samedi 20 décembre 2014

La Bûche de Noël


La "Bûche" de Noël: le Relais luni-solaire

          " Dans la tradition orale, les souvenirs mal reliés entre eux d'une culture sur son déclin, induisent des variations d'une vallée à l'autre quant à la durée de combustion du soqueth.
Le soqueth est improprement traduit de nos jours par le mot: "bûche" ce qui se comprend si l'on considère que, en effet, depuis les années cinquante, il est remplacé dans les cheminées par une bûche.
En fait, la soca, ou le soqueth, son diminutif, est la souche de l'arbre, la partie inférieure du tronc et ses racines, à savoir l'ensemble qui demeure en terre après que l'arbre ait été abattu.

Après l'avoir arrachée, on mettait cette masse à sécher pendant plusieurs mois, afin qu'elle soit prête pour le soir de la Noël.
Le fait que le soqueth ait une forme massive et non celle allongée, d'une bûche, ralentissait la combustion et permettait à celle-ci de durer pendant plusieurs jours................................................................................................................

Dans le Nistos, sur les franges du Comminges et de la Bigorre, le geste coutumier montre qu'on ne sait plus très bien lequel, du solstice ou du premier janvier, est le Premier de l'an.
Eth hoqueth (prononcé "et tchouquet"  par addition abusive de l'article) établit le raccord entre les deux:
"Eth hoqueth, il fallait pas qu'il s'éteigne, il fallait qu'il dure jusqu'au Premier janvier.
Alors qu'est ce qu'on faisait? On le reculait, le matin de la Noël. Puis on le mettait un petit peu tous les jours, et il fallait qu'il dure jusqu'au Premier de l'an." (Jeanne Pène, née en 1909, Générest)
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Dans la belle ferme de Ruau, agrippée en son splendide isolement au-dessus du Clot det Tou, là où l'horizon, de crête en sommet, n'en a jamis fini d'être lointain, et la terre, de gouffre en gorge, n'en finit pas d'être profonde, le récit de la préparation du soqueth est l'occasion d'une petite mise au point entre époux.

http://www.youtube.com/watch?v=-8yggDnbJdo

La christianisation de la bûche par une croix gravée sur l'écorce, bien que donnée souvent au passé, est encore fréquente:
"Avec le couteau, comme ça une grande croix, voilà.
Et tout le monde était content!"
Laurent Saint-Martin, né en 1915
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La bûche de Noêl a encore une grande actualité, renforcée, d'ailleurs, par la mode "occidentale" mais est conditionnée par l'existence d'une cheminée.
Pouvoir y mettre la bûche de Noël, quand on n'a que le feu de bois pour se chauffer, est ressenti comme une revanche, voire une supériorité sur ceux qui bénéficient du chauffage central et ont fermé la cheminée:
"On le fait encore, nous, eh! les jeunes vont à Tournay, chez la mère de ma belle-fille, eh, dans les Hautes Pyrénées. Bé, eux, ils peuvent pas, ils ont tout de moderne! Mais moi et mon mari, on met la grosse bûche, eh!
(Arguenos, 1983)"

                     http://www.youtube.com/watch?v=bAF866z_D_Q
                                         


La Daube

Lorsque Isaure fait mention du début du siècle il s'agit bien sûr du 20 ème  l'édition de ce livre datant de 1995.
 On est loin de la traditionnelle dinde anglo-saxonne!!
  
        "Les récits s'étendent tous avec complaisance sur le réveillon de Noël qui a laissé le souvenir d'un moment agréable, car, en tant que repas de fête, il s'élevait quelque peu au-dessus de la modestie alimentaire quotidienne.
D'abord, quelle que soit sa composition, il était un repas de plus. Cette seule caractéristique suffit à le faire regretter. Ensuite, il comprenait de la viande, denrée peu présente dans le menu quotidien de ces vallées où, jusque dans les années trente, on s'est nourri de céréales et de laitages.

La composition du réveillon évolue avec le temps, à partir du siècle la nourriture se diversifie, et varie avec l'économie des vallées et, dans celles-ci, des maisons .
En Comminges, on évoque souvent la daube que l'on mettait à mijoter devant le feu où rougeoyait le "souquet" et dont on se régalerait en rentrant de la messe de minuit
:"Le soir de Noël, quand on avait mangé, on allumait le "lutornau" (bûche de Noël, dans le Nistos) avec la daube qui cuisait devant.

