vendredi 1 mai 2020

Van Gogh impressionniste

               Verger au printemps : Avril 1888. Arles, Huile sur toile 65 x81 cm



   "Dans cette oeuvre, l'une des plus impressionnistes de toutes celles de van

 Gogh, l'Impressionisme est une recherche pour capter moins la qualité du jour

et de l'atmosphère que celle des choses ; les plus aériennes, il est vrai, les plus

légères et les plus proches de la lumière solaire - les arbres en fleurs. Le

verger est clairsemé, ses fleurs, immatérielles et par conséquent fondues dans

le ciel, lui-même semblable aux fleurs par son fin et délicat mouchetage de

blanc et de bleu. Un mouchetage identique nuance le sol, mariage rare et doux

de tons chauds de bleu et de lilas avec des jaunes clairs, comparables au

 mélange des fleurs et du ciel plus froid. La terre et le ciel semblent faits de la

 même matière transparente - minuscules particules de vibrante couleur pure.

 La touche impressionniste méthodique et la division du ton ne sont pas ici une

formule stricte. Les arbres du lointain, d'un bleu d'encre, sont aussi fragiles et

impondérables que des fleurs, quoique très précis ; la clôture, une délicate

 pellicule spectrale ; les ombres projetées par les arbres, un joyeux bariolage

de bleus gais, clairs et sombres. Chaque objet, chaque division du sol a sa

qualité propre de teinte et de touche, tandis que tout concourt dans un

ensemble diaphane et brillant à exhaler une douceur et un charme qui

n'appartiennent plus à ce monde ".


On y est presque !!!pas possible de rajouter autre chose après tant de poésie.

                 https://www.youtube.com/watch?v=tmvnvRBQWmc

jeudi 30 avril 2020

autoportraits : suite et Verger

 Plongée plus avant dans l'étude de Schapiro ;

  " En Arles où l'objet a triomphé, il lui a donné cette merveilleuse intensité née

 de la profondeur de son désir de sécurité et d'amour. A Saint-Rémy, plus

 troublé et conscient de sa faiblesse, son contact avec l'objet était grevé 

d'anxiété et de désespoir. C'était comme si dans sa condition souffrante,

 extrême, il trouvait plus sain de libérer ses sentiments dans les formes 

controlées de la peinture que de les réprimeer, car ils se feraient jour alors en

 hallucinations et en phantasmes bien plus troublants et incontrolables. A 

Auvers il continue de se débattre dans cette alternative et les deux pôles de son

 art apparaissent quelque fois dans la même oeuvre, en une juxtaposition

 surprenante de formes fermement réalistes et d'arabesques agitées comme 

dans le" Portrait du docteur Gachet" et dans son portrait. (ci-dessous)

Tout au long de son oeuvre, le dessin en réseau a été associé avec un goût 

original pour les fortes diagonales en perspective, directions ou buts en 

opposition ; elles donnent une tension élevée à la relation spectateur-

profondeur. Dans plusieurs oeuvres de la période d'Arles, deux routes 

divergentes forment un V aigu dont les diagonales, en s'éloignant de l'avant-

plan, se joignent à un réseau d'autres lignes. L'effet est presque vertigineux 

dans sa complexité de directions concurrentes, entrelacs qui fascine et bloque

 le regard . Dans son emploi de la pespective van Gogh obéissait à une 

conception personnelle, bien que d'autres artistes, Munch en particulier, fussent 

parvenus à un résultat similaire".


   
            Septembre 1889 Saint-Rémy Huile sur toile 65 X 54 cm

    "Cet autoportrait le dernier en date et l'un des plus grands, a été exécuté peu

 de mois avant la mort de van Gogh. L'ornementation forcée, sans répit, qui 

couvre tout le fond, rappelant le travail des malades mentaux, est pour 

quelques médecins une preuve que ce tableau a été peint dans un état 

pathologique. Mais l'image que le peintre donne de lui-même révéle un controle

 et une puissance d'observation supérieurs, un esprit parfaitement capable

 d'intégrer les éléments de l'activité qu'il s'est choisie. Le fond évoque les 

rythmes de la "Nuit étoilée" à laquelle le portrait ressemble aussi par sa 

dominante bleuâtre.

