Mon cher Théo
Bien merci de ta bonne lettre et du billet de 50 francs qui y était inclus. Il faudra tout de même écrire à Gauguin. Le mal est ce sacré voyage, lorsqu'on l'engage à le faire et si après cela ne lui va pas, on serait mal pris. Je pense lui écrire aujourd'hui et t'enverrai la lettre.
Maintenant que j'ai vu la mer ici, je ressens tout à fait l'importance qu'il y a de rester dans le Midi, et de sentir qu'il faut encore outrer la couleur davantage - l'Afrique pas loin de soi.
Je t'envoie par même courrier les dessins des Saintes Maries. Au moment de partir le matin, fort de bonne heure, j'ai fait le dessin des bateaux, et j'en ai le tableau en train, toile de 30 avec davantage de mer et de ciel à droite.
C'était avant que les bateaux ne fichaient le camp, je l'avais observé tous les autres matins, mais comme ils partent très de bonne heure, n'avais pas eu le temps de la faire.
J'ai encore trois dessins de cabanes, dont j'ai encore besoin et qui suivront ceux-ci ; les cabanes sont un peu durs mais j'en ai de plus soignés.
Je te ferai un envoi de peintures roulées, aussitôt les marines sèches. Vois-tu ce toupet de ces idiots à Dordrecht? vois-tu cette suffisance? ils veulent bien condescendre à Degas et Pissarro, dont d'ailleurs ils n'ont jamais rien vu, pas plus que des autres. Seulement c'est très bon signe que les jeunes soient furieux, cela prouve peut-être qu'il y a des vieux, qui en ont dit du bien.
Pour ce qui est de rester dans le Midi, même si c'est plus cher, voyons : on aime la peinture japonaise, on en a subi l'influence, tous les impressionnistes ont ça en commun, et on n'irait pas au Japon, c'est-à-dire ce qui est l'équivalent du Japon, le Midi ? Je crois donc qu'encore après tout l'avenir de l'art nouveau est dans le Midi.
Seulement c'est mauvaise politique d'y rester seul, lorsque deux ou trois personnes pourraient s'aider à vivre de peu.
Je voudrais que tu passes quelque temps ici, tu sentirais la chose au bout de quelque temps, la vue change, on voit avec un oeil plus japonais, on sent autrement la couleur. Aussi ai-je la conviction que justement par un long séjour ici, je dégagerai ma personnalité. Le Japonais dessine vite, très vite, comme un éclair, c'est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment plus simple.
Je ne sui ici que quelques mois, mais dites-moi est-ce qu'à Paris j'aurais dessiné en une heure le dessin des bateaux ? Même avec le cadre, or ceci s'est fait sans mesurer en laissant aller la plume.
Je me dis donc que peu à peu les frais seront balancés par le travail. Je voudrais qu'on gagne beaucoup d'argent pour faire venir ici de bons artistes, qui se morfondent dans la boue du Petit Boulevard trop souvent.
Heureusement que c'est excessivement facile de vendre des tableaux comme il faut dans un endroit comme il faut à un monsieur comme il faut. Depuis que le distingué Albert nous a donné la recette, toutes les difficultés ont disparu par enchantement.
Il n'y a qu'à aller dans la rue de la Paix, là se balade expressément pour cela l'amateur bien. Si Gauguin venait ici, lui et moi pourrions peut-être accompagner Bernard en Afrique lorsque celui-là ira faire son service...
Barques sur la plage aux Sainte-Maries. Juin 1888. Arles - Toile 64 x 81 cm
" Van Gogh a décrit ave enthousiasme sa visite au rivage méditerranéen
près d'Arles, au village de pêche des Saintes-Maries, où il peignit et dessina
pendant plusieurs jours. C'était un monde nouveau pour lui, et il répondait
avec son ardeur et son empressement coutumiers.
Dans la toie les barques de pêche, il concilie dans une même oeuvre deux
sortes différentes de vision : la nature perçue lumineuse et aérienne,
dans des tons innombrablres de couleur exaltée, toujours changeante et
vibrante à travers un contraste universel ; d'autre part, les objets de l'homme,
les barques, dessinées avec précision et peintes sans atmosphère, en tons
plats de couleurs franches. La douceur nacrée du paysage marin devient un
support pour des couleurs dures, fermement compartimentées des bateaux.
Placés sur la plage à côté l'un de l'autre, en partie superposés avec leurs mâts
qui s'entrecroisent, ces bateaux forment un réseau complexxe de taches et de
lignes colorées qui participe aux mouvements des tons instables et aériens de
la nature, aux dessins irréguliers du rivage et des vagues et aux vastes courants
des nuages informes. Ce réseau des barques est une structure de la vision de
van Gogh; on le rencontre dès la période hollandaise dans les dessins d'arbres,
et, comme dans les oeuvres des débuts, les ramifications des barques sont
traitées avec une dévotion inlassable au détail de chaque forme.
La couleur s'étend des simples teintes primaires des bateaux à des tons
iridescents dans le ciel, avec des bleus, des verts et des lavandes délicats et
d'indéfinissables tons de sable, des mélanges de jaune, de beige et de brun
froids et neutralisés - impressionnistes dans les différenciations et les
rapprochements subtils des froids et des chauds. De la même façon on discerne
dans l'application de la matière picturale un registre correspondant qui va de
touches fines, tachetées et transparentes à des touches épaisses et mates."
lundi 18 mai 2020
dimanche 17 mai 2020
Van Gogh : Vieux paysan, Patience Escalier
Van Gogh, nous donne ici les clés de sa création et c'est une grande chance d'en avoir la teneur.
Mon cher Théo août 1889
Sous peu tu vas faire connaissance avec le sieur Patience Esacalier, espèce d'homme à la houe, vieux bouvier camarguais, actuellement jardinier dans un mas de la Crau. Aujourd'hui même je t'envoie le dessin que j'ai fait d'après cette peinture, ainsi que le dessin du facteur Roulin.
La couleur de ce portrait de paysan est moins noire que les mangeurs de pommes de terre de Nuenen - mais le très Parisien Portier, probablement ainsi nommé parce que il fout les tableaux à la porte, s'y retrouvera le nez devant la même question. Maintenant toi depuis as changé, mais tu verras que lui n'as pas changé, et vraiment c'est dommage qu'il n'y ait pas davantage de tableaux en sabots à Paris. Je ne crois pas que mon paysan fera du tort par exemple au Lautrec que tu as, et même j'ose croire que le Lautrec deviendra par contraste simultané encore plus distingué, et le mien gagnera par le rapprochement étrange, parce que la qualité ensoleillée et brûlée, hâlée du grand soleil et du grand air se manifestera davantage à côté de la poudre de riz et de la toilette chic.
Quelle faute que les Parisiens n'ont pas pris assez goût aux choses rudes, aux Monticelli, à la barbotine. Enfin je sais que l'on ne doit pas se décourager parce que l'utopie ne se réalise pas.
