mercredi 20 mai 2020

Van Gogh : Jardin public en Arles



 Mon cher Théo (septembre 1888)


      Je sais bien que je t'ai déjà écrit hier, mais la journée a été si belle. Mon grand chagrin est que tu ne puisses pas voir ce que je vois ici.
A partir de 7 heures du matin j'étais assis devant pourtant bien pas grand'chose, un buisson de cèdre ou de cyprès en boule, planté dans l'herbe. Tu le connais déjà ce buisson en boule, puisque tu as déjà une étude du jardin. D'ailleurs ci-inclus un croquis de ma toile, toujours un 30 carré.
Le buisson est vert, un peu bronzé et varié.
L'herbe est très, très verte, du Véronèse citronné, le ciel est très, très bleu.
 La rangée de buissons dans le fond sont tous des lauriers- roses, fous furieux, les sacrées plantes fleurissent d'une façon que certes elles pourraient attraper une ataxie locomotrice. Elles sont chargées de fleurs fraîches et puis de tas de fleurs fanées, leur verdure également se renouvelle par de vigoureux jets nouveaux inépuisables en apparence.
Un funèbre cyprès tout noir se dresse là-dessus et quelques figurines colorées se baladent sur un sentier rose. Cela fait pendant à une toile de 30 du même endroit, seulement d'un tout autre point de vue, où tout le jardin  est coloré de verts très différents sous un ciel jaune  citron pâle.
Mais n'est-ce pas vrai,  que ce jardin a un drôle de style, qui fait qu'on peut fort bien se représenter les poètes de la Renaissance : le Dante, Pétrarque, Boccace, se baladant dans ces buissons sur l'herbe fleurie. Il est  maintenant  vrai que j'ai retranché des arbres mais ce que j'ai gardé dans la composition se trouve réellement tel quel. Seulement on l'a surchargé de certains buissons pas dans le caractère.
D'ailleurs pour trouver ce caractère plus vrai et plus fondamental,  voilà la troisième fois que je peins le même endroit.
Or voilà pourtant le jardin qui est tout juste devant ma maison. Mais ce coin de jardin est un bon exemple de ce que je te disais, que pour trouver le caractère réel des choses d'ici, il faut les regarder et les peindre très longtemps. Car peut-être verras-tu rien que par le croquis que la ligne est simple maintenant.
 Ce tableau-ci est encore fort empâté  comme son pendant à ciel jaune. Demain j'espère travailler encore avec Millet. Aujourd'hui encore à partir de 7 heures du matin jusqu'à 6 heure du soir j'ai travaillé sans bouger que pour manger un morceau à deux pas de distance.
Voilà pourquoi le travail va vite.
Mais qu'en diras-tu, qu'est-ce qui m'en semblera à moi-même dans quelque temps d'ici?
J'ai une lucidité ou un aveuglement d'amoureux pour le travail actuellement. Puisque cet entourage de couleur est pour moi tout nouveau et m'exhalte extraordinairement.
De fatigue pas question, je ferais encore un tableu cette nuit même et je l'amènerais... 

 https://www.fondation-vincentvangogh-arles.org/documentation/vincent-van-gogh/van-gogh-et-le-paysage-urbain-de-la-ville-darles/

                                                            Jardin Public en Arles 

 Octobre 1888 Arles - Huile sur toile 73x 92 cm

           " Cette étude fait partie d'une série sur le jardin public, ce lieu cher à 

l'humeur flâneuse des impressionnistes. le vrai thème est ici le somptueux pin 

bleu que van Gogh admirait ; il devient idyllique par la présence de deux 

amoureux en bleu qui surgissent dans son ombre, la main dans la main, et 

s'attardent dans la zone de l'arbre vénérable et prolifique qui les abrite et les

 protège.

La toile est frappante par sa division diagonale ; une moitié toute richement

 colorée de végétation, l'autre occupée principalement par l'allée sablée.

 Compartimentage audacieux, instable, étrange à l'oeil, mais justifié par la 

passion de van Gogh pour les perspectives aiguës ; appliqué ici à un espace 

étroit, intime même, il est stabilisé et doucement raccordé par la projection

 normale du sol et de l'arrière plan par les lumières et les ombres du chemin et

 par l'étalement du gigantesque pin en travers de la toile entière ; celui-ci

prend appui sur l'ombre horizontale intense qui se continue, dans une tonalité 

plus grise, en travers du chemin plus clair. Les deux silhouettes sur cette ombre,

 seules verticales de la toile, contribuent à fixer la place de l'arbre à mi-distance,

 cependant que son profil dur la gauche prolonge la diagonale de l'allée - 

continuité voulue d'une ligne en profondeur avec une ligne en surface, pratiquée

 dans l'art de la Renaissance et reprise dans la peinture moderne.

L'harmonie des couleurs est particulièrement heureuse. dans la teinte bleuâtre

 de base, van Gogh a travaillé la richesse de verts et de bleus et leurs tons

 rompus de blanc, avec quelques touches dispersées de couleur chaude, 

agissant en contrastes mineurs. ce monde bleu et vert renferme lui-même une 

gamme étendue du clair au sombre, du froid au chaud, de l'intense au neutre.

