C'est ainsi qu'Henri Pourrat intitule les pages qu'il consacre à Orcival.
En ce qui me concerne, c'était un dimanche, l'office était en cours aussitôt suivi
par la cérémonie d'un baptême, et l'attente a été de ce fait assez longue...
heureusement il faisait beau, et les lourdes portes de cèdre se sont enfin
ouvertes.
Contrairement à ma dernière visite de 2019 la clarté intérieure du sanctuaire était
plus vive et sa Vierge en Majesté moins plongée dans l'obscurité.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce cinquième joyau du roman auvergnat,
avant de passer au texte d'Henri Pourrat, un bref rappel historique s'impose.
Mais au fond ne fait-il pas aussi bien sinon mieux que moi pour vous la décrire !!!
" Le monde avait pris un air ardu et dru que je ne lui ai vu que dans
ces cantons-là. Ah ! que l'herbe était verte. Et le basalte devait
être diablement dur, dessous. On avait retaillé les foins. Cela
faisait des pelouses rigoureusement nettes, où pas un frêne isolé ne
traînait, pas une touffe de vergne. La pastorale ne s'affadira pas,
ici.
On sent que l'herbage est pris trop au sérieux pour n'être pas tenu
comme il se doit. Tout ce qui aurait aimé s'égailler, on l'a fait
rentrer dans ces haies d'arbres qui marquent les limites. Sous leur
haut toit lisse, les fermes ont des arêtes vives. Les éboulis même, au
flanc de ces rampes, sont creusés en rond comme des écuelles.
Chaque forme est sévèrement dessinée. Oui, un pays de gazon, dont la
bosse se relève par crans et cassures, tracés à larges courbes contre
le bleu du beau temps.
Dans les branchages est apparu un bizarre clocher octogonal, à deux
étages ; puis sur le côté d'un bourg à poivrières de manoirs, à
fontaines chantantes, nous avons découvert le sanctuaire le plus en
renom de l'Auvergne. Les pèlerins se signent dès qu'ils l'apeçoivent
et invoquent par trois fois Notre-Dame d'Orcival.On dit même qu'il y
a dans les paroisses des pierres "signades", levées aux points qui le
regardent, de façon que celui qui passe se tourne vers le clocher
fameux, et dise un Je vous salue... Nous arrivions, nous trouvions
devant le porche les baraques à chapelets et à cierges.
(Ce qui n'est plus le cas)
L'église est bien aussi longue que Notre Dame du Port (Clermont-
Ferrand) et elle est plus ample. Un biais assez austère, non pas sans
grandeur ni sveltesse. On la donne pour une oeuvre du XI ème siècle,
le clocher étant un peu moins antique. Les portes aux belles
pentures, seraient en cèdre du Liban et rapportées des croisades !
La nef reste claire dans son gris de cendre, éclairée de quatre-vingt
verrières, et peuplée de colonnes à chapiteaux imagés qui montent
bien vers la voûte ronde.La crypte passe pour plus vaste qu'aucune
autre de ces pays.
Ourchevau, comme disent les montagnards, ce serait la source de la
vallée ; celle où on célébrait à l'arrière saison les fêtes druidiques
et qui devint la fontaine de Notre-Dame. Aujourd'hui, un oratoire la
signale encore dans la montagne. Certaine chronique de Provence
relate que vers l'an 878 des reliques de la Vierge furent portées,
partie à Rocamadour, partie à "Orcivaus in Auvergnia".
Selon M. l'abbé Quinty, curé-doyen l'église d'alors devait être sise
sur la colline faisant face à la source, et nommée le Tombeau de la
Vierge. La statue miraculeuse avait été trouvée là dans une cachette
, sous les décombres. Peut-être n'a-t-on plus que la copie gothique
de la primitive icône qui aurait été sculptée par saint Luc. la
Vierge est dans une chaire, assise et tenant l'enfant Jésus assis sur
elle. Dans ses voiles aux plis roides, elle semble sévère, avec l'air
de bonté et de grand gouvernement que doit avoir une maîtresse de
domaine. C'est une Vierge noire. (elle ne l'est plus )
Ces figures n'étaient pas d'ailleurs noires lorsqu'elles sortirent
des mains du statuaire : la mode courut de les teindre ainsi, on ne
sait trop ni quand ni pourquoi. Lorsque l'ayant tirée des ruines, on
eut décidé de lui bâtir une grande église, ce fut naturellement sur
cette colline du Tombeau. On attaqua les cantiques, et, hardi, à
l'ouvrage ! Le lendemain tout était à bas. On s'étonna, on reprit le
travail : il n'avançait pas comme il aurait dû. Finalement, le
maître de l'oeuvre fit tournoyer son marteau et l'envoya dans les airs
: "Là où il tombera, là se bâtira l'église." L'outil s'envola et
alla tomber à plus de trois cents pas, à la racine de la montagne. Il
fallut détourner le ruisseau et entailler la pente, mais on
connaissait les désirs de la Vierge : rien n'arrêta les bâtisseurs.
Il arriva toutefois que lorsque la statue fut logée dans sa demeure
nouvelle, elle la quitta d'elle-même et fit retour au Tombeau.