Il y a seulement que je trouve que ce que j'ai appris à Paris s'en va, et que je reviens à mes idées qui m'étaient venues à la campagne, avant de connaître les impressionnistes.
Et je serais peu étonné, si sous peu les impressionnistes trouvaient à redire sur ma façon de faire qui a été plutôt fécondée par les idées de Delacroix, que par les leurs.
Car au lieu de chercher à rendre exactement ce que j'ai devant les yeux, je me sers de la couleur plus arbitrairement pour m'exprimer fortement.
Enfin laissons cela tranquille en tant que théorie, mais je vais te donner un exemple de ce que je veux dire.
Je voudrais faire le portrait d'un ami artiste, qui rêve de grands rêves, qui travaille comme le rossignol chante, parce que c'est ainsi sa nature. Cet homme sera blond. Je voudrais mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j'ai pour lui.
Je le peindrai donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai, pour commencer. Mais le tableau n'est pas fini ainsi.
Pour le finir je vais maintenant être coloriste arbitraire.
J'exagère le blond de la chevelure, j'arrive aux tons orangés, aux chromes, au citron pâle.
Derrière la tête, au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l'infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison, la tête blonde, éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l'étoile dans l'azur profond.
Pareillement dans le portraot de paysan j'ai procédé de cette façon. Toutefois sans vouloir dans ce cas évoquer l'éclat mystérieux d'une pâle étoile dans l'infini. Mais en supposant l'homme terrible que j'avais à faire en pleine fournaise de la moisson, en plein midi. De là des orangés fulgurants comme du fer rougi, de là des tons de vieil or lumineux dans les ténèbres.
Ah, mon cher frère... et les bonnes personnes ne verront dans cette exagération que de la caricature. Mais qu'est ce que cela nous fait, nous avons lu "La Terre" et" Germinal", et si nous peignons un paysan, nous aimerions montrer que cette lecture a un peu fini par faire corps avec nous.
Je ne sais si je pourrai peindre le facteur comme je le sens, cet homme est comme le père Tanguy en tant que révolutionnaire, probablement il est considéré comme bon républicain parce qu' il déteste cordialement la république de laquelle nous jouissons, et parce qu'en somme il doute un peu et est un peu désenchanté de l'idée républicaine elle-même.
Mais je l'ai vu un jour chanter la Marseillaise, et j'ai pensé foir 89, non pas l'année prochaine mais celle d'il y a quatre-vingt-dix-neuf ans. C'était du Delacroix, du Daumier, du vieux hollandais tout pur. Malheureusement cele ne se pose pas, et pourtant il faudrait pour pouvoir faire le tableau, un modèle intelligent.
Vieux Paysan. Arles Août 1888
"Arrivant de Paris en Provence, van Gogh redécouvrit les paysans qui
avaient été son motif principal durant ses premières années de peinture en
Hollande. Ce paysan méditerranéen est pétri de soleil aussi bien que de terre ;
sa substance rayonne, sans perdre son brun terrestre ; son sarrau bleu et le
fond orangé brûlé sont le ciel et la terre renversés de Provence. On est
pourtant envoûté par cette image profonde de l'homme, qui nous parle d'abord
par ses yeux et ensuite par tout son visage et exprime aussi sa force par ses
mains magistralement dessinées, et finalement par sa pose, son costume, le
compartimentage même de l'espace qu'il domine. D'une force âpre, d'une
grande simplicité et d'une grande franchise dans sa large représentation , le
portrait est centré sur un visage d'une profondeur et d'une complication
insondables. Chaque trait est un univers avec ses formes, ses couleurs, son
mouvement et son caractère propres, tous ces traits trouvant leur unité dans la
gravité de ce vieux paysan fixé dans une attention soutenue. Le simple pouvoir
de représentation est stupéfiant ; la luminosité des yeux cernés de rouge, le
hérissement coloré de la barbe, tout a été pénétré par la robustesse et la vitalité
d'une technique variée qui semble suivre des tracés préexistants et suggère un
rythme organique de la tête. Un grand goût -disons plutôt une gande
intelligence - apparaît dans la gradation et le contraste des différentes parties,
tout en respectant la plénitude du détail ; la région suprême du visage, qui
contient toutes les couleurs du tableau, comme la source de la palette, sous le
rebord brun de couleur uniforme qui l'ombrage, le chapeau jaune au-dessus,
simple quoique plus brisé ; la blouse bleue complémentaire du fond, mais plus
divisée et reliée par ses nombreux plis aux rayures de la barbe ; les trois
taches rouges de la cravate et des manches dans un dessin fort et concentré qui
enserre les mains et supporte la tête. C'est là peut-être le dernier portrait
réaliste de paysan dans la tradition de la peinture occidentale. C'est peut-être
aussi le seul grand portrait de paysan."
Ah mon Dieu oui !! c'est un chef d'oeuvre! Logiquement je voulais suivre
avec le portrait du facteur et de Tanguy mais ils n'ont, à mon sens, pas la
profondeur, la vérité de celui-là. Ils ne vont pas soutenir la comparaison, je vais
choisir une transition.
Mon cher Théo août 1889
Sous peu tu vas faire connaissance avec le sieur Patience Esacalier, espèce d'homme à la houe, vieux bouvier camarguais, actuellement jardinier dans un mas de la Crau. Aujourd'hui même je t'envoie le dessin que j'ai fait d'après cette peinture, ainsi que le dessin du facteur Roulin.
La couleur de ce portrait de paysan est moins noire que les mangeurs de pommes de terre de Nuenen - mais le très Parisien Portier, probablement ainsi nommé parce que il fout les tableaux à la porte, s'y retrouvera le nez devant la même question. Maintenant toi depuis as changé, mais tu verras que lui n'as pas changé, et vraiment c'est dommage qu'il n'y ait pas davantage de tableaux en sabots à Paris. Je ne crois pas que mon paysan fera du tort par exemple au Lautrec que tu as, et même j'ose croire que le Lautrec deviendra par contraste simultané encore plus distingué, et le mien gagnera par le rapprochement étrange, parce que la qualité ensoleillée et brûlée, hâlée du grand soleil et du grand air se manifestera davantage à côté de la poudre de riz et de la toilette chic.
Quelle faute que les Parisiens n'ont pas pris assez goût aux choses rudes, aux Monticelli, à la barbotine. Enfin je sais que l'on ne doit pas se décourager parce que l'utopie ne se réalise pas.
Il y a seulement que je trouve que ce que j'ai appris à Paris s'en va, et que je reviens à mes idées qui m'étaient venues à la campagne, avant de connaître les impressionnistes.
Et je serais peu étonné, si sous peu les impressionnistes trouvaient à redire sur ma façon de faire qui a été plutôt fécondée par les idées de Delacroix, que par les leurs.
Car au lieu de chercher à rendre exactement ce que j'ai devant les yeux, je me sers de la couleur plus arbitrairement pour m'exprimer fortement.
Enfin laissons cela tranquille en tant que théorie, mais je vais te donner un exemple de ce que je veux dire.