Les formes flottantes et palpitantes de ce fond, diagramme d'une excitation 

continue, ne sont pas seulement des ornements, bien qu'en liaison avec les

 formes ondulantes de l'art décoratif 1900 ; nullement limitées à une cadence

 ou à une structure fixes, elles sont un moyen d'intensité, plutôt un 

débordement des sentiments de l'artiste sur ce qui l'environne. A côté du

modelé puissant de la tête et du buste, si compact et si grave, le dessin du mur

 apparaît comme un décor pâle et léger. Cependant les mêmes rythmes 

reviennent dans la silhouette et aussi dans la tête, peintes en lignes

 pareillement ramassées, volutées, ondoyantes. Si nous déplaçons notre 

attention de l'homme vers ce qui l'entoure, et inversement, les analogies se

 multiplient ; les points centraux, les noeuds qui enjolivent le fond commencent

 à s'apparenter davantage aux yeux, aux oreilles et aux boutons du personnage.

 Dans tout ce tumulte et cette accumulation tourbillonnante on sent 

l'extraordinaire fermeté de la main du peintre. les contrastes aigus de la barbe 

roussâtre avec les verts et les bleux voisins, la pénétration du dessin, la vie des 

traits tendus, le jeu parfaitement ordonné des ruptures, des variations et des 

continuités, la répartition extrêmement sûre des surfaces, tout cela révèle un 

esprit hors de pair, quels que soient le trouble et l'appréhension de l'artiste".


  Pour le premier mai, que mon brin de muguet vous apporte mes souhaits de 

bonheur, souvenons-nous que c'est encore le printemps bien que beaucoup ne 

le voient plus que de leur fenêtre.



Une photo aussi de mon pommier dans lequel je me suis plongée comme dans 
 
un verger, le verger que van Gogh va nous proposer :




        " Premier contact de bienvenue dans le Midi, où il était descendu pour

 chercher une nature apaisante et revitalisante, le verger en fleurs était pour 

van Gogh une vision enivrante ; c'est cette extase qui, imprégnant l'oeuvre, la 

distingue de la joie habituelle de l'Impressionisme devant la lumière et la 

couleur. Les arbres élèvent au ciel une masse volumineuse de blanc et de rose 

immatériels - plus qu'une masse, une émanation flottante - parsemée et 

suspendue dans un ciel aux tons également variés. Elle joue contre le semis de 

feuillage irréel et les fines ramures, qui prennent parfois un aspect visionnaire 

rappelant à la fois la peinture d'Extrême-Orient et la beauté et la tendresse 

discrète des lointains dans les paysages primitifs d'Occident.




              " Le Verger "  Mars 1888. Arles. Toile , 65x80 cm

" Toute cette partie supérieure du tableau - tissée de fleurs, de ciel, du réseau

 des branches et des pousses - concourt à une sollicitation et à une exaltation

 toutes puissantes des sens auxquelles doit s'abandonner le spectateur. Sans

 ordre apparent, une explosion de suavité rayonne et éclate, emplissant 

l'espace, comme les longs nuages horizontaux, dans des directions verticales et

 obliques vaguement suggérées. En contraste avec le flou enchanteur de la

zone supérieure, la moitié inférieure du tableau est plus solide et plus stable,

 avec de larges surfaces de couleur verte et rougeâtre et la vigueur des troncs 

d'arbres irréguliers, dont les verticales bleues rythmiques répètent par leur 

couleur et contrarient par leur direction les bandes bleues du ciel. Mais ici aussi 

palpite la sensation qui naît des franges de couleurs, les rouges et les jaunes - 

panachage qui, délibérément vertical, contraste avec le haut du tableau tout en

 gardant de celui-ci liberté et réverie par l'aspect indécis et sans accent de l'aire

 qu'il couvre. Echappant à toute technique d'école, la touche va de ces rayures 

de rouge nettement alignées aux épaisses taches de forme qui rendent d'une 

manière indéfinissable et magique la qualité des fleurs dans l'air".

mercredi 29 avril 2020

Van Gogh : autoportraits

Début 1888, Paris Huile sur toile 65x 50,5

"Durant son séjour à Paris, van Gogh réalise en moins de deux ans, vingt-deux 

autoportraits, deux fois autant qu'il en devait peindre dans les deux années qui

 lui restaient à vivre. Comparée au nombre des autoportraits de Rembrandt ;

un peu plus de soixante en quarante ans, l'abondance des portraits de van Gogh

 est étonnante, plus étonnante encore en regard de la gaieté et de l'expansivité 

de beaucoup de ses peintures parisiennes. 

