"C'était une autre fois, à la mi-avril. Nous revenions à pied du
Chambon à Murols. La route toute noire avait des flaques jaunes.
Tirés d'en haut, les nuages découvraient les puys. Derrière nous,
les Dore bruns et blancs se recueillaient.
Plissoté sous un peu de vent, le lac battait à petites tapes
mouillées le parapet que la chaussée longe.
Sur la gauche, d'un gros bosselage sortait la Dent du Marais, ou Saut
de la Pucelle : un pan de tuf, couleur de racine, aussi haut qu'un
pic et cassé droit. On conte qu'une pucelle poursuivie, préférant la
mort à la brutalité de ses poursuivants, se jeta de la cime. Elle
atterrit doucement, sans doute portée par les anges.
Mais elle fut si glorieuse de cette miraculeuse faveur, qu'elle désira
triompher devant tout le pays. Elle assembla les gens et derechef
elle se précipita de la roche. Cette fois comme elle était soutenue
du soin d'une vaine gloire et non de sa pureté, elle s'écrasa
misérablement sur le sol.
Le lac était clair, derrière les gros saules têtards à branchages
jaunâtres. Il fallait en être plus près, marcher sur son bord, sur
son herbe.
Nous avons pris par les sentiers, dans un désordre de monticules à
monceaux de pierres. La Dent pointait, Capitole et Roche Carpienne à
la fois. Bordée de laves, la sente musait ; et le sombre feuillage
héraldique de l'ellébore pied de griffon avoisinait celui, tout menu,
tout persillé, d'une anémone au beau pourpre sombre.
On arrivait sur une étendue de sable noir : Chambon-Plage! Des
barques, des chalets (où je vais dormir), des constructions de champs
de course attendaient le retour de la saison balnéaire. On verrait
alors devant les cabines des ombrelles rayées de rouge. On fait là du
camping, ce qui doit effrayer les gens du pays, mais c'est bien
d'aimer à même la peau le soleil et le vent. Reste que je me sens en
doute quand j'entends parler de naturisme.
Tous leurs goûts sont dans la nature; seulement la nature goûte-t'elle
ces goûts appris ? Je vois une malédiction sur ce qui est ainsi
cherché, fait exprès, sans authenticité profonde. Naturisme, ce peut
être aussi loin de la nature que le rationalisme peut l'être de la
raison ou le spiritualisme de l'esprit.
Le Tartaret, en calotte bourrue, barre le Val. Est-ce lui, l'un des
plus jeunes volcans d'Auvergne, qui se soulevant a retenu les eaux ?
Est-ce l'effondrement d'une moitié de la Dent du Marais qui a fait
barrage ?
Sous les pins du Tartaret, nous causions avec l'abbé Boudal, curé de
Murols. Il expliquait qu'au moyen âge seulement, après le demi-
éboulement de la Dent les eaux se seraient amassées ; et elles
auraient reflué jusqu'à l'église du Chambon, car on constate que
cette église a été ensablée et ce ne peut être qu'après le XII ème
siècle.
Que savoir ? M. l'abbé Boudal nous montrait presque à l'opposé des
Monts Dore le plateau de Bessolles et la Roche Romaine. Là, à une
croix barbare, arrivent sept sentiers et l'on y remarque des blocs
énormes, monuments mégalithiques, sans doute, mais auxquels, disait-
il, n'a encore daigné s'intéresser personne. Lui, avec son air
d'explorateur, de missionnaire retour d'Extrême-Orient, que lui
donnait une pendante barbe jaune, on sentait qu'il s'intéressait à
tout.
Il nous entretenait de ses fouilles, puis de ses peintures, _ il a
décoré à neuf son église,_ il parlait des touristes, des artistes, de
Matisse et de Roybet, de Charreton, de Clémenat et de Mario Pérouse,
des régionaux et des autres, venus des U.S ou de l'Argentine, qu'en
un temps il avait attiré à Murols.."
Henri Pourrat 1935
Musée des peintres de l'école de Murol
https://www.youtube.com/watch?v=oo_k7yB0Duc
https://www.youtube.com/watch?v=1o18BvoP-UY
Ce curé Léon Boudal successeur des impressionnistes et des fauves peignait
avec aussi Jules Zingg, Wladimir Terlikowski, Victor Charreton, Maurice
Busset... une bonne cinquantaine qui, en sa compagnie partagèrent la même
passion pour la lumière locale et la neige.
https://www.dailymotion.com/video/xchxjx