(Je reviendrai plus tard sur cette bûche qui évoque pour nous les bûches patissières à la crème au beurre !!!
Si on l'appelle lutornau à Nistos  c'est ailleurs le soqueth ou la soca et c'est une souche d'arbre dont la combustion peut durer tout le temps de Noël)

       Cette daube rituelle, qui est l'exception, le luxe alimentaire, est pourtant faite avec la viande du pauvre: les bas morceaux du boeuf...................................
Voici, pour les franges du Nistos et de la Haute-Garonne, celle de Rose Bertin (nèe en 1923):
"La veille, il faut mettre à macérer les carottes, l'oignon, l'aïl, et puis les herbes, le laurier,le thym et tout ça pour donner du goût, quoi, dans du vin.
Le vin bon, quand même, eh. Et puis le lendemain il faut vider l'oule, vous le jetez pas, le vin, eh!
et puis vous passez à la poêle, à roussir, les carottes, l'oignon, mais dans la graisse d'oie, eh ! et puis vous l'enlevez, vous vous le mettez de côté et le vin, eh !
vous lui faites perdre l'alcool.
A bouillir. Et puis tout, vous le mettez dans l'oule.

Et la viande vous la coupez en petits morceaux; et la passer à la poêle, mais pas trop, quoi. Et du lard, aussi.
Et y en a, ils y mettent le pied de cochon, aussi.
Et puis tout à cuire, mais doucement, eh ! Devant le feu. Oooh! trois ou quatre heures, même, que c'est bon quand c'est cuit en y mettant le temps...
Et puis un quart d'heure avant de manger, prendre un peu de sauce pour épaissir avec la farine.
On la fait plus depuis quelque temps.
Oh, j'y avais la main, oui!"
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La daube, c'est l'opulence, relative de la polyculture : c'était au-dessous de Labroquère dit Pierre Barrère ( né en 1912, Cier de Luchon), parfaitement renseigné, pour le Haut Comminges, sur la géographie de ce plat dont il dit avoir rêvé quand il était jeune.

A Luret, :"Nous autres, la pauvre maman, pour Noêl, en rentrant, elle faisait des pescajous (crèpes). Et on buvait du cidre... Y avait un poirier, en face, qui avait beaucoup de poires et on faisait du cidre (Joséphine Barrère née en 1903)

Je ne sais s'il y a encore sur le web ce livre que j'avais écrit il y a quelques années qui montre bien la pauvreté de ces montagnes.

Eh ! bien si! il y est encore
                                               http://www.annemariedambies.com/

Mon Dieu! j'étais bien jeune dans le maniement de l'ordinateur j'avais même oublié de justifier !!! soyez indulgents  !!!

vendredi 19 décembre 2014

Marcher, manger et veiller ensemble

                                       https://www.youtube.com/watch?v=-wu9q-bR3Mw

Je poursuis  la lecture des
  Rites, coutumes et croyances dans la tradition orale du Comminges et du Couserans, d'Isaure Gratacos.

"La relation de voisinage et la convivialité villageoise sont tout de même présentes dans la fête solsticiale de l'hiver par le biais de la christianisation:
la messe de minuit était, avec le réveillon, un des deux grands axes de la soirée de Noël.
Activité de groupe, elle avait un caractère festif qui émane de tous les récits.
Jusque dans les années1930:
"Le soir de la Noël, ceux de la Traverse, on allait à Moulis, (16 kilomètres aller et retour) qu'il y ait de la neige ou qu'il n'y en ait pas, on partait l'un devant l'autre, on allait à la messe à Moulis. Et on était contents!"
On attendait ce soir là pour y aller.(Lucie Antras née en 1912)

"Oh, nous autres, on était à 6 kilomètres d'Aspet, au-dessus, Razecueillé, là. Quand on pouvait, quand y avait pas trop de neige, on descendait à la messe de minuit" (Marguerite Soum, née en 1923, Arbon).

Les informateurs agés insistent tous sur le fort enneigement au début du siècle:

"Pour Noël y avait de la neige, oh, pauvre, à ne pas pouvoir passer!

(Petite parenthèse dans ce récit, nous avons sur le Plateau de Sault (11) au-dessus de Belcaire, la Croix des sept frères, tous partis les uns après les autres dans la tourmente, au secours de leur frère disparu, et tous engloutis dans la neige).

Lorsque le trajet jusqu'à l'église était court et ne suffisait pas à remplir la soirée, l'attente de la messe se faisait entre voisins, en une veillée amicale où l'on racontait des histoires:
"Quand j'étais petit, le soir de Noël, par exemple, on racontait, avant d'aller à la messe, les"hadouns", les "hados", les fées.(Montserrier, né en 1905, Saint-Pé d'Ardet)
Et dans le Biros:
"Oc, on chantait, eh, mais comme ça, entre voisins, en famille, eh. Y en a, ils racontaient des histoires"(Hélène Estrémé, née en 1925, Estéou d'en haut)

Dans la Barousse, à Ferrère, "Y en a, ils étaient bons pour ça".
Y en avait une, Fifina, ço de Pève, bon diu! Les gosses, on aimait ça, et même tous, elle racontait, là, la tuta deras hadas (grotte des "hados), là, et la peira deth Hiter (la pierre du dressé= le menhir).