Maladies, querelles, et le conflit - important dans son oeuvre du début de la fin

 -  entre les exigences de l'art nouveau et les valeurs personnelles 

profondément enracinées le rejettent sur lui-même.

Dans quelques uns de ses portraits on voit un visage profondément ardent, 

troublé, qui cherche et qui lutte pour découvrir sa voie.
 
Ce dernier autoportrait  de sa période de Paris est le chef-d'oeuvre de la série,
 
 il résume ce qu'il a appris durant ces deux années. 

  Largement recouvert par l'ombre, il est pourtant tout entier pénétré de

 lumière, avec, dans cette ombre, sa plus grande masse de couleur riche : le 

bleu ; les mêmes rouges et verts apparaissent dans l'ombre  et en pleine 

lumière. Le ton verdâtre fait ressortir l'intensité de la barbe et recouvre les traits

 contractés et méditatifs, valeur la plus sombre de l'oeuvre. Le contraste du clair

 et de l'obscur, comme celui du rouge et du vert, suggère un contraste dans la 

personnalité, qui se manifeste dans la différence entre les deux côtés du visage

 : l'un plus ténébreux, plus déprimé, est prisonnier de l'angle de la haute toile,

 l'autre, plus clair, plus actif, plus ouvert, domine son espace et surmonte les 

deux godets, sombres comme les yeux, la palette et la main, avec leur jeu plus 

dégagé de rouges et de verts. Les accords majeurs de jaune et de bleu, de vert

 et de rouge s'entrelacent et circulent à travers l'espace tout entier avec une

 périodicité inattendue - utilisation imaginative de la couleur par delà la 

technique et les règles. Le dosage de menues taches contrastées - leçon des 

néo-impressionnistes, appliquée librement, sans esprit doctrinaire - donne à la

 surface une grande variété et accentue ls formes ; le fond est traité, sans perte

 de luminosité, d'une manière plus traditionnelle.

Sous cet ensemble massif, fermement construit, coule un sentiment d'instabilité 

; les puissantes diagonales de la palette et des pinceaux, qui rejoignent celles 

du chevalet  et du montant du châssis, constituent un réseau irrégulier qui 

comprend les diagonales brisées de la blouse. Toutes ces lignes contribuent à 

l'expression de la tête, qui posséde des formes aussi angulaires, étroitement 

emboîtées, et ne paraît arrondie que relativement aux angles plus aigus du

 dessous".































Autoportrait 1887 

-Carton. 42x33cm
































Autoportrait.  Carton 

1887 19 x 14cm




 Lettre à Théo  (septembre 1189)

... On dit - et je le crois fort volontiers- qu'il est difficile de se connaître

 soi-même  - mais il n'est pas aisé non plus de se peindre soi-même. 

Ainsi je travaille à deux portraits dans ce moment - faute d'autre

 modèle - parce qu'il est plus que le temps que je fasse un peu de 

figure. L'un je l'ai commencé le premier jour que je me suis levé, j'étais 

maigre, pâle comme un diable. C'est bleu violet fonçé et la tête 

blanchâtre avec des cheveux jaunes, donc un effet de couleur.

Mais depuis j'en ai commencé un de trois-quarts sur fond clair. Puis je 

retouche des études de cet été - enfin je travaille du matin jusqu'au soir.

 Est-ce que tu vas bien - bigre je voudrais bien pour toi que tu fusses 

deux ans plus loin et que ces premiers temps de mariage, quelque beau

 que ce soit par moments, fussent derrière le dos. Je crois si fermement 

qu'un mariage devient surtout bon à la longue et qu'alors on se refait le

 tempérament... 