Je voudrais faire le portrait d'un ami artiste, qui rêve de grands rêves, qui travaille comme le rossignol chante, parce que c'est ainsi sa nature. Cet homme sera blond. Je voudrais mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j'ai pour lui.
Je le peindrai donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai, pour commencer. Mais le tableau n'est pas fini ainsi.
Pour le finir je vais maintenant être coloriste arbitraire.
J'exagère le blond de la chevelure, j'arrive aux tons orangés, aux chromes, au citron pâle.
Derrière la tête, au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l'infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison, la tête blonde, éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l'étoile dans l'azur profond.
Pareillement dans le portraot de paysan j'ai procédé de cette façon. Toutefois sans vouloir dans ce cas évoquer l'éclat mystérieux d'une pâle étoile dans l'infini. Mais en supposant l'homme terrible que j'avais à faire en pleine fournaise de la moisson, en plein midi. De là des orangés fulgurants comme du fer rougi, de là des tons de vieil or lumineux dans les ténèbres.
Ah, mon cher frère... et les bonnes personnes ne verront dans cette exagération que de la caricature. Mais qu'est ce que cela nous fait, nous avons lu "La Terre" et" Germinal", et si nous peignons un paysan, nous aimerions montrer que cette lecture a un peu fini par faire corps avec nous.
Je ne sais si je pourrai peindre le facteur comme je le sens, cet homme est comme le père Tanguy en tant que révolutionnaire, probablement il est considéré comme bon républicain parce qu' il déteste cordialement la république de laquelle nous jouissons, et parce qu'en somme il doute un peu et est un peu désenchanté de l'idée républicaine elle-même.
Mais je l'ai vu un jour chanter la Marseillaise, et j'ai pensé foir 89, non pas l'année prochaine mais celle d'il y a quatre-vingt-dix-neuf ans. C'était du Delacroix, du Daumier, du vieux hollandais tout pur. Malheureusement cele ne se pose pas, et pourtant il faudrait pour pouvoir faire le tableau, un modèle intelligent.
Vieux Paysan. Arles Août 1888
"Arrivant de Paris en Provence, van Gogh redécouvrit les paysans qui
avaient été son motif principal durant ses premières années de peinture en
Hollande. Ce paysan méditerranéen est pétri de soleil aussi bien que de terre ;
sa substance rayonne, sans perdre son brun terrestre ; son sarrau bleu et le
fond orangé brûlé sont le ciel et la terre renversés de Provence. On est
pourtant envoûté par cette image profonde de l'homme, qui nous parle d'abord
par ses yeux et ensuite par tout son visage et exprime aussi sa force par ses
mains magistralement dessinées, et finalement par sa pose, son costume, le
compartimentage même de l'espace qu'il domine. D'une force âpre, d'une
grande simplicité et d'une grande franchise dans sa large représentation , le
portrait est centré sur un visage d'une profondeur et d'une complication
insondables. Chaque trait est un univers avec ses formes, ses couleurs, son
mouvement et son caractère propres, tous ces traits trouvant leur unité dans la
gravité de ce vieux paysan fixé dans une attention soutenue. Le simple pouvoir
de représentation est stupéfiant ; la luminosité des yeux cernés de rouge, le
hérissement coloré de la barbe, tout a été pénétré par la robustesse et la vitalité
d'une technique variée qui semble suivre des tracés préexistants et suggère un
rythme organique de la tête. Un grand goût -disons plutôt une gande
intelligence - apparaît dans la gradation et le contraste des différentes parties,
tout en respectant la plénitude du détail ; la région suprême du visage, qui
contient toutes les couleurs du tableau, comme la source de la palette, sous le
rebord brun de couleur uniforme qui l'ombrage, le chapeau jaune au-dessus,
simple quoique plus brisé ; la blouse bleue complémentaire du fond, mais plus
divisée et reliée par ses nombreux plis aux rayures de la barbe ; les trois
taches rouges de la cravate et des manches dans un dessin fort et concentré qui
enserre les mains et supporte la tête. C'est là peut-être le dernier portrait
réaliste de paysan dans la tradition de la peinture occidentale. C'est peut-être
aussi le seul grand portrait de paysan."
Ah mon Dieu oui !! c'est un chef d'oeuvre! Logiquement je voulais suivre
avec le portrait du facteur et de Tanguy mais ils n'ont, à mon sens, pas la
profondeur, la vérité de celui-là. Ils ne vont pas soutenir la comparaison, je vais
choisir une transition.
samedi 16 mai 2020
Van Gogh ; le Semeur
Mon cher Théo : fin octobre 1888 (Arles)
Merci de ta bonne lettre et du billet de 100 F qu'elle contenait. Suis
très content de ce que le succès de Gauguin en tant que quant à la vente continue. Si d'ici un an il pouvait réaliser assez pour exécuter son plan, d'aller se fixer à la Martinique je croirais sa fortune faite. Seulement selon moi il ne saurait risquer d'y retourner avant qu'il ait 5.000 de côté, selon lui il lui faudrait 2.000. Mais dans mon idée alors il ne partirait pas seul mais avec un autre ou des autres et là-bas fonderait un atelier durable.
Enfin d'ici là, il coulera encore de l'eau sous le pont.
Ce que tu écris des Hollandais m'intéresse beaucoup. J'espère un jour les connaître tous les deux personnellement. Quel âge ont-ils ? J'ose croire qu'ils s'en trouveront bien d'être venus ici en France au bout du compte.
Le mal qu'ils ont pour la couleur : bigre - cela ne m'étonne pas. "L'étude sérieuse" de Rembrandt dont font preuve les deux dessins de De Haan que j'ai sous les yeux qu'il ne la lâche pas!. Est-ce-qu'ils ont lu le livre de Sylvestre sur Eug. Delacroix ainsi que l'article sur "La Couleur" dans "la Grammaire des Arts du Dessin" de Ch. Blan?
Demande-leur donc cela de ma part et s'ils n'ont pas lu cela qu'ils le lisent. Je pense moi à Rembrandt plus qu'il ne peut paraître dans mes études.
Voici croquis de ma dernière toile en train, encore un Semeur. Immense disque citron comme soleil. Ciel vert jaune à nuages roses. Le terrain violet ; le semeur et l'arbre bleu de Prusse, toile de 30. Attendons tranquillement pour exposer jusqu'à ce que j'aie une trentaine de toiles de 30.
Alors nous les exposerons une fois dans ton appartement pour les amis et encore en n'insistant pas.
Et ne ferons rien d'autre .
Il y a bien des raisons pour ne pas bouger maintenant. D'ailleurs cela ne sera pas long, je crois qu'à l'époque de l'exposition ou un peu après je pourrai t'envoyer cela. En attendant cela séchera à fond ici et je pourrai encore reprendre toutes les toiles une fois bien sèches à fond jusque dans les empâtements.
Si à quarante ans je fais un tableau de figures ou des portraits tels que je le sens, je crois que cela vaudra mieux qu'un succès plus ou moins sérieux maintenant.