 Dans les tons de sable de l'allée intervient un ordre nouveau d'oppositions : 

entre la douceur de la partie plus chaude et lointaine, en lumière, et les

 ombres du premier plan, brossées avec véhémence, dont les valeurs plus 
 
grises se relient aux tons saturés de la végétation. Par dessus tout, le tableau

 doit sa vitalité à la ferveur de la touche qui, dans l'arbre luxuriant, est une 

merveille de caractérisation graphique par le jeu de lignes colorées vivement 

tracées. dans leur diagonales et leurs convergences, elles reprennent les

 diagonales plus grandes du tableau et la poussée d'éléments angulaires peu 

marqués dans le voisinage - les lumières sur le chemin, l'angle du tournant, les

 jambes de l'homme."


 https://www.routevangogheurope.eu/fr/visite/detailevenement/1671/kroeller-mueller-museum-otterlo


 

mardi 19 mai 2020

Van Gogh : Nature morte et pipe


 J'ai vraiment procédé à l'envers, mais après tout cela n'est-il pas plus flagrant

 encore  de constater l'explosion du style de van Gogh entre sa période

 hollandaise et sa période provençale, favorisée par cette vibration de la 

lumière si caractéristique de cette province:  (je le sais, j'y ai vécu)

van Gogh a sû la capter et la sublimer. Mais quelle différence de style entre 

Patience Escalier et cette" Nature Morte : Chapeau et pipe ". On y découvre 

aussi l'amateur d'art.

       Lettre à Théo

 ....Vraiment, ces derniers temps, je ne vais pas trop mal. Il est bien vrai que je ne puis rien faire ici pour que mon travail me rapporte, mais je trouve des amis qui sont vraiment de bons amis, et qui, je crois, deviendront meilleurs encore.
La semaine dernière, j'ai peint sans inrerruption des natures mortes à Eindhoven, chez les gens qui font de la peinture.
Cette nouvelle connaissance, le tanneur de qui je t'ai parlé, fait remarquablement son possible. Mais je dois bien de mon côté, faire aussi quelque chose pour eux, pour rester en bons rapports avec eux.
Je ne puis considérer que j'aie à y perdre, car mon travail est plus agréable en ce que j'ai un peu de conversation.
Hermans a tant de beaux objets, cruches anciennes et autres antiquités, que, un jour, je te demanderai s'il pourrait te faire le plaisir que je peigne pour ta chambre une nature morte avec quelques-uns de ces objets, par exemple des objets gothiques.
(Celles que j'ai faites jusqu'à ce jour avec Hermans sont plus simples). Il vient justement  de me dire aujourd'hui, que si je voulais faire un tableau pour moi, avec des choses qui sont encore trop difficiles pour lui comme études,  je pouvais enporter les objets chez moi, en choisissant des objets authentiques.
J'en ai déjà, en outre, une petite qui est finie. Concernant ce que je t'ai demandé : pour pouvoir atteindre la fin de ce mois (en m'envoyant 20 francs de plus) j'aimerais que tu puisses le faire...



 Nature morte : Chapeau et Pipe. Eté 1885. Nuenen Huile sur toile 36 x 53 cm 

        " A la fin   de 1884, Van Gogh se portait avec une attention croissante 
 
 vers les problèmes de la couleur. Il souhaitait trouver un passage harmonieux 

des tons clairs aux tons sombres sans perdre la fraîcheur et la profondeur de la 

couleur locale des objets, qu'il avait jusque-là soumise à la densité des ombres 

et noyée dans le brun de l'ensemble.Le tableau que voici est encore dominé par

 l'ocre de la table et le fond obscur : dans les éléments plus lumineux, les tons 

chauds émergent, les verts et les bleus tendent vers la neutralité. Les objets, 

distincts dans leur couleur, sont finement reliés entre eux par des tons communs

 dans les ombres et par la simple gradation et le jeu des intensités locales : 

des touches de  vermillon pur sur la bouteille à gauche au rouge brique du pot

 et au jaune du chapeau, dont les ombres sont proches de celles de la cruche

 verte à droite et de ses tresses."