 Septembre 1889.  Saint-Rémy.  Toile 57 x43 cm

  "Le bleu partout répandu de ce portrait, plus chaud, plus violet dans le fond, 

plus froid dans les vêtements, engendre une atmosphère que les mots sont 

impuissants à rendre, mais dont le sens d'intériorité ne saurait échapper. Non

 seulement le bleu est commun au costume et à l'entourage "abstrait" mais le

 jeu vivant du pinceau qui construit le fond cerne  comme une auréole, de ses

 traces entrecroisées, les bords changeants de la tête ; il se conforme en même

 temps, dans son flot véhément, aux rythmes passionnés des touches qui 

modèlent le costume et la chevelure. D'une cavité sombre au centre de ce bleu 

émerge la tête avec une ardente intensité -le croissant et la chevelure et de la 

barbe est comme la lune dans la "Nuit étoilée". Le visage est en grande partie 

dans l'ombre, une ombre trasparente magnifiquement peinte, riche en verts et 

en bleus, voile sombre à travers lequel pointent les yeux cernés de rouge, 

scrutateurs et tristes.  En peigant la chevelure, la moustache et la barbe, van

 Gogh oublie l'ombre, donnant à ces morceaux leur pleine force de couleurs

 lumineuses exceptionnelles, avec des verts, des garance et des rouges 

entremêlés. Un courant d'ombre claire, enjambé par le noeud de la blouse,

 monte du coin émoussé, relevé vers le haut, de la palette, qui fait écho au 

visage. Ici les couleurs sont couchées en ligne horizontale, adaptées de façon

 surprenante au bord de la toile, défiant la perspective de la palette elle-même. 

Les pinceaux en jaillissent, ainsi que les lignes de la blouse, en une sorte 

d'éventail qui va de la tache violette au-dessous au coin d'arrière-plan en dessus

 - formes triangulaires répétées et inversées dans les surfaces proches, et qui

 culminent dans la région pathétique de l'oeil droit. La tête tournée vers la

 droite, en même temps que la palette, donne à ce côté une qualité plus 

abrupte, plus resserrée, plus tendue ; l'autre moitié est arrondie et continue 

dans  ses formes. En même temps, van Gogh, avec une certaine sensibilité 

classique dans sa nouvelle manière curviligne, a continué le bord creux du 

visage dans la ligne de l'épaule droite, produisant dans ce large tracé en 

croissant une symétrie cachée des deux côtés de la tête et des épaules dans un 

pose de trois-quarts. Ce portrait, dans sa perfection de joyau et sa profondeur 

de sentiment, nous permet de mesurer le grand progrès de van Gogh depuis le 

dernier de ses autoportraits parisiens ; il correspond à une plus intime 

connaissance de soi aussi bien qu'à un énorme développement de sa puissance

 d'expression."

 (Magnifique analyse !! )




 

mardi 28 avril 2020

Vincent Van Gogh

 Partageons cette étude sur l'oeuvre de Van Gogh : nous venons de l'évoquer 

au sujet d'une toile de Munch qui semble s'inspirer de  sa "la Nuit étoilée "

 que nous verrons bientôt.

Je vais faire confiance à Meyer Schapiro, ce célèbre critique d'art new-yorkais,

 mais je ne serai peut-être pas toujours d'accord avec lui : sa vision "marxiste"

 de l'art abstrait, ne sera pas forcèment la mienne ; on en discutera.

Peut-être tout le monde ne connaissait-il pas Munch, mais Van Gogh est

 universel,

 Rien à voir avec Munch, Vincent s'est suicidé à trente-sept ans désespéré

d'être à la charge de son frère Théo, Edvard est mort à quatre-vingt ans couvert

 d'honneurs.
 
 Qu'ont-ils de commun ? l'hopital psychiatrique et pour des raisons différentes

 pas tant que cela, en tout cas sentimentales,  Van Gogh se mutile à la suite de

ses disputes avec Gauguin, Munch déplore une mésentente avec son amie.

 Je voudrais débuter par les autoportraits de Van Gogh puisque nous avons vu

que Munch grâce à la photographie, outre ses peintures, en a fait beaucoup.

 J'ai trouvé un certain narcissisme chez lui,  il était plutôt "beau gosse" ; les

 autoportraits de Van Gogh sont sans concession.

 Mais tout d'abord une toile lumineuse,  notre horizon rempli de nuages sans

être certains d'une éclaircie, un présent bien bouché, il ne nous reste plus qu'à

nous tourner vers le passé.


