lundi 9 juillet 2018

Paul Gauguin : Noa Noa

Au moment où beaucoup s'apprêtent à partir pour des destinations lointaines

 ou même les plages de l'exagone,  je vous propose un voyage à Tahiti, conté 

par Gauguin lui-même. Le récit manuscrit de ce voyage est conservé au

 Cabinet des Dessins du Musée du Louvre :

                                                                       Mahana No Atua  1894
                                                            Art Institute Chicago

 Au centre de la toile siège Taaroa créateur du monde dans le panthéon Maori, de part et d'autre offrandes et danses rituelles , l'ensemble du tableau se veut représenter la création.

   "le 8 juin, dans la nuit, après soixante jours de traversées diverses - soixante
 -trois jours pour moi de fièvreuse attente, d'impatientes rêveries vers la 
 terre désirée - nous aperçumes sur la mer des feux bizarres qui évoluaient en zigzags. Sur un ciel sombre se détachait un cône noir à dentelles.
Nous tournions Moréa pour découvrir Tahiti.

Quelques heures après le petit jour s'annonçait, nous approchant avec lenteur des récifs, le cap sur la pointe Vénus nous entrions dans la passe de Papeete et nous mouillions sans avaries dans la rade.
Le premier aspect de cette petite île n'a rien de féerique, rien de comparable, par exemple à la magnifique baie de Rio de janeiro.
Tout yeux je regardai sans esprit de comparaison.
C'est le sommet d'une montagne submergée aux jours curieux du déluge : l'extrème pointe seule dominait les eaux :  développant l'île nouvelle.
Elle continue à s'étendre, mais elle garde de son origine un caractère de solitude et de réduction que la mer accentue de son immensité...
A dix heures du matin  je me présentai chez le gouverneur (le Nègre Lacascade) qui me reçut comme un homme d'importance. Je devais cet honneur à la mission que m'avait ( je ne sais trop pourquoi) confiée le gouvernement français.
Mission artistique, il est vrai, mais ce mot aux yeux du nègre n'était que le synonime officiel  d'espionnage  et je fis vainement tous mes efforts pour le détromper. Tout le monde autour de lui partagea son erreur et quand je dis que ma mission était gratuite, personne ne voulut me croire.
La vie à Papeete me devint bien vite à charge. C'était l'Europe. L'Europe dont j'avais cru m'affranchir, sous les espèces aggravantes encore du snobisme colonial, d'une imitation puérile et grotesque jusqu'à la caricature.
Ce n'était pas ce que je venais chercher de si loin...
Une tristesse profonde s'empara de moi. Avoir fait tout le chemin pour trouver cela même que je fuyais ! le rêve qui m'amenait à Tahiti était cruellement démenti par le présent ;: c'est le Tahiti d'autrefois que j'aimais.
Et je ne pouvais me résigner à croire qu'elle fût  tout à fait anéantie, que cette belle race n'eût rien, nulle part, sauvegardé de sa vieille splendeur.
 Mais les traces de ce passé si lointain si mystérieux, quand elles subsisteraient encore, comment les découvrir, tout seul, sans indication, sans aucun appui ?
Retrouver le foyer éteint, raviver le feu au milieu de toutes ces cendres...

 Si fort que je sois abattu, je n'ai pas coutume de quitter la partie sans avoir tout tenté et aussi l'impossible. Ma résolution fut bientôt prise.
Partir de Papeete, m'éloigner du centre européen. je pressentais qu'en vivant tout à fait de la vie des naturels, avec eux, dans la brousse, je parviendrais, à force de patience à vaincre la défiance de ces gens-là et que je saurais.
Un officier de gendarmerie m'offrit gracieusement sa voiture et son cheval.
Je m'en allai, un matin, à la recherche de ma case.
Ma vahine m'accompagnait : Titi elle se nommait. presqu'Anglaise, elle parlait un peu le Français.
Elle avait mis ce jour-là sa plus belle robe ; une fleur à l'oreille, selon la mode maorie et son chapeau en fils de canne par elle-même tressé, s'ornait, au-dessus d'un ruban de fleurs en paille, d'une garnitue de coquillages orangés.
Ses cheveux noirs déroulés sur ses épaules, fière d'être en voiture, fière d'être élégante, fière d'être la vahine d'un homme  qu'elle croyait important et riche , elle était ainsi vraiment jolie, et toute sa fierté n'avait rien de ridicule tant l'air majestueux sied aux visages de cette race.
Ils gardent de leur longue histoire féodale et des vieux souvenirs des grands chefs, un ineffable pli d'orgueil."

  
 Les Seins aux fleurs rouges : 1899. Metropolitan Museum of Art New-York


                                                                                          à suivre

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