          https://www.youtube.com/watch?v=MmJjGZQ-WUg

lundi 18 mai 2020

Van Gogh : Barques sur la plage aux saintes Maries

  Mon cher Théo

              Bien merci de ta bonne lettre et du billet de 50 francs qui y était inclus. Il faudra tout de même écrire à Gauguin. Le mal est ce sacré voyage, lorsqu'on l'engage à le faire et si après cela ne lui va pas, on serait mal pris. Je pense lui écrire aujourd'hui et t'enverrai la lettre.
Maintenant que j'ai vu la mer ici, je ressens tout à fait l'importance qu'il y a de rester dans le Midi, et de sentir qu'il faut encore outrer la couleur davantage - l'Afrique pas loin de soi.
Je t'envoie par même courrier les dessins des Saintes Maries. Au moment de partir le matin, fort de bonne heure, j'ai fait le dessin des bateaux, et j'en ai le tableau en train, toile de 30 avec davantage de mer et de ciel à droite.
C'était avant que les bateaux ne fichaient le camp, je l'avais observé tous les autres matins, mais comme ils partent  très de bonne heure, n'avais pas eu le temps de la faire.
J'ai encore trois dessins de cabanes, dont j'ai encore besoin et qui suivront ceux-ci  ; les cabanes sont un peu durs mais j'en ai de plus soignés.
 Je te ferai un envoi de peintures roulées, aussitôt les marines sèches. Vois-tu ce toupet de ces idiots à Dordrecht? vois-tu cette suffisance? ils veulent bien condescendre à Degas et Pissarro, dont d'ailleurs ils n'ont jamais rien vu, pas plus que des autres. Seulement c'est très bon signe que les jeunes soient furieux, cela prouve peut-être qu'il y a des vieux, qui en ont dit du bien.
Pour ce qui est de rester dans le Midi, même si c'est plus cher, voyons : on aime la peinture japonaise, on en a subi l'influence, tous les impressionnistes ont ça en commun, et on n'irait pas au Japon, c'est-à-dire ce qui est l'équivalent du Japon, le Midi ? Je crois donc qu'encore après tout l'avenir de l'art nouveau est dans le Midi.
Seulement c'est mauvaise politique d'y rester seul, lorsque deux ou trois personnes pourraient s'aider à vivre de peu.
Je voudrais que tu passes quelque temps ici, tu sentirais la chose au bout de quelque temps, la vue change, on voit avec un oeil plus japonais, on sent autrement la couleur. Aussi ai-je la conviction que justement par un long séjour ici, je dégagerai ma personnalité. Le Japonais dessine vite, très vite, comme un éclair, c'est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment plus simple.
Je ne sui ici que quelques mois, mais dites-moi est-ce qu'à Paris j'aurais dessiné en une heure le dessin des bateaux ? Même avec le cadre, or ceci s'est fait sans mesurer en laissant aller la plume.
Je me dis donc que peu à peu les frais seront balancés par le travail. Je voudrais qu'on gagne beaucoup d'argent pour faire venir ici de bons artistes, qui se morfondent dans la boue du Petit Boulevard trop souvent.
Heureusement que c'est excessivement facile de vendre des tableaux comme il faut dans un endroit comme il faut à un monsieur comme il faut. Depuis que le distingué Albert nous a donné la recette, toutes les difficultés ont disparu par enchantement.
 Il n'y a qu'à aller dans la rue de la Paix, là se balade expressément pour cela l'amateur bien. Si Gauguin venait ici, lui et moi pourrions peut-être accompagner Bernard en Afrique lorsque celui-là ira faire son service...


       Barques sur la plage aux Sainte-Maries. Juin 1888. Arles - Toile 64 x 81 cm

         " Van Gogh a décrit ave enthousiasme sa visite au rivage méditerranéen

 près d'Arles, au village de pêche des Saintes-Maries, où il peignit et  dessina 

pendant plusieurs jours. C'était un monde nouveau pour lui,  et il répondait

avec son ardeur et son empressement coutumiers.

Dans la toie les barques de pêche, il concilie dans une même oeuvre deux

 sortes  différentes de vision : la nature perçue lumineuse et aérienne, 

dans des tons innombrablres de couleur exaltée, toujours changeante et

 vibrante à travers un contraste universel ; d'autre part, les objets de l'homme,

 les barques, dessinées avec précision et peintes sans atmosphère, en tons 

plats de couleurs franches. La douceur nacrée du paysage marin devient un 

support pour des couleurs dures, fermement compartimentées des bateaux. 

Placés sur la plage à côté l'un de l'autre, en partie superposés avec leurs mâts

 qui s'entrecroisent, ces bateaux forment un réseau complexxe de taches et de 

lignes colorées qui participe aux mouvements des tons instables et aériens de

la nature, aux dessins irréguliers du rivage et des vagues et aux vastes courants

 des nuages informes. Ce réseau des barques est une structure de la vision de 

van Gogh; on le rencontre dès la période hollandaise dans les dessins d'arbres, 

et, comme dans les oeuvres des débuts, les ramifications des barques sont 

traitées avec une dévotion inlassable au détail de chaque forme.

La couleur s'étend des simples teintes primaires des bateaux à des tons 

iridescents dans le ciel, avec  des bleus, des verts et des lavandes délicats et 

d'indéfinissables tons de sable, des mélanges de jaune, de beige et de brun 

froids et neutralisés - impressionnistes dans les différenciations et les 

rapprochements subtils des froids et des chauds. De la même façon on discerne

 dans l'application de la matière picturale un registre correspondant qui va de

 touches fines, tachetées et transparentes à des touches épaisses et mates."

 

dimanche 17 mai 2020

Van Gogh : Vieux paysan, Patience Escalier

 Van Gogh, nous donne ici les clés de sa création et c'est une grande chance d'en avoir la teneur.