          Champ de blé aux corbeaux. Juillet 1890 -Huile sur toile 50,5 X 100,5

   "Lorsqu'il écrit à propos de ce tableau, peu avant son suicide, van Gogh 

témoigne de son atmosphère tragique. Le format de la toile est en rapport avec

 le sujet même, un champ qui se déploie depuis l'avant-plan par trois chemins 

divergents.

 Situation angoissante pour le spectateur, maintenu dans l'équivoque devant ce

 grand horizon qu'il ne peut atteindre par aucune des voies qui s'ouvrent devant

 lui, car elles s'aveuglent  dans les blés ou s'évadent hors des limites du

 tableau.

Les lignes perspectives familières de ce large champ sont maintenant inversées

 : elles convergent de l'horizon vers le premier plan, comme si l'espace avait

 soudain perdu son foyer et que toutes choses  se soient retournées 

agressivement contre le spectateur. Le ciel bleu et et les champs jaunes se 

repoussent mutuellement avec une violence troublante. A travers leur 

démarcation, un vol noir de corbeaux s'avance vers un premier plan anarchique.

Et là, dans ce désarroi pathétique, se dessine une puissante réaction de l'artiste.

 En contraste avec la turbulence de la touche, l'ensemble de l'espace est d'une

 largeur et d'une simplicité primordiales. La fréquence avec laquelle chaque

 couleur a été appliquée est liée à l'étendue et à la stabilité des surfaces qu'elle

 couvre. L'artiste semble avoir compté : un est le bleu unique du ciel- unité,

 ampleur, résolution ultime ; deux est le jaune complémentaire des masses 

bifurquées, instables, du blé qui pousse ; trois est le rouge des chemins 

divergents qui ne conduisent nulle part ; quatre est le vert complémentaire de

 l'herbe en friche qui borde ces routes ; et comme le "n" de la série, il y a la

 progression sans fin du zig-zag ds corbeaux, ces figures du destin qui viennent 

de l'horizon lointain. De même qu'un homme en détresse compte et énumère

 pour se raccrocher solidement aux choses et combattre une impulsion, van 

Gogh, au dernier degré de l'angoisse, crée un ordre arithmétique qui lui permet 

de résister à la désintrégation. Il fait un effort intense de contrôle et 

d'organisation. Les contrastes fondamentaux deviennent les apparences

 essentielles ; et, dans cet ordre simple, les zones séparées sont reliées par des

 échos de couleur, sans changer les forces plus importantes de l'ensemble. Les

 deux nuages verts sont des reflets, très affaiblis, du vert des routes. Et dans le

 bleu du ciel est une vague pulsation d'obsurité et de clarté qui résume la

 grande inquiétude de la terre au-dessous".


              https://www.youtube.com/watch?v=WGIyx11nnfU

lundi 27 avril 2020

Le regard retourné : suite

 A l'instar de Rembrandt notamment dans ses derniers autoportraits Munch

 étudie la dégradation de son corps, se peint dans tous les états qu'il traverse. 

En1919, il réalise un autoportrait alors qu'il est atteint de la grippe espagnole.

 dans cette toile, dont les tons particulièrement vifs et joyeux contrastent avec

le sujet du tableau. Il se représente sans détour affaibli et décharné. Un même

  sentiment de profonde solitude se dégage du "Noctambule". Munch se peint

 comme en contre-jour, ses traits sont ainsi dissimulés derrière des ombres.

 L'absence de décoration de la pièce et le fait que la scène soit nocturne ne

font qu'accentuer l'isolement du personnage.




































                                  Autoportrait avec la grippe espagnole. 1910


       Le Noctambule . 1923-1924 ; huile sur toile, 90x68 cm

"Le bonheur est l'ami du chagrin

          le printemps est l'annonciateur de l'automne

                     la mort est la naissance de la vie  (1915-1930)