Ces dernières lignes sont troublantes vous n'avez pas dû manquer les propos laissant plâner un doute sur son suicide. Les investigations policières n'ont--elles pas été suffisantes ? n'avait-il pas lui-même une arme ? a-t-elle été retrouvée? Il se voit peindre à quarante ans et se suicide à 37 ans?
Le Semeur : Octobre 1888, Arles - Huile sur toile 33 x 41 cm
" Dans cette toile, van Gogh a voulu appliquer les leçons reçues de l'art
japonais : composition de fortes diagonales, objets coupés par le cadre,
surfaces plates de coloris francs, formes capricieuses déterminées par les
irrégularités de la nature. Il conserve cependant la pleine évidence de la touche
et l'impulsivité de la main, étrangères aux estampes japonaises qu'il aimait, le
nuancement en ombre et lumière des couleurs atmosphériques qui est
strictement occidental. Pas d'intenses teintes pures, mais des tons rares,
comme le ciel vert pomme, qui tire l'observateur de son monde familier et
l'éveille à l'étonnement et à la rêverie et aux courants intimes de la sensibilité.
Dans la conception de l'homme et de l'arbre, van Gogh introduit une affinité
mystérieuse de couleur, de silhouette et de direction, comme une rime
inattendue qui unit des mots par ailleurs sans autre rapport et donne à chacun
d'eux une plus vaste résonnance.
A l'ambiance de l'oeuvre contribuent de façon décisive la vision du monde
lointain, plein de couleurs par- delà des tons sombres neutralisés des objets au
premier plan, et la position du gigantesque soleil entre eux.
Quant au réseau des lignes, notons la grande maîtrise intuitive de van Gogh
dans l'harmonie des directions et sa liberté dans le déplacement des éléments
donnés par la nature".
Le Semeur (d'après Millet) 1881 Plume Le Semeur (d'après Millet )1889
rehaussée de vert et de blanc Toile 64x 56 cm
48 x 36 cm
https://www.youtube.com/watch?v=Fba-0iKsESw
https://www.youtube.com/watch?v=VM-mzl8a0js
vendredi 15 mai 2020
Van Gogh : Les mangeurs de pommes de terre
C'est parce que nous avons évoqué cette toile que je vous la propose ce matin
et au regard de ce que nous avons vu précédemment, le changement est
brutal, elle est peinte entre septembre et octobre 1886 à Nuenen, très
"hollandaise" par conséquent !!
Cher Théo
J'ai reçu ta lettre à midi. J'ai voulu y répondre sur le champ.
Je suis désireux de me faire une idée du Salon, aussi et surtout d'après
le tableau de Roll.
Je ne suis pas étonné que Durand-Ruel, par exemple, n'ait pas encore
pris connaissance des dessins.
Et même je préfère que Portier n'exagère pas, à dire qu'il les trouve
beaux. Du moins, je sens que je puis faire mieux, car justement je suis
en train de changer, et même au point de trouver indécis ce que je
faisais avant.
Je pense que tu verras ce que je veux dire par le tableau des mangeurs
de pommes de terre et que Portier le comprendra. Toutefois il est très
sombre et, pour le blanc par exemple, il n'y est pour ainsi dire pas
employé de blanc une seule fois, mais simplement la couleur neutre qui
se forme quand on mélange du rouge, du bleu, du jaune, par exemple
du vermillon, du bleu de Paris et du jaune de Naples. Le motif ici est un
intérieur gris éclairé par une petite lampe.
Cette couleur est donc en soi un gris franc, mais elle fait blanc dans le
tableau. Je vais te dire pourquoi je fais cela.
Le tapis de table en toile grise, le mur enfumé, les bonnets poussiéreux
que les femmes portaient pour aller travailler aux champs, tout cela,
quand on le voit en clignant les yeux, semble être à la clarté de la
lampe, d'un gris très foncé, et la lampe, bien que donnant une lueur
d'un jaune roux, paraît encore plus claire, et même plus sensiblement
plus claire que le blanc en question.
Et puis, il y a la couleur des chairs. Je sais bien que ces couleurs là,
quand on les considère superficiellement, c'est-à-dire si l'on n'y
réfléchit pas un peu,ressemblent à ce que l'on appelle la couleur chair.
Or, quand j'ai commencé le tableau, je les ai faites d'abord avec un peu
d'ocre jaune, d'ocre rouge et de blanc par exemple.
Mais cela faisait beaucoup trop clair et n'allait décidément pas.
Que faire? j'avais déjà peint les têtes, même elles étaient assez bien
achevées, avec beaucoup de soin ; et bien je les ai repeintes, sans
hésiter, sans pitié, et la couleur avec laquelle elles sont faites est à peu
près celle d'une pomme de terre bien poussiéreuse, naturellement non
épluchée.
En peignant cela, je pensais encore à ce qu'on a dit, si justement, des
paysans de Millet "Ses paysans semblent peints avec la terre qu'ils
ensemencent".
Propos auquel je me suis efforcé de penser malgré moi, chaque fois que
je les voyais travailler, dehors comme dedans.
Je tiens également pour certain que si on demandait à Millet, à
Daubigny, à Corot de peindre un paysage de neige sans employer de
blanc, ils le feraient, et que la neige paraitraît blanche dans leur
tableau...
Etude de mains : 1885. Fusain 21 x 34 cm
" Etabli comme une somme de l'oeuvre et des recherches antérieures de van
Gogh, ce tableau exprime ausssi très fortement et très pleinement ses
conceptions sociales et morales. C'était un peintre de paysans, non par goût du
pittoresque - bien qu'il fût sensible à la totalité de leur aspect - mais par affinité
et solidarité profondes avec des pauvres gens dont la vie, comme la sienne
propre, était chargée de soucis. Vincent trouvait dans le repas collectif la
circonstance où leur humanité et leur beauté morale se révèlent d'une façon
saisissante ; ils apparaissent alors dans une communauté étroite, fondée sur le
travail et le partage des fruits de ce travail. La table est leur autel, et la
nourriture, un sacrement pour chacun de ceux qui ont participé au labeur.
Sous l'unique lumière, à cette table commune, l'isolement de l'individu est
surmonté et aussi la dureté de la nature - pourtant chacune de ces figures
garde une pensée propre, et deux d'entre elles semblent au bord d'une muette
solitude. Les couleurs de l'intérieur sombre, bleu, vert et brun nous ramènent à
la nature extérieure. Il y a une puretré touchante et une beauté rustique dans
les visages et les mains de ces paysans - par la couleur et le modelé ils
ressemblent aux pommes de terre qui les nourrissent. C'est la pureté d'âmes
familières chez qui le souci des autres et le dur combat avec la terre et les
intempéries laissent peu de place pour l'égoisme.
La composition prend une force rude qui résulte en partie d'une mise en place
naïve. Et dans la gaucherie de van Gogh, qui rend aussi, comme il l'entendait, la
gaucherie de ses modèles, il y a une source de mouvement. Le groupement des
personnages sur les côtés de la table est curieux ; le mur entre les deux
figures de droite crée un compartimentage étrange de l'espace intime.
