Oeuvre de Omar Rayyan
LE LION, LE RENARD ET LE CERF.
Le lion étant tombé malade était couché dans une caverne. Il dit au
renard, qu’il aimait et avec qui il entretenait commerce : « Si tu veux
que je guérisse et que je vive, séduis par tes douces paroles le gros
cerf qui habite la forêt, et amène-le entre mes mains ; car j’ai envie
de ses entrailles et de son cœur. » Le renard se mit en campagne et
trouva le cerf qui bondissait dans les bois. Il l’aborda d’un air
caressant, le salua et dit : « Je viens t’annoncer une bonne nouvelle.
Tu sais que notre roi, le lion, est mon voisin ; or il est malade et sur
le point de mourir. Alors il s’est demandé
qui
des animaux régnerait après lui. Le sanglier, a-t-il dit, est dépourvu
d’intelligence, l’ours balourd, la panthère irascible, le tigre
fanfaron : c’est le cerf qui est le plus digne de régner, parce qu’il
est haut de taille, qu’il vit de longues années, et que sa corne est
redoutable aux serpents. Mais à quoi bon m’étendre davantage ? Il a été
décidé que tu serais roi. Que me donneras-tu pour te l’avoir annoncé le
premier ? Parle, je suis pressé, je crains qu’il ne me réclame ; car il
ne peut se passer de mes conseils en rien. Mais, si tu veux bien écouter
un vieillard, je te conseille de venir aussi et d’attendre sa mort près
de lui. » Ainsi parla le renard, et le cœur du cerf se gonfla de vanité
à ces discours, et il vint à l’antre sans se douter de ce qui allait
arriver. Or le lion bondit sur lui précipitamment ; mais il ne fit que
lui déchirer les oreilles avec ses griffes. Le cerf se sauva en toute
hâte dans les bois. Alors le renard claqua ses mains l’une contre
l’autre, dépité d’avoir perdu sa peine ; et le lion se mit à gémir en
poussant de grands rugissements ; car la faim le tenaillait, et le
chagrin aussi ; et il supplia le renard de faire une autre tentative et
de trouver une nouvelle ruse pour amener le cerf. Le renard répondit :
« C’est une commission pénible et difficile que celle dont tu me
charges ; pourtant je t’y servirai encore. » Alors, comme un chien de
chasse, il suivit la trace du cerf, ourdissant des fourberies, et il
demanda à des bergers s’ils n’avaient pas vu un cerf ensanglanté. Ils
lui indiquèrent son gîte dans la forêt. Il le trouva qui reprenait
haleine et se présenta impudemment. Le cerf, plein de colère et le poil
hérissé, lui répondit : « Misérable, tu ne m’y prendras plus ; si tu
t’approches tant soit peu de moi, c’en est fait de ta vie. Va renarder
avec d’autres qui ne te connaissent pas, choisis d’autres bêtes pour en
faire des rois et leur monter la tête. » Le renard répondit : « Es-tu si
couard et si lâche ? Est-ce ainsi que tu nous soupçonne », nous, tes
amis ? Le lion, en te prenant l’oreille, allait te donner ses conseils
et ses instructions sur ta grande royauté, comme quelqu’un qui va
mourir ; et toi, tu n’as pas supporté même une égratignure de la patte
d’un malade. À présent il est
encore
plus en colère que toi, et il veut créer roi le loup. Hélas ! le
méchant maître ! Mais viens, ne crains rien et sois doux comme un
mouton. Car, j’en jure par toutes les feuilles et les sources, tu n’as
aucun mal à craindre du lion. Quant à moi, je ne veux servir que toi. »
En abusant ainsi le malheureux, il le décida à venir de nouveau. Quant
il eut pénétré dans l’antre, le lion eut de quoi dîner, et il avala tous
les os, les moelles et les entrailles. Le renard était là, qui
regardait. Le cœur étant tombé, il le saisit à la dérobée, et le mangea
pour se dédommager de sa peine. Mais le lion, après avoir cherché tous
les morceaux, ne retrouvait pas le cœur. Alors le renard, se tenant à
distance, lui dit : « Véritablement ce cerf n’avait pas de cœur ; ne le
cherche plus ; car quel cœur pouvait avoir un animal qui est venu par
deux fois dans le repaire et les pattes du lion ? »
Cette fable montre que l’amour des honneurs trouble la raison et ferme les yeux sur l’imminence du danger.
Antoine Louis Barye : Art Institute of Chicago
Le Cerf de Jules renard
J’entrai au bois par un bout de l’allée, comme il arrivait par l’autre bout.
Je crus d’abord qu’une personne étrangère s’avançait avec une plante sur la tête.
Puis je distinguai le petit arbre nain, aux branches écartées et sans feuilles.
Enfin le cerf apparut net et nous nous arrêtâmes tous deux.
Je lui dis :
– Approche. Ne crains rien. Si j’ai un fusil, c’est par contenance,
pour imiter les hommes qui se prennent au sérieux. Je ne m’en sers
jamais et je laisse ses cartouches dans leur tiroir.
Le cerf
écoutait et flairait mes paroles. Dès que je me tus, il n’hésita point :
ses jambes remuèrent comme des tiges qu’un souffle d’air croise et
décroise. Il s’enfuit.
– Quel dommage ! lui criai-je. Je rêvais déjà
que nous faisions route ensemble. Moi, je t’offrais, de ma main, les
herbes que tu aimes, et toi, d’un pas de promenade, tu portais mon fusil
couché sur ta ramure.
Peut-on parler d'art quand il s'agit de fables?
Jean de la Fontaine le plus connu n'est que l'héritier des Grecs, d'Hésiode avec l'Epervier et l'Alouette, de Philostrate qui déjà introduit le rusé renard dans les fables avec L'Aigle et le Renard; Eustathe, le Renard et le Singe puis Stésichore avec le Cheval et le cerf et Esope suivi de Phèdre et Babrius, puis Avianus le Romain.
Ne le boudons pas pour autant.
Le cerf se voyant dans l'eau
Dans le cristal d'une fontaine
Un Cerf se mirant autrefois
Louait la beauté de son bois,
Et ne pouvait qu'avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux,
Dont il voyait l'objet se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête !
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte ;
Mes pieds ne me font point d'honneur.
Tout en parlant de la sorte,
Un Limier le fait partir ;
Il tâche à se garantir ;
Dans les forêts il s'emporte.
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,
Nuit à l'office que lui rendent
Ses pieds, de qui ses jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
Que le Ciel lui fait tous les ans.
Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile ;
Et le beau souvent nous détruit.
Ce Cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ;
Il estime un bois qui lui nuit.
Jean de la Fontaine
T J Feeley