 Mon cher Théo  août 1889

Sous peu tu vas faire connaissance avec le sieur Patience Esacalier, espèce d'homme à la houe, vieux bouvier camarguais, actuellement jardinier dans un mas de la Crau. Aujourd'hui même je t'envoie le dessin que j'ai fait d'après cette peinture, ainsi que le dessin du facteur Roulin.
La couleur de ce portrait de paysan est moins noire que les mangeurs de pommes de terre de Nuenen - mais le très Parisien Portier, probablement ainsi nommé parce que il fout les tableaux à la porte, s'y retrouvera le nez devant la même question. Maintenant toi depuis as changé, mais tu verras que lui n'as pas changé, et vraiment c'est dommage qu'il n'y ait pas davantage de tableaux en sabots à Paris. Je ne crois pas que mon paysan fera du tort par exemple au Lautrec que tu as, et même j'ose croire que le Lautrec deviendra par contraste simultané encore plus distingué, et le mien gagnera par le rapprochement étrange, parce que la qualité ensoleillée et brûlée, hâlée du grand soleil et du grand air se manifestera davantage à côté de la poudre de riz et de la toilette chic.
Quelle faute que les Parisiens n'ont pas pris assez goût aux choses rudes, aux Monticelli, à la barbotine. Enfin je sais que l'on ne doit pas se décourager parce que l'utopie ne se réalise pas.
Il y a seulement que je trouve que ce que j'ai appris à Paris s'en va, et que je reviens à mes idées qui m'étaient venues à la campagne, avant de connaître les impressionnistes.
Et je serais peu étonné, si sous peu les impressionnistes  trouvaient à redire sur ma façon de faire qui a été plutôt fécondée par les idées de Delacroix, que par les leurs.
Car au lieu de chercher à rendre exactement ce que j'ai devant les yeux, je me sers de la couleur plus arbitrairement pour m'exprimer fortement.
Enfin laissons cela tranquille en tant que théorie, mais je vais te donner un exemple de ce que je veux dire.
Je voudrais faire le portrait d'un ami artiste, qui rêve de grands rêves, qui travaille comme le rossignol chante, parce que c'est ainsi sa nature. Cet homme sera blond. Je voudrais mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j'ai pour lui.
Je le peindrai donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai, pour commencer. Mais le tableau n'est pas fini ainsi.
Pour le finir je vais maintenant être coloriste arbitraire.
J'exagère le blond de la chevelure, j'arrive aux tons orangés, aux chromes, au citron pâle.
Derrière la tête, au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l'infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison, la tête blonde, éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l'étoile dans l'azur profond.
Pareillement dans le portraot de paysan j'ai procédé de cette façon. Toutefois sans vouloir dans ce cas évoquer l'éclat mystérieux d'une pâle étoile dans l'infini. Mais en supposant l'homme terrible que j'avais à faire en pleine fournaise de la moisson, en plein midi. De là des orangés fulgurants comme du fer rougi, de là des tons de vieil or lumineux dans les ténèbres.
Ah, mon cher frère... et les bonnes personnes ne verront dans cette exagération que de la caricature. Mais qu'est ce que cela nous fait, nous avons lu "La Terre" et" Germinal", et si nous peignons un paysan, nous aimerions montrer que cette lecture a un peu fini par faire corps avec nous.
Je ne sais si je pourrai peindre le facteur comme je le sens, cet homme est comme le père Tanguy en tant que révolutionnaire, probablement il est considéré comme bon républicain parce qu' il déteste cordialement la république de laquelle nous jouissons, et parce qu'en somme il doute un peu et est un peu désenchanté de l'idée républicaine elle-même.
 Mais je l'ai vu un jour chanter la Marseillaise, et j'ai pensé foir 89, non pas l'année prochaine mais celle d'il y a quatre-vingt-dix-neuf ans. C'était du Delacroix, du Daumier, du vieux hollandais tout pur. Malheureusement cele ne se pose pas, et pourtant il faudrait pour pouvoir faire le tableau, un modèle intelligent.


                            Vieux Paysan. Arles Août 1888
                                                                                        

                "Arrivant de Paris en Provence, van Gogh redécouvrit les paysans qui

 avaient été son motif principal durant ses premières années de peinture en

 Hollande. Ce paysan méditerranéen est pétri de soleil aussi bien que de terre ; 

sa substance rayonne, sans perdre son brun terrestre ; son sarrau bleu et le 

fond orangé brûlé sont le ciel et la terre renversés de Provence. On est 

pourtant envoûté par cette image profonde de l'homme, qui nous parle d'abord 

par ses yeux et ensuite par tout son visage et exprime aussi sa force par ses

 mains magistralement dessinées, et finalement par sa pose, son costume, le

 compartimentage même de l'espace qu'il domine. D'une force âpre, d'une 

grande simplicité et d'une grande franchise dans sa large représentation , le 

portrait est centré sur un visage d'une profondeur et d'une complication

 insondables. Chaque trait est un univers avec ses formes, ses couleurs, son 

mouvement et son caractère propres, tous ces traits trouvant leur unité dans la

 gravité de ce vieux paysan fixé dans une attention soutenue. Le simple pouvoir

de représentation est stupéfiant ; la luminosité des yeux cernés de rouge, le 

hérissement coloré de la barbe, tout a été pénétré par la robustesse et la vitalité

