Je suis un peu frustrée par la disparition de l'article que je vous avais envoyé
hier mais qui à la suite de mauvaises manipulations .... sans doute, j'espère !!
j'avais pourtant enregistré au fur et à mesure, bref.. l'article avait pour en-
tête un magnifique nu de sa compagne Jeanne Hébuterne ; l'histoire était
intéressante car objet de la seule exposition qui lui soit entièrement consacrée,
il fit scandale et les forces de l'ordre sur injonction du public durent retirer les
quatre autres nus de la galerie Berthe Weill.
Lorsqu'il arrive à Paris, isolé, il se lie d'amitié avec deux autres "exilés" comme
lui, Utrillo et Soutine mais c'est de Cézanne qu'il est admiratif et une de ses
toiles qu'il revint peindre à Livourne en 1909 révèle cette influence.
Il ne connait le succés qu'au terme de sa courte existence et trois ans de
bonheur avec Jeanne Hébuterne qui le suivra tragiquement dans la mort ;
rejetée par ses parents même morte ; il faudra attendre l'intervention du
Senatore Modigliani, en 1923 pour que les deux amants soient réunis dans la
même tombe au Pére Lachaise.
Point n'est besoin de chercher la signature de Modigliani située toujours à
l'angle droit supérieur de ses toiles, sa "facture" est unique, son trait fin, précis
ses formes étirées et ses yeux sont caractéristiques, comme on peut
reconnaître les pommes de Cézanne et le Guernica de Picasso.
Je vous racontais hier que pour subvenir à ses besoins il croquait les clients
de la Rotonde et leur vendait le dessin pour cinq francs. Ses nombreux croquis
quil ne voulait pas signer, ont fait d'ailleurs l'objet de nombreuses copies.
La toile ne manque pas de biographies, je préfère par conséquent choisir
quelques textes qui parlent de lui :
Hommage à Modigliani
Modigliani, c'était la fin d'une élégance profonde à Montparnasse, et nous ne le savions pas. Nous imaginions que ces longues journées de pose chez Kisling, ces dessins aux terrasses, ces chefs-d'oeuvre ,à cinq francs, ces brouilles, ces embrassades, dureraient toujours
Jean Cocteau 1930
Portrait de Jeanne Hébuterne 1918
et voici un texte de Jacques Lipchitz qui va nous faire découvrir Modigliani sous son jour "poétique".
" Pour quelque étrange raison, quand je pense à Modigliani, son souvenir est toujours lié à la poésie. Est-ce parce que je fus présenté à lui par Max Jacob ? Ou parce que, lors de cette première rencontre à Paris, au Jardin du Luxembourg, en 1913, Modigliani se mit soudain à déclamer de sa voix la plus forte la" Divine Comédie" ?
Je me souviens que, tout en ne comprenant pas un mot d'italien, je fus fasciné par son expression mélodieuse et son allure élégante : il avait un air aristocratique, malgré son costume en velours côtelé complètement usé.
Même plus tard, le connaissant depuis longtemps, Modigliani nous
a souvent surpris par son amour pour la poésie qui se manifestait aux moments les plus inattendus.
Une nuit (ce devait être en 1917), très tard, peut-être à trois heures du matin, nous fûmes soudain tirés du sommeil par un terrible martèlement contre la porte. J'ouvris. C'était Modigliani, complètement ivre. D'une voix saccadée, il essaya de me dire qu'il se souvenait avoir vu sur mes rayonnages un volume de poèmes de François Villon et qu'il aimerait l'avoir. J'allumai ma lampe à pétrole pour trouver le livre avec l'espoir de le voir partir et de pouvoir retourner dormir. Mais non. Il s'installa dans un fauteuil et commença à déclamer à haute voix.
Je vivais, en ce temps-là au 54 de la rue de Montparnasse dans une maison habitée par des travailleurs, et bientôt les voisins commencèrent à taper au mur, au plafond, au plancher en criant ; "Silence". Cette scène est encore présente à mon esprit : la petite pièce, l'obscurité au milieu de la nuit que rompait seulement la flamme dansante et mystérieuse de la lampe à pétrole, Modigliani, saoul, assis comme un fantôme dans le fauteuil, ne ressentant aucune gêne, déclamant Villon de sa voix de plus en plus forte, accompagnée par l'orchestre des coups qui résonnaient tout autour de ma petite chambre. Il ne s'arrêta, quelques heures plus tard, que lorsqu'il fut épuisé.
Nous discutions souvent poésie - Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud- et le plus souvent il récitait par coeur quelques uns de leurs vers. Son amour pour la poésie me touchait, mais j'admirais plus encore sa mémoire remarquable."
Portait de Chaim Soutine
"J'ai bien connu Modigliani, c'était un aristocrate, son oeuvre entière en est le plus puissant témoignage.je le revois à la Rotonde, son regard autoritaire, ses mains fines, des mains racées aux doigts nerveux, ses mains intelligentes traçant d'un seul trait, sans hésitation, un dessin qu'il distribuait comme une récompense aux camarades qui l'entouraient. je l'ai connu ayant faim, je l'ai vu ivre, je l'ai vu riche de quelque argent, jamais je n'ai vu Mofigliani manquer de grandeur, ni de générosité. Jamais je n'ai surpris chez lui le moindre sentiment bas, mais je l'ai vu irascible, irrité d'être obligé de constater que la puissance de l'argent qu'il méprisait tant, dominait parfois sa volonté et sa fierté ".
Maurice Vlaminck
Le Petit Paysan 1918
cette toile fut peinte lors de son séjour sur la Côte d'Azur et et fut l'un des premiers tableaux à entrer dans un collection anglaise grâce à l'entremise de Zborowski.
Modigliani était conscient de son affinité avec Cézanne mais comme il le faisait remarquer à Soutine .
"les personnages de Cézanne, tout comme les plus belles statues de l'Antiquité ne regardent pas. les miens, au contraire, regardent. Ils voient même si j'ai choisi de ne pas dessiner les pupilles ; mais comme les personnages de Cézanne, ils ne veulent pas exprimer autre chose qu'une muette acceptation de la vie "
Je consacre un peu plus de temps à cette article car je n'en aurai pas le temps les prochains jours et ce sera de l'art contemporain que nous verrons alors.
pour ressortir sur le fond clair la siganture passe à gauche
Portrait d'Hanka Zborowska 1917
Lors du décès tragique de sa mère, Jeanne leur fille née à Nice fut momentanément recueillie par les Zborowski, elle écrit en 1958 :
"Quelques phrases échappées à ma tante, l'évocation de quelques mouvements enfantins du petit Dedo par ma grand-mère, suggéraient, certes, malgré la pauvreté stéréotypée des souvenirs, l'existence, au sein d'une famille déjà bien pourvue de personnages saugrenus, d'un enfant, coléreux, boudeur, mais pas plus étrange que la cohorte d'oncles et aîeux que leurs extragances, affectueusement comprises celles-là, ne privaient pas de leur consistance et dont l'image précise était conservée d'ailleurs dans des albums reliés. Cet enfant par contre, semblait s'évanouir, par une épouvantable solution de continuité, d'un côté, dans la fiction sentimentale de "mon pauvre père", et de l'autre, dans le personnage envahissant et tragiquement monotone d'un peintre de l'Ecole de Paris."
Bohémienne avec un bébé 1918