De l'atmosphère assombrie se détachent de remarquables morceaux de
peinture, découlant des études tenaces ; les tasses de café, avec leurs ombres
grises ; les pommes de terre sur l'écuelle : et les têtes magistrales qui, dans
leur isolement l'une de l'autre révèlent les portraits préparatoires d'où elles
sont copiées. les yeux des deux paysans de gauche brillent d'une lumière
intérieure, et les ombres sur leurs traits expriment plus le modelè de leur
caractère qu'un phénomène de pénombre.
" J'aime mieux peindre les yeux des hommes que les cathédrales"
écrivait peu après Vincent."
Homme bêchant ; 1882 Crayon etr encre 47 x 29 cm
Faucheur : 1885 Fusain 43 x 55 cm
plus personne ne va dans les champs en sabots...Les souliers étaient du luxe
réservés aux Dimanches où l'on se faisait beau pour aller à la messe ; les femmes enlevaient leurs chaussures et allaient pieds nus aux fêtes du village pour les économiser et même au début du XX ème siècle les gamins allaient en galoches de bois souvent cloutées pour éviter l'usure.
Quel chemin parcouru, seuls les soucis n'ont pas disparu !!
et au regard de ce que nous avons vu précédemment, le changement est
brutal, elle est peinte entre septembre et octobre 1886 à Nuenen, très
"hollandaise" par conséquent !!
Cher Théo
J'ai reçu ta lettre à midi. J'ai voulu y répondre sur le champ.
Je suis désireux de me faire une idée du Salon, aussi et surtout d'après
le tableau de Roll.
Je ne suis pas étonné que Durand-Ruel, par exemple, n'ait pas encore
pris connaissance des dessins.
Et même je préfère que Portier n'exagère pas, à dire qu'il les trouve
beaux. Du moins, je sens que je puis faire mieux, car justement je suis
en train de changer, et même au point de trouver indécis ce que je
faisais avant.
Je pense que tu verras ce que je veux dire par le tableau des mangeurs
de pommes de terre et que Portier le comprendra. Toutefois il est très
sombre et, pour le blanc par exemple, il n'y est pour ainsi dire pas
employé de blanc une seule fois, mais simplement la couleur neutre qui
se forme quand on mélange du rouge, du bleu, du jaune, par exemple
du vermillon, du bleu de Paris et du jaune de Naples. Le motif ici est un
intérieur gris éclairé par une petite lampe.
Cette couleur est donc en soi un gris franc, mais elle fait blanc dans le
tableau. Je vais te dire pourquoi je fais cela.
Le tapis de table en toile grise, le mur enfumé, les bonnets poussiéreux
que les femmes portaient pour aller travailler aux champs, tout cela,
quand on le voit en clignant les yeux, semble être à la clarté de la
lampe, d'un gris très foncé, et la lampe, bien que donnant une lueur
d'un jaune roux, paraît encore plus claire, et même plus sensiblement
plus claire que le blanc en question.
Et puis, il y a la couleur des chairs. Je sais bien que ces couleurs là,
quand on les considère superficiellement, c'est-à-dire si l'on n'y
réfléchit pas un peu,ressemblent à ce que l'on appelle la couleur chair.
Or, quand j'ai commencé le tableau, je les ai faites d'abord avec un peu
d'ocre jaune, d'ocre rouge et de blanc par exemple.
Mais cela faisait beaucoup trop clair et n'allait décidément pas.
Que faire? j'avais déjà peint les têtes, même elles étaient assez bien
achevées, avec beaucoup de soin ; et bien je les ai repeintes, sans
hésiter, sans pitié, et la couleur avec laquelle elles sont faites est à peu
près celle d'une pomme de terre bien poussiéreuse, naturellement non
épluchée.
En peignant cela, je pensais encore à ce qu'on a dit, si justement, des
paysans de Millet "Ses paysans semblent peints avec la terre qu'ils
ensemencent".
Propos auquel je me suis efforcé de penser malgré moi, chaque fois que
je les voyais travailler, dehors comme dedans.
Je tiens également pour certain que si on demandait à Millet, à
Daubigny, à Corot de peindre un paysage de neige sans employer de
blanc, ils le feraient, et que la neige paraitraît blanche dans leur
tableau...
Etude de mains : 1885. Fusain 21 x 34 cm
" Etabli comme une somme de l'oeuvre et des recherches antérieures de van
Gogh, ce tableau exprime ausssi très fortement et très pleinement ses
conceptions sociales et morales. C'était un peintre de paysans, non par goût du
pittoresque - bien qu'il fût sensible à la totalité de leur aspect - mais par affinité
et solidarité profondes avec des pauvres gens dont la vie, comme la sienne
propre, était chargée de soucis. Vincent trouvait dans le repas collectif la
circonstance où leur humanité et leur beauté morale se révèlent d'une façon
saisissante ; ils apparaissent alors dans une communauté étroite, fondée sur le
travail et le partage des fruits de ce travail. La table est leur autel, et la
nourriture, un sacrement pour chacun de ceux qui ont participé au labeur.
Sous l'unique lumière, à cette table commune, l'isolement de l'individu est
surmonté et aussi la dureté de la nature - pourtant chacune de ces figures
garde une pensée propre, et deux d'entre elles semblent au bord d'une muette
solitude. Les couleurs de l'intérieur sombre, bleu, vert et brun nous ramènent à
la nature extérieure. Il y a une puretré touchante et une beauté rustique dans
les visages et les mains de ces paysans - par la couleur et le modelé ils
ressemblent aux pommes de terre qui les nourrissent. C'est la pureté d'âmes
familières chez qui le souci des autres et le dur combat avec la terre et les
intempéries laissent peu de place pour l'égoisme.
La composition prend une force rude qui résulte en partie d'une mise en place
naïve. Et dans la gaucherie de van Gogh, qui rend aussi, comme il l'entendait, la
gaucherie de ses modèles, il y a une source de mouvement. Le groupement des
personnages sur les côtés de la table est curieux ; le mur entre les deux
figures de droite crée un compartimentage étrange de l'espace intime.
De l'atmosphère assombrie se détachent de remarquables morceaux de
peinture, découlant des études tenaces ; les tasses de café, avec leurs ombres
grises ; les pommes de terre sur l'écuelle : et les têtes magistrales qui, dans
leur isolement l'une de l'autre révèlent les portraits préparatoires d'où elles
sont copiées. les yeux des deux paysans de gauche brillent d'une lumière
intérieure, et les ombres sur leurs traits expriment plus le modelè de leur
caractère qu'un phénomène de pénombre.
" J'aime mieux peindre les yeux des hommes que les cathédrales"
écrivait peu après Vincent."