 d'une technique variée qui semble suivre des tracés préexistants et suggère un 

rythme organique de la tête. Un grand goût -disons plutôt une gande

 intelligence - apparaît dans la gradation et le contraste des différentes parties, 

 tout en respectant la plénitude du détail ; la région suprême du visage, qui 

contient toutes les couleurs du tableau, comme la source de la palette, sous le

 rebord brun de couleur uniforme qui l'ombrage, le chapeau jaune au-dessus, 

simple quoique plus brisé ; la blouse bleue complémentaire du fond, mais plus

 divisée et reliée par ses nombreux plis aux rayures de la barbe ; les trois 

taches rouges de la cravate et des manches dans un dessin fort et concentré qui

 enserre les mains et supporte la tête. C'est là peut-être le dernier portrait

 réaliste de paysan dans la tradition de la peinture occidentale. C'est peut-être

 aussi le seul grand portrait de paysan."


          Ah mon Dieu oui !! c'est un chef d'oeuvre! Logiquement je voulais suivre

 avec le portrait du facteur et de Tanguy mais ils n'ont, à mon sens, pas la 

profondeur,  la vérité de celui-là. Ils ne vont pas soutenir la comparaison, je vais

 choisir une transition.


samedi 16 mai 2020

Van Gogh ; le Semeur


 Mon cher Théo : fin octobre 1888 (Arles)

Merci de ta bonne lettre et du billet de 100 F qu'elle contenait. Suis
très content de ce que le succès de Gauguin en tant que quant à la vente continue. Si d'ici un an il pouvait réaliser assez pour exécuter son plan, d'aller se fixer à la Martinique je croirais sa fortune faite. Seulement selon moi il ne saurait risquer d'y retourner avant qu'il ait 5.000 de côté, selon lui il lui faudrait 2.000. Mais dans mon idée alors il ne partirait pas seul mais avec un autre ou des autres et là-bas fonderait un atelier durable.
Enfin d'ici là, il coulera encore de l'eau sous le pont.
 Ce que tu écris des Hollandais  m'intéresse beaucoup. J'espère un jour les connaître tous les deux personnellement. Quel âge ont-ils ? J'ose croire qu'ils s'en trouveront  bien d'être venus ici en France au bout du compte.
Le mal qu'ils ont pour la couleur : bigre - cela ne m'étonne pas. "L'étude sérieuse" de Rembrandt dont font preuve les deux dessins de De Haan que j'ai sous les yeux qu'il ne la lâche pas!. Est-ce-qu'ils ont lu le livre de Sylvestre sur Eug. Delacroix ainsi que l'article sur "La Couleur" dans "la Grammaire des Arts du Dessin" de Ch. Blan?
Demande-leur donc cela de ma part et s'ils n'ont pas lu cela qu'ils le lisent. Je pense moi à Rembrandt plus qu'il ne peut paraître dans mes études.
Voici croquis de ma dernière toile en train, encore un Semeur. Immense disque citron comme soleil. Ciel vert jaune  à nuages roses. Le terrain violet ; le semeur et l'arbre bleu de Prusse, toile de 30. Attendons tranquillement pour exposer jusqu'à ce que j'aie une trentaine de toiles de 30.
 Alors nous les exposerons une fois dans ton appartement pour les amis et encore en n'insistant pas.
Et ne ferons rien d'autre .
Il y a bien des raisons pour ne pas bouger maintenant. D'ailleurs cela ne sera pas long, je crois qu'à l'époque de l'exposition ou un peu après je pourrai t'envoyer cela. En attendant cela séchera à fond ici et je pourrai encore reprendre toutes les toiles une fois bien sèches à fond jusque dans les empâtements. 
Si à quarante ans je fais un tableau de figures ou des portraits tels que je le sens, je crois que cela vaudra mieux qu'un succès plus ou moins sérieux maintenant.


 Ces dernières lignes sont troublantes vous n'avez pas dû manquer les propos laissant plâner un doute sur son suicide.  Les investigations policières n'ont--elles pas été suffisantes ? n'avait-il pas lui-même une arme ? a-t-elle été retrouvée? Il se voit peindre à quarante ans et se suicide à 37 ans?


              Le Semeur : Octobre 1888, Arles - Huile sur toile 33 x 41 cm

   " Dans cette toile, van Gogh a voulu appliquer les leçons reçues de l'art

 japonais : composition de fortes diagonales, objets coupés par le cadre,

 surfaces plates de coloris francs, formes capricieuses déterminées par les 

irrégularités de la nature. Il conserve cependant la pleine évidence de la touche

 et l'impulsivité de la main, étrangères aux estampes japonaises qu'il aimait, le 

nuancement en ombre et lumière des couleurs atmosphériques qui est 

strictement occidental. Pas d'intenses teintes pures, mais des tons rares, 

comme le ciel vert pomme, qui tire l'observateur de son monde familier et 

 l'éveille à l'étonnement et à la rêverie et aux courants intimes de la sensibilité.

 Dans la conception de l'homme et de l'arbre, van Gogh introduit une affinité 

mystérieuse de couleur, de silhouette et de direction, comme une rime 

inattendue  qui unit des mots par ailleurs sans autre rapport et donne à chacun 

d'eux une plus vaste résonnance.

