le ciel ardemment bleu on apercevait presque, en plein jour, les étoiles.
Vers cinq heures, le jour baissant, je commençais à me préoccuper de l'endroit où je passerais la nuit, quand j'aperçus à droite, un hectare de terrain presque plat où croissaient pêle-mêle les fougères, les bananiers sauvages et les bouraos.
J'eus la chance de trouver quelques bananes mûres. A la hâte je fis un feu de bois pour les cuire, et ce fut mon repas.
Puis tant bien que mal, au pied d'un arbre sur les branches duquel j'avais entrelacé des feuilles de bananier pour m'abriter en cas de pluie, je me couchais.
Il faisait froid et ma traversée dans l'eau me laissait grelottant. Je dormis mal. Dans la crainte que les cochons sauvages ne vinssent m'écorcher les jambes, j'avais passé à mon poignet la corde de ma hache.
La nuit était profonde. Impossible de rien distinguer, sauf, tout près de ma tête une sorte de poussière phosphorescente qui m'intriguait singulièrement.
Je souris en pensant aux contes que m'avaient faits les Maoris à propos du Tupapau, cet esprit malfaisant qui s'éveille avec la nuit pour tourmenter les hommes endormis. Sa capitale est au coeur de la montagne que la forêt habille de ténèbres. Là, il se multiplie et les âmes de tous les morts viennent grossir ses légions.
Malheur au vivant qui se risque dans ces lieux infestés par les démons ! Et j'étais cet imprudent. Aussi mes rêves furent-ils assez agités. Je sus plus tard que cette poussière lumineuse émane de petits champignons d'une espèce particulière : ils poussent dans les endroits humides sur les branches mortes comme celles qui m'avaient servi à faire du feu.
Le lendemain matin je me remettais en route.
La rivière, de plus en plus accidentée, ruisseau, torrent, cascade, se contourne de plus en plus, le sentier me manque fréquemment, et c'est souvent des mains que je m'aide à marcher, passant de branche en branche en ne m'appuyant que très peu sur le sol.
Du fond de l'eau des écrevisses d'une taille extraordinaire me regardaient, semblant me dire : "Que viens-tu faire "? et des anguilles séculaires fuyaient à mon approche.
Pape Moe (Eau mystérieuse) 1893
elle buvait à une source jaillissante, très haut, dans les pierres. lorsqu'elle eut fini de boire, elle prit de l'eau dans ses mains et se la fit couler entre les seins.
Puis - je n'avais pourtant fait aucun bruit - comme une antilope peureuse qui d'instinct devine l'étranger, elle pencha la tête scrutant le fourré où j'étais caché.
Et mon regard ne rencontra pas le sien. A peine me vit-elle ! qu'elle plongea aussitôt, en criant ce mot : Tuehae (féroce) ! Précipitamment je regardais dans l'eau : personne. Rien qu'une énorme anguille qui serpentait entre les petits cailloux du fond.
Non sans difficulté ni fatigue je parvins tout près de l'Aroraï ; le sommet de l'île, la montagne redoutée. C'était soir, la lune se levait et en la regardant, je me rappelais ce dialogue sacré, dans ce lieu précisèment que la légende lui assigne pour théatre ;
" Hina disait à Tefaou : - Faites revivre l'homme quand il sera mort "
Le Dieu de la Terre répondit à la Déesse de la lune :
- Non, je ne le ferai point revire. l'homme mourra, la végétation mourra ainsi que ceux qui s'en nourrissent : la terre mourra, la terre finira, elle finira pour ne plus renaître"
" Hina répondit : Faites comme il vous plaira. Moi, je ferai revivre la Lune"
Et ce que possédait Hina continua d'être, ce que possédait Téfatou périt et l'homme dût mourir "
autre version aussi des nus de Gauguin : toujours le drap couleur écorce, mais ici le paréo bleu et c'est la naissance du Christ ; Te Tamari No Atua : plus tardive, 1896 ; conservée à Munich au Bayrische Staatsgemâlde Sammlungen.
Gauguin est devenu père et reste attaché au christianisme occidental ; il mêle alors son christianisme à quelques sujets profanes que je vous montrerai demain.
Au fur et à mesure de cette lecture et des peintures qui ont illustré ses propos, je redécouvre un artiste que la tradition a présenté comme un original tourmenté, naïf et sans doute égoiste, toujours en quête d'un univers d'extase et de calme qu'il ne trouvera jamais.
On dit que ses ascendances péruviennes expliquent peut-être son gout pour l'exotisme .
Il quittera Tahiti, puis, Panama, la Martinique, et les Marquises (1901) où il repose aux cotês de Jacques Brel
https://fr.wikipedia.org/wiki/D%27o%C3%B9_venons-nous_%3F_Que_sommes-nous_%3F_O%C3%B9_allons-nous_%3F