Homme bêchant ; 1882 Crayon etr encre 47 x 29 cm
Faucheur : 1885 Fusain 43 x 55 cm
plus personne ne va dans les champs en sabots...Les souliers étaient du luxe
réservés aux Dimanches où l'on se faisait beau pour aller à la messe ; les femmes enlevaient leurs chaussures et allaient pieds nus aux fêtes du village pour les économiser et même au début du XX ème siècle les gamins allaient en galoches de bois souvent cloutées pour éviter l'usure.
Quel chemin parcouru, seuls les soucis n'ont pas disparu !!
jeudi 14 mai 2020
Van Gogh : les cafés
Alors qu'il n'est toujours pas possible de retrouver l'atmosphère chaleureuse
de ces lieux publics, voyons les cafés vus par Van Gogh.
( Quelques perturbations d'ordre technique m'ont éloignée de vous des derniers jours)
(il se pourrait d'ailleurs que je sois obligée d'interrompre cet article mais j'y reviendrai dans tous les cas)
Lettre à Wihelmine.
... je viens de terminer une toile qui représente un intérieur de café la nuit éclairé par des lampes. Quelques pauvres rôdeurs de nuit dorment dans un coin. la salle est peinte en rouge et là-dedans sous le billard vert qui projette une immense ombre sur le plancher.
dans cette toile il y a 6 ou 7 rouges différents depuis le rouge sang jusqu'au rose tendre faisant opposition à autant de verts pâles et foncés..... j'ai été interrompu justement par le travail que m'a donné de ces jours-ci un nouveau tableau représentant l'extérieur d'un café le soir. Sur la terrasse il y a de petites figurines de buveurs.
Une immense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture, le trottoir, et projette même une lumière sur les pavés de la rue qui prend une teinte de violet rose. Les pignons des maisons d'une rue qui file sous le ciel bleu constellé d'étoiles, sont bleu foncé ou violets avec un arbre vert.. Voilà un tableau de nuit sans noir, rien qu'avec du bleu et du violet et du vert et dans cet entourage la place illuminée se colore de soufre pâle, de citron vert. Cela m'amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau le jour d'après le dessin. Mais moi je m'en trouve bien de peindre la chose immédiatement.
Il est bien vrai que dans l'obscutité je peux prendre un bleu pour un vert, un lilas bleu pour un lilas rose, puisqu'on ne distingue pas bien la qualité du ton. Mais c'est le seul moyen de sortir de la nuit noire notre conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie déjà nous donne les jaunes, les orangés les plus riches. J'ai aussi fait un nouveau portrait de moi-même comme étude où j'ai l'air d'un japonais.
Terrasse de café la nuit Septembre 188,Arles Huile sur toile 81 X 65 cm
"Peint en même temps que le "Café de nuit" cet extérieur coloré est une
oeuvre moins dramatique, plus pirroresque, la vision d'un spectateur détendu
qui savoure sasns aucun propos moral le charme de ce qui l'entoure. Il rappelle
l'état d'esprit de van Gogh quand il écrivait que "la nuit est plus vivante et plus
richement décorée que le jour".Alors que le "café de nuit" est irrésistiblement
centré, avec la fuite rapide et prolongée des lignes et l'opposition dominante des
verts et des rouges , cette scène d'extérieur est vue avec plus de détachement.
La couleur est plus largement prodiguée et le regard erre le long des arêtes en
gradins ou en queue de pigeon des surfaces voisines - forme irrégulières
ajustées les unes aux autres comme un puzzle en dent de scie. Il est
difficile pour l'oeil de maintenir dans cet espace une séparation durable entre
les objets et le fond. Le proche et le lointain sont pareillements distincts.
Le jaune du café joue sur le bleu noir de l'extrémité de la rue et le violet bleu de
la porte à l'avant-plan; et, par un paradoxe de composition qui concourt à
l'unité de l'oeuvre, au plus haut de contraste, l'angle obtus de l'auvent, tout
conter nous, touche la partie la plus distante du ciel bleu. Des lignes
raccourcies qui plongent dans la profondeur, comme un linteau de porte, sont
strictement parallèles (sur le plan de la toile) à des lignes comme la pente de
l 'auvent jaune et le toit de la maison au-dessus qui sont en réalité dans des
plans perpendiculaires au premier. Dans cette vision vagabonde et sans
contrainte la dimension verticale n'est pas moins importante et expressive que
la profondeur.
La silhouette du ciel étoilé est la clef de toute la composition ; l'idée poétique de
l'oeuvre - la double illumination et le contraste du café et du ciel nocturne - se
développe sous cette forme dentelée. la découpe du plancher orange, avec les
portes et les fenêtres du café, est homologue du ciel bleu renversé ; les disques
parsemés des étoiles font pendant aux plateaux elliptiques des tables
au-dessous. Si le café se détache comme l'objet le plus brillant et le plus
complet de la scène, il est moins défini que le ciel étoilé ; sa couleur est la plus
changeante, passant du jaune à l'orange et au vert, et elle tranche vivement
sur presque toutes les autres couleurs dans le cecle de tons plus froids et plus
sombres où elle s'inscrit. A cause de ces rapports, qui déterminent un riche
effet spectaculaire, cette oeuvre est mons profondément absorbante, moins
concentrée que les meilleures de van Gogh"
Ah bon !! c'est l'avis de Schapiro, mais pas le mien, je me sens très bien sur
cette terrasse !!!
j'ai peut-être le temps de voir ce qu'il nous dit du "Café de nuit" , je le remets
sous vos yeux.
septembre 1888 ; Arles. 70 x 89 cm
" Van Gogh jugeait le "Café de nuit" qu'il avait peint pour son propriétaire
en paiement du loyer "une des peintures les plus laides que j'aie faites" .
L'exécuter lui procura toutefois beaucoup de joie, et il est peu d'oeuvres sur
lesquelles il ait écrit avec autant de conviction. Ce n'est plus l'atmosphère
agréable du café qu'avaient illustrée les impressionnistes, c'en est le côté
trouble et plus sombre. La rudesse du graphisme, la concentration sur les
objets, l'intention morale répandue évoquent l'époque hollandaise.
Aussi parle-t-il de ce tableau comme "équivalent, quoique différent, aux
"Mangeurs de pommes de terre" que rappelle la lumière de la lampe ; c'est
mise en parallèle, une puissante image d'une condition humaine opposée -
celle des viveurs et des sans-logis. Mais reportons-nous à la force de sa propre
description.
"J'aicherché à exxprimer avec le rouge et le vert les terribles passions
humaines.
"la salle est rouge sang et jaune sourd , un billard vert au milieu, quatre
lampes jaune citron à rayonnement orange et vert. C'est surtout un combat et
une antithèse des verts et des rouges les plus différents, dans les personnages
de voyous dormeurs petits, dans la salle vide et triste, du violet et du bleu. Le
rouge sang et le vert jaune du billard par exemple contrastent avec le petit
vert tendre Louis XV du comptoir, où il y a un bouquel de roses.
"les vêtements blancs du patron, veillant dans un coin dans cette fournaise,
deviennent jaune citron, vert pâle et lumineux ..."