 A l'ambiance de l'oeuvre contribuent de façon décisive la vision du monde 

lointain, plein de couleurs par- delà  des tons sombres neutralisés des objets au

 premier plan, et la position du gigantesque soleil entre eux.

 Quant au réseau des lignes, notons la grande maîtrise intuitive de van Gogh 

dans l'harmonie des directions et sa liberté dans le déplacement des éléments 

donnés par la nature".




Le Semeur (d'après Millet) 1881 Plume         Le Semeur (d'après Millet )1889 

rehaussée de vert et de blanc                            Toile 64x 56 cm

48 x 36 cm
                          
                                https://www.youtube.com/watch?v=Fba-0iKsESw   

 https://www.youtube.com/watch?v=VM-mzl8a0js
         

vendredi 15 mai 2020

Van Gogh : Les mangeurs de pommes de terre

 C'est parce que nous avons évoqué cette toile que je vous la propose ce matin

  et au regard de ce que nous avons vu précédemment, le changement est

brutal, elle est peinte entre septembre et octobre 1886 à Nuenen, très

"hollandaise" par conséquent !!



 Cher Théo

J'ai reçu ta lettre à midi. J'ai voulu y répondre sur le champ.

 Je suis désireux de me faire une idée du Salon, aussi et surtout d'après

  le tableau de Roll.

Je ne suis pas étonné que Durand-Ruel, par exemple, n'ait pas encore 

 pris connaissance des dessins.

 Et même je préfère que Portier n'exagère pas, à dire qu'il les trouve 

beaux. Du moins, je sens que je puis faire mieux, car justement je suis 

en train de changer, et même au point de trouver indécis ce que je 

faisais avant.

Je pense que tu verras ce que je veux dire par le tableau des mangeurs 

de pommes de terre et que Portier le comprendra. Toutefois il est très 

sombre et, pour le blanc par exemple, il n'y est pour ainsi dire pas 

employé de blanc une seule fois, mais simplement la couleur neutre qui 

se forme quand on mélange du rouge, du bleu, du jaune, par exemple 

du vermillon, du bleu de Paris et du jaune de Naples. Le motif ici est un 

intérieur gris éclairé par une petite lampe.

 Cette couleur est donc en soi un gris franc, mais elle fait blanc dans le 

tableau. Je vais te dire pourquoi je fais cela.

Le tapis de table en toile grise, le mur enfumé, les bonnets poussiéreux 
 
que les femmes portaient pour aller travailler aux champs, tout cela, 

quand on le voit en clignant les yeux, semble être à la clarté de la 

lampe, d'un gris très foncé, et la lampe, bien que donnant une lueur 

d'un jaune roux, paraît encore plus claire, et même plus sensiblement 

plus claire que le blanc en question.

Et puis, il y a la couleur des chairs. Je sais bien que ces couleurs là, 

quand on les considère superficiellement, c'est-à-dire si l'on n'y 

réfléchit pas un peu,ressemblent à ce que l'on appelle la couleur chair. 

Or, quand j'ai commencé le tableau, je les ai faites d'abord avec un peu 

d'ocre jaune, d'ocre rouge et de blanc  par exemple.

Mais cela faisait beaucoup trop clair et n'allait décidément pas.

Que faire? j'avais déjà peint les têtes, même elles étaient assez bien 

achevées, avec beaucoup de soin ; et bien je les ai repeintes, sans 

hésiter, sans pitié, et la couleur avec laquelle elles sont faites est à peu 

près celle d'une pomme de terre bien poussiéreuse, naturellement non 

épluchée.

 En peignant cela, je pensais  encore à ce qu'on a dit, si justement, des 

paysans de Millet "Ses paysans semblent peints avec la terre qu'ils 

ensemencent".

Propos auquel je me suis efforcé de penser malgré moi, chaque fois que

je les voyais travailler, dehors comme dedans.

 Je tiens également pour certain que si on demandait à Millet, à

 Daubigny, à Corot de peindre un paysage de neige sans employer de 

blanc, ils le feraient, et que la neige paraitraît blanche dans leur 

tableau...


                               Etude de mains : 1885.  Fusain 21 x 34 cm



   " Etabli comme une somme de l'oeuvre et des recherches antérieures de van

 Gogh, ce tableau exprime ausssi très fortement et très pleinement ses 

conceptions sociales et morales. C'était un peintre de paysans, non par goût du

 pittoresque - bien qu'il fût sensible à la totalité de leur aspect - mais par affinité

 et solidarité profondes avec des pauvres gens dont la vie, comme la sienne 

propre, était chargée de soucis. Vincent trouvait dans le repas collectif la

 circonstance où leur humanité et leur beauté morale se révèlent d'une façon 

 saisissante ; ils apparaissent alors dans une communauté étroite, fondée sur le 

travail et le partage des fruits de ce travail. La table est leur autel, et la

 nourriture, un sacrement pour chacun de ceux qui ont participé au labeur.