On veillait jusqu'à onze heures-minuit et on allait à la messe de minuit, entre voisins.
Et puis, après, en revenant, eh, on faisait un réveillon.

                        https://www.youtube.com/watch?v=DPJ1s0I42Ak

jeudi 18 décembre 2014

Les enfumés de Noel

                                     Les ahumats de Nadau

"Dans les zones d'habitat groupé, après la messe, la Jeunesse (dénomination habituelle, dans toute la montagne gasconne, du groupe des célibataires des deux sexes à partir de 15-16 ans et jusqu'aux alentours de 25 ans) se réunissait et courait dans la nuit d'un réveillon à l'autre...........................

Le rire de la jeunesse d'Argut-Dessus, dans la Pique luchonnaise, a laissé un souvenir assez vif dans les villages environnants.
A Cier, à Luret, à Gouaux, on raconte sur un ton mi-amusé, mi-réprobateur comment:

          " A Argut-Dessus, quand les gens veillaient, les jeunes, ils se mettaient à plusieurs et ils allaient boucher les cheminées avec des plaques, des morceaux de terre. Alors ils s'enfumaient là-dedans et ils étaient obligés de sortir! Cà, c'était terrible, le soir de Noeël, tout le monde se méfiait.
Ils l'ont fait jusqu'à la guerre de quarante. Parce que la guerre a tout coupé."

La "persécution " rituelle des ahumats de Nadau, exorcisme? purification? n'est pas l'exclusivité d'Argut-Dessus; mais sa localisation est limitée, en Comminges, à une aire que les enquêtes de terrain m'ont permis de cerner: il n'est fait mention d'eths ahumats que dans les vallées de la Pique, d'Oo, du Larboust, d'Oueil, et dans le Val d'Aran.
Jean-Paul Laurent m'a permis, le premier, de saisir la raison de cette localisation rigoureuse: elle est due à l'architecture particulière des maisons de la haute montagne centrale, depuis la Bigorre jusqu'au Haut -Couserans:

"C'était facile de monter parce qu'il y avait les "pénalous" et la cheminée au bout."

Les penalos, ces dalles de schiste qui encadrent, comme les marches d'un double escalier, le pignon des maisons et se rejoignent de part et d'autre de la cheminée, rendaient l'escalade facile.
D'autant plus que les maisons sont trapues et souvent appuyées à la pente.
Les épaules de l'un des comparses pour accéder au premier gradin des "pénalous n'étaient mëme pas toujours nécessaires...."
                                                                                                  Isaure


                                   photo prise cet automne chez nous

 Je vous asure que ces Pyrénéens étaient des colosses pour monter de telles pierres; j'ai  connu trois frères qui ont remonté "ma petite maison dans la prairie"
 les reins sanglés dans une ceinture qui faisait plusieurs fois leur tour et des "papè" qui avaient fait le tour des Amériques avec leur ours.

J'ai toujours une grande nostalgie lorsque je chemine sur leur pas.

Que je ne me laisse pas attendrir sur le passé !!! c'est la joie de Noël!!!
Je n'ai malheureusement pas trouvé en You tube "Feu de joie hivernal "
de Prokofiev, que je voulais vous faire entendre.


 http://www.francemusique.fr/emission/avanti/2014-2015/contes-d-hiver-3-5-12-17-2014-06-00















mardi 16 décembre 2014

Le renouveau plutôt que le nouveau

l'Hiver, Antonio Vivaldi
             https://www.youtube.com/watch?v=SNFUHQ6o_Ho
"Sous Charlemagne, et jusqu'à la fin du X ème siècle, le 25 décembre est le premier jour de l'année.
Dans les traditions calendaires de la montagne gasconne, la Noël solsticiale a-t-elle ces fonctions de commencement?
La naissance symbolique de l'enfant Jésus au jour _ théorique _  du solstice, est-elle vécue, dans le système cosmogonique haut-gascon, comme l'émergence d'un monde nouveau?
Il semble que, plutôt qu'une naissance, elle soit vécue comme une re-naissance et qu'elle soit le re-nouveau plutôt que le nouveau.
Elle prend place dans une mythologie de la régénération que l'on retrouve en tous les points majeurs du cycle annuel solaire de Haute-Gascogne.