Ramenée en pompe à la basilique, elle retournait sans cesse sur sa
colline. On établit donc cette coutume de porter processionnellement
là-haut la statue miraculeuse pour la fête de l'Ascension.
Ce furent sans doute les moines de la Chaise-Dieu qui firent élever
l'église.
(à la fin du Vème siècle devant l'affluence des pèlerins l'évêque de Clermont et Guillaume VII d'Auvergne décidèrent de construire cette église aux dimensions importantes, aidés par les moines bâtisseurs de la Chaise-Dieu)
Et puis, vers l'an 1200, au prieuré bénédictin succéda une communauté
de prêtres filleuls qui compta parfois plus de cinquante membres.
Le sanctuaire était devenu l'un des plus fréquentés du royaume. Des
rois, Philippe dit Le Long et Charles dit Le Bel, des barons, des
prélats, des marchands, des laboureurs, l'enrichissaient de dons,
de fondations. Lorsque de mauvaises fièvres passaient, les paroisses
décimées Thiers ou Issoire, Montluçon ou Vic-le-Comte, se tournaient
vers Notre-Dame d'Orcival. Jusqu'en 1789, les échevins de Clermont
vinrent chaque lundi de Pentecôte rendre un voeu fait lors d'une
effrayante peste. La paroisse de Royat, plus fidèle parce qu'en air
plus pur, s'y rend toujours à cette date.Pour le grand pèlerinage de
l'Ascension, l'église et la crypte sont pleines, pleines à étouffer,
et une épingle ne tomberait pas à terre. Par tous les sentiers,
chantant ou dévidant des dizaines d'Ave, dévalent les gens de la
montagne. Les voilà avec leurs vivres de la journée, et de leur presse
monte une chaude odeur d'étable, de fromage et de foin.
Dès la veille, après vêpres, durant quatre ou cinq heures, ils
défilent devant la statue, la touchant d'un chapelet ou d'un ruban
de pèlerinage. Ils feront aussi leurs romagnes, s'agenouillant devant
chacun des sept autels, iront remplir leurs fioles et bidons à
l'antique source. Vers huit heures, sort une double procession. Aux
lumières des cierges, l'une monte vers le Tombeau, l'autre vers la
chapelle de la source. Puis celle de la chapelle entonne l'Ave Maria
Stella, et l'autre, du tombeau, lui répond, strophe par strophe.
Lorsqu'elles regagnent l' église, commence la nuit sainte, toute aux
sermons, aux cantiques, à la messe de minuit qui avec tant de
communions, va jusqu'aux messes basses de l'aube.
Mgr de Clermont est toujours là pour la grand'messe, après laquelle
huit prêtres et laïcs, pieds nus dans les cailloux, portent la statue
miraculeuse là-haut, au Tombeau de la Vierge. Telle année, les
pèlerins qui la suivent sont dix ou douze milliers. Il est de
tradition qu'ensuite ils mangent leurs vivres sur l'herbe des prés,
parmi les giboulées qui ne sont pas rares en mai, dans ces montagnes.
Ce soir-là autos et carrioles se suivent à la file durant des
kilomètres. Comment l'ont-ils vue, les gens d'ici, celle à qui
demander assistance ? Non pas comme la madone de la vie en sa fleur,
la jeune mère gracieuse qui tient près du bambin la grappe ou la
rose brûlante. C'est la reine de grand ordre, la bonne, grave, qui
sait toute la peine qu'il y a dans les maisons . Ils la nommaient
Notre- Dame des Fers. Je crois qu'on voit encore au-dessus de la
porte du transept quelques menottes suspendues, et les fiches de fer
auxquelles, anciennement, les chaînes de prisonniers délivrés étaient
accrochées par liasses. (il y en a encore) Mais qui n'est pas aux fers,
en ce monde brutal.
Il n'y a personne dans l'église. La porte ouverte donne sur un silence
qu'on sent s'étendre par delà les bruits calmes du bourg. On décharge
un char de fagots devant chez le boulanger; des voix sonnent dans un
jardin ; une cruche s'emplit sous la fontaine. Ce qui touche ce sont
ces ex-voto naïfs, dans le choeur, où la statue miraculeuse
miraculeuse a sa place sur le tabernacle.
Il y a des cadres, des fleurs en papier, des photographies, des cartes
postales. Sur les deux piliers du fond, je lis ces gribouillages sans
orthographe : "Notre Dame d' Orcival, c'est moi qui est le plus
besoin de vous". "Bénissez l'avenir de Jeanne" "Faites que mon petit
garçon guérisse". On prend le sentiment de tant de peines, le
sentiment de ces vies, dans les fermes, dans les moulins,au creux des
combes, dans l'épicerie ou le débit de tabac du bourg. Si l'on savait
penser plus souvent à ces angoisses ; à ceux, qui à cette heure même,
dans le deuil, dans la honte, n'ont plus ni courage ni espérance...
Ni espérance : pense à ce mot. Ils sont de la race opiniâtre qui ne
peut pas croire qu'en s'efforçant de tout son coeur, elle ne trouvera
pas la force de vivre. La montagne, c'est le pays du Quand même, et
du temps clair, au bout de la montée, Notre-Dame d'Orcival, Notre
Dame des Fers, c'est Notre-Dame de la Délivrance".
Henri Pourrat 1935
Dans le bourg une jolie enseigne