Sous l'unique lumière, à cette table commune, l'isolement de l'individu est

 surmonté et aussi la dureté de la nature - pourtant chacune de ces figures

garde une pensée propre, et deux d'entre elles semblent au bord d'une muette 

solitude. Les couleurs de l'intérieur sombre, bleu, vert et brun nous ramènent à 

la nature extérieure. Il y a une puretré touchante et une beauté rustique dans

 les visages et les mains de ces paysans - par la couleur et le modelé ils 

ressemblent aux pommes de terre qui les nourrissent. C'est la pureté d'âmes 

familières chez qui le souci des autres et le dur combat avec la terre et les 

intempéries laissent peu de place pour l'égoisme.

 La composition prend une force rude qui résulte en partie d'une mise en place 

naïve. Et dans la gaucherie de van Gogh, qui rend aussi, comme il l'entendait, la

 gaucherie de ses modèles, il y a une source de mouvement. Le groupement des

 personnages sur les côtés de la table est curieux ; le mur entre les deux

figures de droite crée un compartimentage étrange de l'espace intime.

 De l'atmosphère assombrie se détachent de remarquables morceaux de 

peinture, découlant des études tenaces ; les tasses de café, avec leurs ombres 

grises ; les pommes de terre sur l'écuelle : et les têtes magistrales qui, dans 

leur isolement l'une de l'autre révèlent les portraits préparatoires d'où elles

sont copiées. les yeux des deux paysans de gauche brillent d'une lumière

 intérieure, et les ombres sur leurs traits expriment plus le modelè de leur

 caractère qu'un phénomène de pénombre.

   " J'aime mieux peindre les yeux des hommes que les cathédrales"

 écrivait peu après Vincent."


                   Homme bêchant ; 1882 Crayon etr encre 47 x 29 cm



                                               Faucheur : 1885 Fusain 43 x 55 cm

    plus personne ne va dans les champs en sabots...Les souliers étaient du luxe
réservés aux Dimanches où l'on se faisait beau pour aller à la messe ;  les femmes enlevaient leurs chaussures et allaient pieds nus aux fêtes du village pour  les économiser et même au début du XX ème siècle les gamins allaient en galoches de bois souvent cloutées pour éviter l'usure.
Quel chemin parcouru, seuls les soucis n'ont pas disparu !!




jeudi 14 mai 2020

Van Gogh : les cafés

 Alors qu'il n'est toujours pas possible de retrouver l'atmosphère chaleureuse 

de ces lieux publics, voyons  les cafés vus par Van Gogh.

( Quelques perturbations d'ordre technique m'ont éloignée de vous des derniers jours)

(il se pourrait d'ailleurs que je sois obligée d'interrompre cet article  mais j'y reviendrai dans tous les cas)


 Lettre à Wihelmine.

... je viens de terminer une toile qui représente un intérieur de café  la nuit éclairé par des lampes. Quelques pauvres rôdeurs de nuit dorment dans un coin. la salle est peinte en rouge et là-dedans sous le billard vert qui projette une immense ombre sur le plancher.



dans cette toile il y a 6 ou 7 rouges différents depuis le rouge sang jusqu'au rose tendre faisant opposition à autant de verts pâles et foncés..... j'ai été interrompu justement par le travail que m'a donné de ces jours-ci un nouveau tableau représentant l'extérieur d'un café le soir. Sur la terrasse il y a de petites figurines de buveurs.



  Une immense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture, le trottoir, et projette même une lumière sur les pavés de la rue qui prend une teinte de violet rose. Les pignons des maisons d'une rue qui file sous le ciel bleu constellé d'étoiles, sont bleu foncé ou violets avec un arbre vert.. Voilà un tableau de nuit sans noir, rien qu'avec du bleu et du violet et du vert et dans cet entourage la place illuminée se colore de soufre pâle,  de citron vert. Cela m'amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau le jour d'après le dessin. Mais moi je m'en trouve bien de peindre la chose immédiatement.
Il est bien vrai que dans l'obscutité je peux prendre un bleu pour un vert,  un lilas bleu pour un lilas rose, puisqu'on ne distingue pas bien la qualité du ton. Mais c'est le seul moyen de sortir de la nuit noire notre conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie déjà nous donne les jaunes, les orangés les plus riches. J'ai aussi fait un nouveau portrait de moi-même comme étude où j'ai l'air d'un japonais.


  Terrasse de café la nuit Septembre 188,Arles Huile sur toile 81 X 65 cm

"Peint en même temps que  le "Café de nuit"  cet extérieur coloré est une

 oeuvre moins dramatique, plus pirroresque, la vision d'un spectateur détendu 

qui savoure sasns aucun propos moral le charme de ce qui l'entoure. Il rappelle

 l'état d'esprit de van Gogh quand il écrivait que "la nuit est plus vivante et plus

 richement décorée que le jour".Alors que le "café de nuit" est irrésistiblement 

centré, avec la fuite rapide et prolongée des lignes et l'opposition dominante des

verts et des rouges , cette scène d'extérieur est vue avec plus de détachement. 