Les autoportraits que Munch peint dans les dix dernières années de sa vie

 montrent tous, sans indulgence, un vieillard attendant la mort. Dans 

"l'Autoportrait près de la fenêtre", le visage rougi du personnage traduit comme

 souvent dans les toiles de Munch, davantage un sentiment de tristesse 

intérieure que de colère. Cet effet est renforcé par une bouche tombante. En 

contraste avec ce rouge semblant confiné à la partie gauche de la toile, le

 paysage paraît peint en noir et blanc tant la froideur de ses tons éteint toute 

vie. Le radiateur lui-même est gagné par ce gel. Munch, lui,  se tient

 inconfortablement entre deux atmosphères, entre la vie, attachée au rouge et 

la mort glaciale, du paysage hivernal. Il règne dans cet autoportrait le même

 sentiment de solitude et de désolation que dans sa dernière oeuvre, peinte à  

près de 80 ans : " Autoportrait Deux heures et quart du matin"



Autoportrait :1940-1943
 

                                                        Autoportrait près de la fenêtre  vers 1940


Munch appraît ici, en proie à une grande amertume, les bras pendants,

 désoeuvré. il se tient, figé, dans un double entre-deux sinistre : entre

 l'horloge et le lit tout d'abord, comme l'indique le titre, c'est-à-dire entre deux

symboles de mort. L'horloge qui n'a même plus d'aiguilles, semble indiquer 

que le temps de l'artiste est révolu. Mais l'artiste apparaît aussi entre deux

 pièces ; une chambre toute de pénombre et une salle baignée de soleil. Dans

 cette dernière, les murs sont couverts de toiles de Munch, évoquant sa vie

 passée, maintenant derrière lui. La chambre qui s'ouvre à lui, en contraste, est

 peinte dans des tons froids et sombres. Et si un tableau est accroché sur le

 mur de droite, il s'agit d'un nu fantomatique, dont la verticalité renvoie à

 l'horloge de gauche. Cette composition en croix, entre l'horloge et le lit, entre

la lumière et la pénombre, est enfin renforcée par la croix lugubre qui git aux

 pieds du peintre, formée par son ombre, et qui semble le condamner. Plusieurs

 artistes contemporains ont été marqués par cet autoportrait. Plus de trente

 après sa réalisation, Jasper Johns fonde notamment toute une série de toiles

autour du motif graphique du couvre-lit.

    
                                           Autoportrait entre l'horloge et le lit : 1940-1943




vendredi 24 avril 2020

Le regard retourné

 De nombreux autoportraits jalonnent l'oeuvre de Munch qui, de même que sa 

pratique de la photographie est très egocentrée. Il n'aura de cesse de scruter

les expressions de son visage, les changements de ses traits. Des toutes

 premières années jusquà la fin de sa vie, il épie son image, observe les effets

du temps, de la maladie. On compte plus de quatre-vingts autoportraits, qui ne

 déparent pas du reste de son oeuvre en reflétant les fluctuations de sa 

psychologie, les hauts et les bas de son émotivité. On observe très souvent une

 concordance entre vision intérieure et extérieure. De cette recherche obsédante

 résultent de nombreuses toiles, mais aussi beaucoup de dessins et de

 photographies.


 Auroportrait à Bergen 1916


 En 1930 Munch est atteint d'une maladie oculaire : une hémoragie provoque

 une brusque perte de visuion de son oeil droit. le phénomène s'estompant peu

à peu, le peintre entreprend  de reproduire ses perceptions visuelles. Munch 

scrute ainsi le fonctionnement de sa rétine et en éprouve les limites. Dans 

certaines esquisses, on voit le peintre cacher son oeil gauche pour observer ce 

que voit son oeil droit. Et toujours, le résultat de cette étude introspective mène

 à une représentation empreinte d'angoisse et de mort. Au départ, la tache 

sombre qui entrave sa vision prend la forme d'une tête de mort, elle apparaît 

ensuite sous les traits d'un oiseau, qui au fur et àmesure de sa geérison, sera

de plus en plus petit. Le peintre fixe les projections dans le monde extérieur de

 cet "oiseau" interne à son oeil et profite ainsi de son infirmité pour étudier les 

phénomènes optiques auxquels un oeil sain n'aurait pas accés.