Quelque jours après il écrit.." J'ai cherché à exprimer que le café est un endroit
où l'on peut se ruiner, devenir fou, commettre des crimes. Enfin j'ai cherché à
exprimer... comme la puissance des ténèbres d'un assomoir.... toute cela dans
une atmosphère de fournaise infernale, de soufre pâle . Et toutefois sous une
apparence de gaieté japonaise et la bonhomie de Tartarin".
Dans son récit, Van Gogh ne dit rien de l'un des effets les plus puissants : la
perspective absorbante qui nous attire tête première par delà les chaises et les
tables vides vers des profondeurs mystérieuses, derrière une porte lointaine
dont l'ouverture est semblable à la silhouette debout. A l'impulsive ruée de ces
lignes convergentes s'oppose la large bande horizontale de rouge, pleine
d'objets disséminés ; les lampes avec leurs grands halos de touches
concentriques, la pendule verte qui marque minuit et le bouquet de fleurs, peint
avec une incroyable furie de taches épaisses contre le mur lisse, au-dessus du
tas de bouteilles".
Cette toile est à New Haven :
https://www.youtube.com/watch?v=bT8zbcZekLQ
de ces lieux publics, voyons les cafés vus par Van Gogh.
( Quelques perturbations d'ordre technique m'ont éloignée de vous des derniers jours)
(il se pourrait d'ailleurs que je sois obligée d'interrompre cet article mais j'y reviendrai dans tous les cas)
Lettre à Wihelmine.
... je viens de terminer une toile qui représente un intérieur de café la nuit éclairé par des lampes. Quelques pauvres rôdeurs de nuit dorment dans un coin. la salle est peinte en rouge et là-dedans sous le billard vert qui projette une immense ombre sur le plancher.
dans cette toile il y a 6 ou 7 rouges différents depuis le rouge sang jusqu'au rose tendre faisant opposition à autant de verts pâles et foncés..... j'ai été interrompu justement par le travail que m'a donné de ces jours-ci un nouveau tableau représentant l'extérieur d'un café le soir. Sur la terrasse il y a de petites figurines de buveurs.
Une immense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture, le trottoir, et projette même une lumière sur les pavés de la rue qui prend une teinte de violet rose. Les pignons des maisons d'une rue qui file sous le ciel bleu constellé d'étoiles, sont bleu foncé ou violets avec un arbre vert.. Voilà un tableau de nuit sans noir, rien qu'avec du bleu et du violet et du vert et dans cet entourage la place illuminée se colore de soufre pâle, de citron vert. Cela m'amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau le jour d'après le dessin. Mais moi je m'en trouve bien de peindre la chose immédiatement.
Il est bien vrai que dans l'obscutité je peux prendre un bleu pour un vert, un lilas bleu pour un lilas rose, puisqu'on ne distingue pas bien la qualité du ton. Mais c'est le seul moyen de sortir de la nuit noire notre conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie déjà nous donne les jaunes, les orangés les plus riches. J'ai aussi fait un nouveau portrait de moi-même comme étude où j'ai l'air d'un japonais.
Terrasse de café la nuit Septembre 188,Arles Huile sur toile 81 X 65 cm
"Peint en même temps que le "Café de nuit" cet extérieur coloré est une
oeuvre moins dramatique, plus pirroresque, la vision d'un spectateur détendu
qui savoure sasns aucun propos moral le charme de ce qui l'entoure. Il rappelle
l'état d'esprit de van Gogh quand il écrivait que "la nuit est plus vivante et plus
richement décorée que le jour".Alors que le "café de nuit" est irrésistiblement
centré, avec la fuite rapide et prolongée des lignes et l'opposition dominante des
verts et des rouges , cette scène d'extérieur est vue avec plus de détachement.
La couleur est plus largement prodiguée et le regard erre le long des arêtes en
gradins ou en queue de pigeon des surfaces voisines - forme irrégulières
ajustées les unes aux autres comme un puzzle en dent de scie. Il est
difficile pour l'oeil de maintenir dans cet espace une séparation durable entre
les objets et le fond. Le proche et le lointain sont pareillements distincts.
Le jaune du café joue sur le bleu noir de l'extrémité de la rue et le violet bleu de
la porte à l'avant-plan; et, par un paradoxe de composition qui concourt à
l'unité de l'oeuvre, au plus haut de contraste, l'angle obtus de l'auvent, tout
conter nous, touche la partie la plus distante du ciel bleu. Des lignes
raccourcies qui plongent dans la profondeur, comme un linteau de porte, sont
strictement parallèles (sur le plan de la toile) à des lignes comme la pente de
l 'auvent jaune et le toit de la maison au-dessus qui sont en réalité dans des
plans perpendiculaires au premier. Dans cette vision vagabonde et sans
contrainte la dimension verticale n'est pas moins importante et expressive que
la profondeur.
La silhouette du ciel étoilé est la clef de toute la composition ; l'idée poétique de
l'oeuvre - la double illumination et le contraste du café et du ciel nocturne - se
développe sous cette forme dentelée. la découpe du plancher orange, avec les
portes et les fenêtres du café, est homologue du ciel bleu renversé ; les disques
parsemés des étoiles font pendant aux plateaux elliptiques des tables
au-dessous. Si le café se détache comme l'objet le plus brillant et le plus
complet de la scène, il est moins défini que le ciel étoilé ; sa couleur est la plus
changeante, passant du jaune à l'orange et au vert, et elle tranche vivement
sur presque toutes les autres couleurs dans le cecle de tons plus froids et plus
sombres où elle s'inscrit. A cause de ces rapports, qui déterminent un riche
effet spectaculaire, cette oeuvre est mons profondément absorbante, moins
concentrée que les meilleures de van Gogh"
Ah bon !! c'est l'avis de Schapiro, mais pas le mien, je me sens très bien sur
cette terrasse !!!
j'ai peut-être le temps de voir ce qu'il nous dit du "Café de nuit" , je le remets
sous vos yeux.
septembre 1888 ; Arles. 70 x 89 cm
" Van Gogh jugeait le "Café de nuit" qu'il avait peint pour son propriétaire
en paiement du loyer "une des peintures les plus laides que j'aie faites" .
L'exécuter lui procura toutefois beaucoup de joie, et il est peu d'oeuvres sur
lesquelles il ait écrit avec autant de conviction. Ce n'est plus l'atmosphère
agréable du café qu'avaient illustrée les impressionnistes, c'en est le côté
trouble et plus sombre. La rudesse du graphisme, la concentration sur les
objets, l'intention morale répandue évoquent l'époque hollandaise.
Aussi parle-t-il de ce tableau comme "équivalent, quoique différent, aux
"Mangeurs de pommes de terre" que rappelle la lumière de la lampe ; c'est
mise en parallèle, une puissante image d'une condition humaine opposée -
celle des viveurs et des sans-logis. Mais reportons-nous à la force de sa propre
description.
"J'aicherché à exxprimer avec le rouge et le vert les terribles passions
humaines.