La Noël solsticiale est l'annonce de la renaissance de la Nature qui est encore en gestation pour 40 jours: c'est à la Chandeleur, les dictons l'affirment, que la Nature s'éveillera à la résurrection printanière ou prolongera son sommeil hivernal.
A partir du solstice d'hiver, le soleil va accroitre un peu plus chaque jour la durée de sa course au dessus des montagnes, jusqu'au maximum glorieux du 23 juin.
Reprenons l'heureuse expression de Gaignebet (Gaignebet et Lajoux, Art profane et religion populaire au Moyen Age)

pour dire que la Noël est  " le demi-tour du temps"
                                         plutôt qu'une naissance du temps"




Le feu de l'aire fermée

"Le feu du solstice d'hiver est feu de l'aire fermée et du groupe domestique et non celui de l'aire ouverte et du groupe social.
Il est feu d'intérieur et non, comme celui du solstice d'été, feu d'extérieur.
Il est feu de braise qui couve sous la cendre et non feu à flamme haute dégageant lumière et chaleur; il est la vie en mineur pendant le sommeil hivernal et non l'explosion des forces vitales qui expriment leur énergie dans la flamme colorée et ascendante du feu de l'été.
Le soin mis à faire brûler lentement la bûche en une combustion retenue s'inscrit dans le mouvement ralenti de la vie hivernale.
La braise de la bûche de Noël ne s'oppose pas à la flamme haute du feu de la St Jean: elle permet, au contraire, son existence et sa continuité. En une polarité complémentaire de la flamme estivale, elle est le même feu en ses deux états extrèmes.....................................



..Toutefois, il arrive qu'on rencontre un rappel des feux de l'été, mais c'est dans les seules mains des enfants; dans les hautes vallées (Larboust, Oueil) et dans le Nistos, les enfants couraient d'une maison à l'autre en faisant tourner au-dessus de leur tête des lattes de bois dont l'extrémité était enflammée, les halhas.
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A Générest , en dessinant ainsi le cercle solaire, ils psalmodiaient en cheur, au rythme de la giration de leur petit" brandon mobile" personnel:

Nadàu, Nadàu                                              Noêl, Noël
Pets bousquets e pets casàus                     Dans les bosquets et les jardins
Eras càuteros en houec                              Les chaudières sous le feu
Pléos de carn e de càulets,                          Pleines de viande et de choux,
Et pout en pàu                                              Le coq à la broche,
Era gario en metàu,                                      La poule dans la marmite,
Erà lèbé en soum det casàu                           Le lièvre au bout du jardin,
E courri, courri, Nadàu                                  Et cours, cours Noël.


 C'est avec un autre chant en patois gascon que mon père nous accueillait lorsque nous arrivions pour Noël.

lundi 15 décembre 2014

Cavalcades célestes

 Frisco !! je fais un copié collé de ton commentaire sur la Présentation de ce blog

"L'année 2013 a fini par brûler et d'une bien belle manière !
Tu sais Isarde que d'un incendie renaît toujours la vie ...
Je sais déjà que 2014 sera une belle année en immersion dans la nature et nous partagerons ces émotions !"


et que cela a été bien vrai !! l'année 2014  aussi se termine par d'autres incandescences,  non pas au lever du soleil mais à son coucher.



 et je poursuis la lecture d'Isaure

La Sinusoïde du temps.

Du soleil de juin au soleil de décembre, le balancier de Chronos oscille inexorablement en périodes mesurées par le mouvement astral.
Où placer un début dans la sinusoïde infinie du temps, telle qu'elle est conçue par la pensée vasconne?
Le concept de commencement, d'origine du temps et des Hommes, est absent de la pensée cosmogonique de la montagne, comme c'est d'ailleurs le cas pour tout le tronc euskarien.
Hartxuaga l'a fort bien montré dans sa thèse de doctorat: Etudes de mythologie basque et indoeuropéenne.
Ainsi on chercherait vainement dans tout l'édifice mythologique Pyrénéen gascon une séquence évoquant la naissance ou le début, la création de l'Etre à partir du Néant: il n'y a pas un seul mythe des origines dans l'ensemble de la culture orale vasconne (du moins en l'état actuel des collectes de terrain).
Pas un seul récit du commencement des temps et des hommes dans le capital légendaire vascon.
Le monde est parce qu'il est, et on ne se demande pas d'où il vient.
Dans l'ensemble basque et euskaroïde, celui qui va de l'Océan jusqu'à l'Ariège languedocienne non comprise, nulle Menha (grand-mère) et nul Papè (grand-père) ne conte le mythe des origines parce qu'on ne lui en a jamais conté.
Dans la pensée traditionnelle, le solstice d'hiver, plus qu'un commencement, est donc un re-commencement, une régénérescence, un renouvellement.