"L'Oeil malade de l'artiste avec oiseau" 1930 
 
  "La Rétine de l'artiste . Illusion d'optique créée par la maladie oculaire" 1930 

                                                                " La Vision perturbée" 1930

Ce qui me fait penser à la surdité de Beethoven dans le domaine musical. 

 https://books.google.fr/books?id=1G5Z9bX0MawC&pg=PA39&lpg=PA39&dq=lithographies+dessins+Munch&source=bl&ots=z1CZo8K3qh&sig=ACfU3U1iUtrxx6YhpV5P1iQeNCe0grkUuw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwie3urF9ILpAhW_BWMBHXNTBRQ4HhDoATAGegQIChAB#v=onepage&q=lithographies%20dessins%20Munch&f=false


" Le fait est que l’on voit les choses avec des yeux différents selon le 

moment. On a des yeux différents le matin et le soir. Notre manière de

 voir dépend aussi de notre état d’âme. C’est pourquoi le même motif 

peut être perçu de tant de manières différentes et c’est là tout l’intérêt 

de l’art."
 

Le monde extérieur (suite)

 Munch fut un grand lecteur et collectionneur de la presse nationale et

 internationale. Lui qui avait en outre une mémoire très photographique,

 s'inspira aussi de l'actualité pour peindre. maisl à encore, l'histoire et les 
 
histoires s'entremêlent. Plusieurs toiles de Munch représentent des incendies, le 

peintre ayant été témoin notamment d'un feu pris à Gronland en 1919.

Cependant, il existe beaucoup de différences entre les croquis réalisés sur le vif 

et la toile qui en résulte. Celle-ci semble avoir été graphiquement influencée par

 les articles parus autour de l'événement, mais aussi par d'autres incendies qui

 ont marqué le peintre. En observant différents thèmes récurrents dans ces

 scénettes, on comprend que Munch n'opère pas en illustrateur : ses oeuvres

ne sont pas attachées à un seul événement. Il tisse des liens entre différents 

épisodes et mêle plusieurs motifs graphiques pour former une oeuvre qui, née

 de faits isolés, en devient plus universelle, acquiert davantage de force.


                                  "Panique à Oslo".  gravure sur bois 1917

            "Je ne peins pas ce que je vois. Mais ce que j'ai vu" (1890)


                                                                      " La maison brûle" 1925-1927

En 1905, lors d'un dîner où Munch avait convié l'acteur Ludvig Müller et le 

peintre Ludvig Karsten, une violente dispute éclate. Ce dernier aurait mis en 

doute le sentiment national de Munch. En 1916 puis en 1932, des années après

 cet événement en apparence anecdotique, il reprend le sujet en réalisant

 plusieurs intitulées "La Bagarre". Karsten figure à l'arrière plan tandis que 

Munch se tient tout à l'avant tombant presque dans l'espace  du spectateur. Ce 

jeu de perspective, qui consiste à donner l'impression au regardeur d'être au 

coeur de l'action est caractéristique des illustrations de combats de la première 

Guerre Mondiale. Munch, s'en est sans doute, consciemment ou non inspiré, 

d'autant que le motif de la rixe avait un lien avec la défense de la nation. Quoi 

qu'il en soit, la dispute avec Karsten fournit à Munch plusieurs motifs différents, 

"Les Hôtes indésirables" renvoie notamment à la fin de l'épisode, où le peintre 

menace ses deux convives avec un fusil.



"La Bagarre" 1932 huile sur toile 1932

                                             "Les Hôtes indésirables" 1932 -1935

 On observe dans de nombreuses oeuvres de Munch des manifestaions de 

dédoublement physique qui renvoient inéluctablement à une division psychique 

du sujet. Le peintre exprime souvent la sensation de marcher à côté de lui-

même, un effet qui se voit renforcé avec l'alcoolisme et la dépression. Cette 

opposition répond à un tiraillement intérieur qui oscille entre la schizophrénie, 

l'hallucination, la figure d'un double créateur...

L'imaginaire de l'ubiquité n'est pas étranger à l'intérêt de Munch pour les 

phénomènes médiumniques. Dans ses autoportraits photographiques, il cherche

 souvent à prolonger le temps de pose pour fixer son double spectral. La

 silhouette monochrome, presque immatérielle, qui apparaît dans "Le 

dédoublement de Faust" renvoie à Méphisto, à une force à la fois bénéfique et

 maléfique qui pousse Munch à créer, mais aussi à faire passer l'art avant tout.




                           https://www.youtube.com/watch?v=D2_NmLp9dmE