"la salle est rouge sang et jaune sourd , un billard vert au milieu, quatre
lampes jaune citron à rayonnement orange et vert. C'est surtout un combat et
une antithèse des verts et des rouges les plus différents, dans les personnages
de voyous dormeurs petits, dans la salle vide et triste, du violet et du bleu. Le
rouge sang et le vert jaune du billard par exemple contrastent avec le petit
vert tendre Louis XV du comptoir, où il y a un bouquel de roses.
"les vêtements blancs du patron, veillant dans un coin dans cette fournaise,
deviennent jaune citron, vert pâle et lumineux ..."
Quelque jours après il écrit.." J'ai cherché à exprimer que le café est un endroit
où l'on peut se ruiner, devenir fou, commettre des crimes. Enfin j'ai cherché à
exprimer... comme la puissance des ténèbres d'un assomoir.... toute cela dans
une atmosphère de fournaise infernale, de soufre pâle . Et toutefois sous une
apparence de gaieté japonaise et la bonhomie de Tartarin".
Dans son récit, Van Gogh ne dit rien de l'un des effets les plus puissants : la
perspective absorbante qui nous attire tête première par delà les chaises et les
tables vides vers des profondeurs mystérieuses, derrière une porte lointaine
dont l'ouverture est semblable à la silhouette debout. A l'impulsive ruée de ces
lignes convergentes s'oppose la large bande horizontale de rouge, pleine
d'objets disséminés ; les lampes avec leurs grands halos de touches
concentriques, la pendule verte qui marque minuit et le bouquet de fleurs, peint
avec une incroyable furie de taches épaisses contre le mur lisse, au-dessus du
tas de bouteilles".
Cette toile est à New Haven :
https://www.youtube.com/watch?v=bT8zbcZekLQ
samedi 9 mai 2020
Van Gogh : La nuit étoilée
Nous avons vu la version diurne, pour la version nocturne le cyprès s'est
déplacé de droite à gauche:
les volutes de nuages bleutés deviennet un ciel ou les étoiles roulent dans
une voie lactée qui s'enroule sur elle-même .... que nous en dit Schapiro?
Lettre à Théo ( 19 juin 1889)
... Enfin j'ai un paysage avec des oliviers et aussi une nouvelle étude de
ciel étoilé. Tout en n' ayant pas vu les dernières toiles ni de Gauguin ni
de Bernard je suis assez persuadé que ces deux études, que je cite,
sont dans un sentiment parallèle....
La Nuit étoilée
Juin 1889, Saint Rémy - Huile sur Toile 73 X 92 cm
" L'une des rares peintures visionnaires d'inspiration religieuse, elle
est caractéristique de van Gogh par sa représentation d'un ciel nocturne
tranfiguré. Vincent en avait déjà donné en Arles une version plus sobrement
lyrique, bien que poussé par le désir qui le hantait d'exprimer son aspiration
vers l'infini de la nature ; dans cette interprétation, à l'enchantement des
minuscules étoiles il ajoutait les lumières de la ville, réfléchies dans l'eau, et
deux amoureux au premier plan. Il rêvait aussi d'une peinture de la nuit étoilée
avec un groupe d'êtres vivant de notre race.
Quand, à Saint-Rémy, il revient à son thème après une période de crise et
d'hallucinations religieuses, la pression des sentiments, avec ses tendances et
son contenu caché, force les limites du monde visible et détermine les
projections fantastiques, le grand tourbillon de la nébuleuse spirale, les onze
étoiles magnifiées et l'incroyable lune orange, avec la lumière entre ses cornes
-souvenir confus, peut-être, d'une éclipse (il citait Victor Hugo) : " Dieu est un
phare en élipse.") ou tentative d'unir le soleil et la lune en une seule figure; les
cyprès énormes, dressés comme des flammes, contre-partie terrestre, sombre
et verticale du dragon nébuleux, peuvent être aussi là une invention
transportée d'autres paysages, comme un vague symbole de l'effort humain.
L'ensemble doit sa spontanéité et sa puissance au flot impulsif et torrentiel des
coups de pinceau, libération de la sensibilité par de grandes voies. chaque
objet et chaque région a sa propre direction et son rythme, qui contribuent à
la mobilité du vaste ensemble. Van Gogh ne s'abandonne pas passivement à son
exhaltante vision ; il est capable de se détacher en tant qu'artiste pour une
articulation qui augmente la charge émotionnelle en opposant à ses effets
.immédiats d'autres éléments de contraste. Ainsi la ville au premier plan, alors
que la courbe règne au-dessus, est rendue par des traits courts, distincts,
horizontaux. Ces lignes droites, angulaires représentent une correction sur la
première étude, dans laquelle les maisons, elles aussi, frissonnaient comme le
reste de l'espace, en formes onduleuses. Les petits lumières jaunes des
maisons sont toutes carrées ou rectangulaires, en opposition avec les étoiles
au-dessus. Le fin clocher de l'église - sa flèche perçant l'horizon comme la
pointe du cyprès perce la nébuleuse - est un autre repentir, remplaçant une
série de cyprès surabondants qui faisaient écho à la passion des arbres
dominants."
Souvenez-vous je vous avais proposé le travail de l'Atlelier des lumières au
Musée Ingres de Montauban
https://www.youtube.com/watch?v=GfjD3DCpzqE
https://www.youtube.com/watch?v=fOh-M8hxVyU
vendredi 8 mai 2020
Les iris d'Isarde
Pause du 8 mai : vaste champ de réflexions sur une victoire dont l'intitulé a
changé : je ne rentre pas dans les détails, ce blog n'étant pas destiné à
commenter les faits historiques mais l'histoire des arts.
Une pause donc, dans la paix d'une journée ensoleillée où les iris cédent la
place aux roses, somptueuses cette année, mais comme le dit si bien Ronsard,
elles n'ont qu'un temps, les lys se préparent et demain nous retrouverons
"La nuit étoilée" de van Gogh, une de ses toiles les plus profondes, à mon sens.
Plusieurs sortes d'iris peuplent mon jardin
sous la pluie ou le soleil
http://neufchateauiris.over-blog.com/2017/02/l-iris-dans-la-peinture.html
https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2018/02/24/37002-20180224ARTFIG00015-l-iris-la-fleur-des-rois-et-de-la-mythologie.php
changé : je ne rentre pas dans les détails, ce blog n'étant pas destiné à
commenter les faits historiques mais l'histoire des arts.
Une pause donc, dans la paix d'une journée ensoleillée où les iris cédent la
place aux roses, somptueuses cette année, mais comme le dit si bien Ronsard,
elles n'ont qu'un temps, les lys se préparent et demain nous retrouverons
"La nuit étoilée" de van Gogh, une de ses toiles les plus profondes, à mon sens.
Plusieurs sortes d'iris peuplent mon jardin
sous la pluie ou le soleil
http://neufchateauiris.over-blog.com/2017/02/l-iris-dans-la-peinture.html
https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2018/02/24/37002-20180224ARTFIG00015-l-iris-la-fleur-des-rois-et-de-la-mythologie.php
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