La couleur est plus largement prodiguée  et le regard erre le long des arêtes en 

gradins ou en queue de pigeon des surfaces voisines - forme irrégulières 

ajustées les unes aux autres comme un puzzle en dent de scie. Il est 

difficile pour l'oeil de maintenir dans cet espace une séparation durable entre

les objets et le fond. Le proche et le lointain sont pareillements distincts.

Le jaune du café joue sur le bleu noir de l'extrémité de la rue et le violet bleu de

 la porte à l'avant-plan; et, par un paradoxe de composition qui concourt à 

l'unité de l'oeuvre, au plus haut de contraste, l'angle obtus de l'auvent, tout

 conter nous, touche la partie la plus distante du ciel bleu. Des lignes

 raccourcies qui plongent dans la profondeur, comme un linteau de porte, sont 

strictement parallèles (sur le plan de la toile) à des lignes comme la pente de 

l 'auvent jaune et le toit de la maison au-dessus qui sont en réalité dans des 

plans perpendiculaires au premier. Dans cette vision vagabonde et sans 

contrainte la dimension verticale n'est pas moins importante et expressive que

 la profondeur.

La silhouette du ciel étoilé est la clef de toute la composition ; l'idée poétique de

 l'oeuvre -  la double illumination et le contraste du café et du ciel nocturne - se

 développe sous cette forme dentelée. la découpe du plancher orange, avec les 

portes et les fenêtres du café, est homologue du ciel bleu renversé ; les disques 

parsemés des étoiles font pendant aux plateaux elliptiques des tables 

au-dessous.  Si le café se détache comme l'objet le plus brillant et le plus 

complet de la scène, il est moins défini que le ciel étoilé ; sa couleur est la plus

 changeante, passant du jaune à l'orange et au vert, et elle tranche vivement 

sur presque toutes les autres couleurs dans le cecle de tons plus froids et plus

 sombres où elle s'inscrit. A cause de ces rapports, qui déterminent un riche 

effet spectaculaire, cette oeuvre est mons profondément absorbante, moins 

concentrée que les meilleures de van Gogh"


Ah bon !! c'est l'avis de Schapiro, mais pas le mien, je me sens très bien sur 

cette terrasse !!! 

 j'ai peut-être le temps de voir ce qu'il nous dit du "Café de nuit" , je le remets 

sous vos yeux.

  septembre 1888 ;  Arles. 70 x 89 cm


       " Van Gogh jugeait le "Café de nuit" qu'il avait peint pour son propriétaire 

en paiement du loyer "une des peintures les plus laides que j'aie faites" .

L'exécuter lui procura toutefois beaucoup de joie, et il est peu d'oeuvres sur 

lesquelles il ait écrit avec autant de conviction. Ce n'est plus l'atmosphère 

agréable du café qu'avaient illustrée les impressionnistes, c'en est le côté 

trouble et plus sombre.  La rudesse du graphisme, la concentration sur les

 objets, l'intention morale répandue évoquent l'époque hollandaise.

 Aussi parle-t-il de ce tableau comme "équivalent, quoique différent, aux 

"Mangeurs de pommes de terre" que rappelle la lumière de la lampe ; c'est

 mise en parallèle, une puissante image d'une condition humaine opposée - 

celle des viveurs et des sans-logis. Mais reportons-nous à la force de sa propre

 description.

"J'aicherché à exxprimer avec le rouge et le vert les terribles passions

 humaines.

 "la salle est rouge sang et jaune sourd , un billard vert au milieu, quatre 

lampes jaune citron à rayonnement orange et vert. C'est surtout un combat et 

une antithèse des verts et des rouges les plus différents, dans les personnages 

de voyous dormeurs petits, dans la salle vide et triste, du violet et du bleu. Le

 rouge sang et le vert jaune du billard par exemple contrastent avec le petit

vert tendre Louis XV du comptoir, où il y a un bouquel de roses.

"les vêtements blancs du patron, veillant dans un coin dans cette fournaise, 

deviennent jaune citron, vert pâle et lumineux ..."

Quelque jours après il écrit.." J'ai cherché à exprimer que le café est un endroit 

où l'on peut se ruiner, devenir fou, commettre des crimes. Enfin j'ai cherché à 

exprimer... comme la puissance des ténèbres d'un assomoir.... toute cela dans 

une atmosphère de fournaise infernale, de soufre pâle . Et toutefois sous une

 apparence de gaieté japonaise et la bonhomie de Tartarin".

Dans son récit, Van Gogh ne dit rien de l'un des effets les plus puissants : la 

perspective  absorbante qui nous attire tête première par delà les chaises et les 

tables vides vers des profondeurs mystérieuses, derrière une porte lointaine 

dont l'ouverture est semblable à la silhouette debout. A l'impulsive ruée de ces 

lignes convergentes s'oppose la large bande horizontale de rouge, pleine 

d'objets disséminés ; les lampes avec leurs grands halos de touches 

concentriques, la pendule verte qui marque minuit et le bouquet de fleurs, peint

 avec une incroyable furie de taches épaisses contre le mur lisse, au-dessus du 

tas de bouteilles".


 Cette toile est à New Haven  :

             https://www.youtube.com/watch?v=bT8zbcZekLQ