C'est "grosso modo" le titre de ce blog mais aussi celui d'un recueil de dessins de nature dans le Parc national des Ecrins (Alpes 05000).
Pour une fois, nous quittons les Pyrénées et je vous entraîne dans les Alpes. C'était en 1997 que ce recueil était édité à la suite de cinq années de résidence d'atistes dans le plus haut Parc national de France.
J'y ai retrouvé mon artiste de nature préféré, Robert Bateman, parmi les 25 artistes qui s'y sont relayés; je m'aperçois que la gent ailée y est privilégiée, choucas, coqs de bruyères avec quelques chamois et lièvres variables.
Je leur laisserai la parole et pour l'instant, je la donne à Jean Dorst, Membre de l'Institut, pour la Préface.
Robert Bateman: Cincle dans le Vénéon (Oisans) Gouache et acrylique sur Mylar Mai 1996
"Deux personnages en tenue de campagne cheminaient à pas lents au flanc d'une montagne.
Cela pourrait bien être le mont Pelvoux, dont la cime neigeuse se profilait au loin.
L'un d'eux s'arrêtait fréquemment, se penchait pour détailler une fleur ou un coléoptère attardé sur une ombelle, puis suivait aux jumelles les évolutions d'un rapace.
Ses observations étaient aussitôt consignées dans un carnet. Son compagnon le suivait de près et profitait de chaque station pour crayonner la fuite d'un chamois ou la silhouette d'une marmotte aux aguets.
Une halte prolongée était pour lui l'occasion d'extraire feuilles de dessins et pinceaux de son sac.
Il brossait quelques esquisses, relevait les lignes du paysage ou s'attardait sur le tapis multicolore des fleurs magnifiées par le soleil et la transparence de l'air.
Nos randonneurs étaient en fait l'un et l'autre de vrais naturalistes.
L'un préparait un savant mémoire sur l'écologie montagnarde; l'autre traduisait en peintre son émotion devant la beauté d'un site grandiose, la grâce ou l'aspect tourmenté de la végétation, la vivacité d'un animal. La communion de pensée de nos deux personnages, celle que partagent aussi tous les amoureux de la montagne, est loin d'être fortuite. Car le plaisir de la découverte scientifique s'apparente étroitement à celle de l'artiste.
Les sentiments qui les animent procèdent tous de l'émerveillement devant les splendeurs qui nous entoure.
La nature, en particulier celle des Alpes et de ses hauts sommets, n'est-elle pas elle-même une suite d'oeuvres d'art? Le vent et la pluie ont sculpté la montagne d'incroyable manière.
L'évolution a fait naître des formes qui ne le cèdent en rien à celles sorties de notre imagination.
Elle a semé à travers l'espace un assortiment de couleurs qui rivalisent avec celles des palettes des plus fastueux de nos peintres. Il n'est donc pas surprenant que les milieux sauvages aient inspiré jusqu'à nos jours des pléiades d'artistes attachés à tout ce qui prend part à cette symphonie de l'inerte et du vivant, là où la puissance du monde minéral s'oppose à la fragilité des corolles et des papillons.
En fait l'art et la science ont partout et toujours noué d'étranges et bénéfiques complicités; seuls diffèrent les modes d'expression.
Certes l'artiste a plus de liberté pour donner libre cours à sa sensibilité.
Il revendique à juste titre le droit d'interpréter ce qu'il voit, encore qu'attaché à des sujets réels, il se doit de respecter une certaine retenue.
Le savant est plus étroitement contraint à une perception objective.
Les deux, malgré tout, restent sensibles à l'harmonie du paysage, à la splendeur des gentianes et des saxifrages, à la séduction d'un scarabée aux formes inédites, à la virtuosité d'un oiseau.
Notons en passant que nombre de scientifiques manient eux-mêmes avec talent aquarelle et crayon.
A travers la vieille Europe, densément peuplée et défigurée depuis des millénaires, nos montagnes ont le mieux préservé des habitats proches de l'ambiance primitive. Au moins dès que l'on s'écarte du tumulte des stations de sport et de la quincaillerie des remonte-pentes et des téléphériques.
On ne s'étonnera pas que les naturalistes et les artistes, leurs frères, y trouvent les joies les plus authentiques.
Le Parc national des Ecrins et son fabuleux massif cristallin du Mont Pelvoux figurent en bonne place parmi ces lieux privilégiés.
Des forêts d'altitude aux pelouses que bordent les glaciers, nous est offert comme dans un prodigieux kaléidoscope une végétation d'une singulière diversité. Scarabées, papillons et mammifères y ont trouvé refuge en dépit de l'hostilité du climat. Nul mieux que ce parc ne semble plus désigné pour célébrer l'union de l'art et la nature.
Des artistes aux tempéraments très variés, venus des pays les plus divers, certains de fort loin, s'y donnent rendez-vous pour composer un hymne à la vie; chacune de leurs oeuvres en constitue une strophe.
Dessins et auarelles y prennent la valeur d'une seconde écriture.
Qu'il s'agisse de croquis pris sur le vif ou de peintures plus élaborées. Tous reflètent la vérité d'un paysage ou d'un animal, mieux que ne le ferait une savante description.
Alors feuilleter ce livre est un enchantement.
S'y plonger avec attention prend l'allure d'un véritable parcours initiatique.
A travers forêts et alpages, franchissant un torrent ou escaladant quelque rocher, nous découvrons des tétras-lyre en joutes amoureuses, des chamois circonspects, des aigles planant au fil du vent, des passereaux que ne rebutent pas les altitudes, des fleurs épanouies à l'abri d'un caillou et des arbres torturés par la neige.
(c'est exactement ce que je faisais sous la pluie en attendant l'hélicoptère, sauf que ce n'est..... qu'une photo)
Chaque oeuvre fait l'objet d'un commentaire plein de saveur rédigé par son auteur.
Autant de témoignages vécus quant à la démarche de ceux qui pour nous ont peiné sur des chemins rocailleux et souffert d'inconfortables affûts.
Nos remerciements iront aux artistes qui avec talent et enthousiasme nous dévoilent les secrets d'une nature encore sauvage et nous donnent en partage la joie de leurs découvertes. Puis bien sûr, aux responsables du Parc national des Ecrins qui ont pris l'heureuse et originale initiative de célébrer depuis cinq ans l'union de l'art et de la nature. Enfin, aux Editions Delachaux et Niestlé, fifèles compagnons des naturalistes sur le terrain comme dans leur cabinet de travail.
Ce recueil figurera en bonne place dans nos bibliothèques.
Il réveillera dans nos souvenirs la rencontre d'une fleur ou d'un insecte, après une longue et fatiguante approche.
Et, par les soirées d'hiver, il nous fera rêver à nos prochaines courses en quête des merveilles des hautes chaînes de nos Alpes.
(ou de nos Pyrénées)...
Puisse la sagesse que l'on prête aux hommes préserver ces montagnes, la vie qui les anime et nous permette de nous élever ainsi au-dessus des contingences de ce qu'il est convenu d'appeler la civilisation."
Jean Dorst